Citations de Caroline Vermalle (135)
« Dans l’atelier Chasse au trésor, chacun dans son coin réfléchit à ce qui le rend heureux. On visualise… la vie idéale, si vous voulez. On colle des images des magazines, des trucs qu’on trouve. […] Je vous raconte pas le nombre de brochures de voyages qui se sont retrouvées en morceaux. Mais finalement, tout le monde finit par creuser un peu plus profond. On arrive à des choses très personnelles. À la fin, y en a pas deux de pareils, des collages. » (p. 69)
- Jacqueline, elle veut te parler dans la cuisine, murmura-t-il.
- Oui, je sais, mais moi j'ai pas envie. Là, fit Arminda en baissant la voix comme lui.
- Oui, mais je crois qu'elle veut te dire pardon. Et tu m'as dit qu'il faut toujours écouter les gens quand ils veulent dire pardon.
Les hommes prétendent qu'un battement d'ailes de papillon suffit à provoquer séismes et tempêtes. Les insectes n'ont pas le goût des révolutions, mais certains d'entre eux sont poètes. C'est l'apanage de ceux qui savent que la vie est courte.
« On se dit qu’on a du temps, et qu’on fera tout ça plus tard, quand il y aura les bonnes conditions et tout. Mais les bonnes conditions, elles arrivent jamais. »
C’est pas grand-chose, croire, c’est donné à tout le monde, il suffit juste d’y mettre du sien, de faire taire le bruit alentour, d’ouvrir les yeux et de voir sa bonne étoile. Les gens n’y croient pas, à leur bonne étoile, c’est dommage. Et ils ont tort, bien sûr. Elle est là pour chacun, seulement, il faut prendre la peine de la chercher. Des fois, elle brille dans des trucs minuscules, des trucs de rien du tout. Une présence, par exemple. On est sept milliards sur terre et pourtant, par une espèce de miracle incompréhensible, il suffit d’une voix, d’un cœur, d’une façon de voir les choses pour tout illuminer d’un coup. J’en ai connu, des gens qui brillaient comme des fous alors que personne ne leur prêtait attention. Ils ont tellement compté pour moi qu’ils sont devenus ma Voie lactée.
Chaque pas chassait l'inessentiel, le pressé, l'anxieux, l'insatisfait.Le temps semblait déserter les jours. Non pas qu'il rajeunissait; mais c'était l'idée de l'âge qui prenait un coup de jeune. Car finalement, l'âge ne comptait plus.Les paysages, la vie, tout ça : il ne les voyait plus défiler, il était dedans .Et ma foi, il y était plutôt bien.
« À cette heure de la soirée, Jacqueline ressemblait encore à toutes ces épouses bourgeoises que le confort d’un mariage sans amour a transformées en papillons épinglés. » (p. 16)
Elle avait cette façon de regarder par les portes ornées, juste avant de partir, qui était triste. Ce regard était de plus en plus triste, d'ailleurs, et elle avait l'allure d'une héroïne dramatique. Antoine se souvint de Michèle Morgan qui jouait Nelly dans "Le Quai des brumes". Elle avait d'beaux yeux, Nelly, Gabin l'avait dit. Mais ce qu'il n'avait pas dit, et qu'Antoine avait vu, c'était que dans ces yeux, il y avait un bateau, un départ, un truc qui veut s'échapper. Et dans les yeux de Rose, c'était pareil.
Vous savez, parfois on a plus d'empathie pour des étrangers que pour nos proches ! Il arrive que l'on fasse de très brèves rencontres qui changent peut-être pas notre existence, mais notre regard. C'est comme ça qu'on apprend la vie : à rencontrer les autres.
Antoine avait trente ans et des poussières et un physique fait de tant d'anomalies qu'il était mathématiquement impossible qu'il soit beau. Des dents de devant un peu écartées, une mâchoire inférieure qui s'avançait trop, des cheveux pas tout à fait courts, pas tout à fait longs mais tout à fait ébouriffés, des pattes passées de mode qui descendaient sur ses joues souvent mal rasées, des oreilles légèrement décollées, et pour finir, un auriculaire manquant à la main droite. Si on avait pris Antoine Bédouin en kit, on aurait voulu se faire rembourser des pièces. Et pourtant, les fois où il souriait, c'était comme un puzzle qui se mettait en place tout seul et sa pièce manquante apparaissait au grand jour : le vert de ses yeux, celui de la mer de Villerude quand le ciel gris se fend d'une éclaircie ; le vert vivifiant, profond et brillant de la promesse de jours meilleurs.
Ce que Jacqueline ignorait, c'était que le regard méfiant des vieilles dames, Arminda en avait fait son affaire. A trente-cinq ans, elle avait presque dix-sept ans d'expérience en tant qu'aide ménagère aux personnes âgées, sans compter son enfance d'immigrée : les regards méfiants, elle était tombée dedans quand elle était toute petite. A ce jeu-là, ce ne serait pas la cousine maigrichonne qui gagnerait.
« Je n’avais pas vu le temps passer. » (p. 212)
- Je suis pas un sensible, je trouve juste que ces vieilles photos sont touchantes.
- Ah ouais, rétorqua Lalie, dont le visage se colorait d'un rictus hargneux, c'est comme les vieux films, hein ? C'est touchant, ils parlent tous d'amour avec de la poésie. Les vieux films, c'est comme les vieilles photos, ça ment comme des arracheurs de dents.
- Écoute, j'ai peut-être des nouvelles.
- Bonnes ?
- Les mauvaises nouvelles, c'est des bonnes qui n'ont pas des manières. C'est ma mère qui disait ça. Je lui ai beaucoup resservi quand je ramenais mes carnets de notes.
Heureux qui comme Rose sont ceux qui ont eu un Villerude-sur-Mer pour ponctuer leurs années. Les vacanciers, ceux des villas aux noms de fer forgé, ceux des campings aux panneaux colorés, les estivants, les heureux de passage, qui, le temps des beaux jours, se sont retirés du grand monde des choses utiles et sont venus retrouver ici une source imaginée. Respirer, faire une pause, profiter, débrancher - vivre, enfin vivre comme on le voudrait ! Mais la fin de l'été arrive toujours. Alors on repart vers l'autre vie, la vie des automnes, des printemps et des hivers, la vie des obligations et des ambitions, la vie des trottoirs usés et des machines huilées, la vie qui est à nous parce que quelque part quelqu'un l'a écrite comme ça et peut-être même que ce quelqu'un, c'est nous.
On ne gagne pas contre le temps. Lui aussi ne fait que passer, mais il ne part jamais sans nous.
Si de l'autre côté de l'eau, l'île des beaux lendemains ne promettait plus au héros l'amour de sa femme, offrirait-elle un sens à son courage ?
Il resta éveillé. Longtemps. Le sommeil n’arrivait pas. C’était comme si son cerveau marchait sur une scie sauteuse.
- C'est sûr que si t'y crois pas, gamin, si tu fais le frileux, je te promets rien de bon. Si j'ai une perle de sagesse à te donner, tiens, en voilà une bonne : c'est bien de se protéger, de pas se foutre à la flotte sur chaque coup de tête, mais en se protégeant on se protège du meilleur, aussi. Et ça, c'est le pain bénit des regrets.
(...) Quest-ce qu'il te faut ? La mer ? Les Seychelles ? La Thaïlande... Ou la montagne, le Colorado, la Suisse ?
Rose lança un regard sombre vers John.
- Tu penses que c'est du grand air et des cocotiers qu'il me faut ? ricana-t-elle. Je vais te dire ce dont j'ai besoin et que tu ne trouveras pas dans tes brochures de voyage : de la joie, John. Ouais, de la joie. J-O-I-E ! Ce petit truc tout lumineux et léger qui fait oublier tout le reste, est-ce que tu sais au moins ce que c'est ? La joie, je sais, c'est si ordinaire que j'ai même cru qu'elle venait gratis, en bonus, offerte avec ma vie confortable. Mais elle est partie sans rien dire et c'est idiot, parce que maintenant, je sais. C'est elle qui me faisait jouer si bien. Et rien d'autre, John. Rien d'autre.