Ça y est. La réponse était là. Elle était évidente ! Il se devait d'écrire un journal, relater les faits sommairement, pas avec de longs discours, juste avec des mots jetés sur un cahier. De retour à la maison, il aurait tout son temps pour entourer ces mots avec d'autres mots et former des phrases joliment liées (et maintenant, il se voyait un peu poète).
Horreur! Petit Cancrelat se souvint alors d'une chose essentielle: il ne savait pas écrire.
En vérité, il écrivait quelques trucs surtout des textes recopiés dans ses livres favoris, mais il ne connaissait pas la grammaire et encore moins la conjugaison. Misère…
« Bof, se dit-il, tant pis pour la syntaxe ».
Et ce mot le fit rire, mais rire, il l'utilisait et c'était un mot de grand.
Il riait comme un fou « syntaxe ». Il ne savait même pas ce que ce mot voulait dire, mais il l'aimait bien, avec un Y et un X.
Je crois bien que c'est à ce moment-là que maman s'en est rendue compte. Anton parlait tout seul. Nous nous sommes jeté un coup d’œil, elle n'a rien dit, moi non plus. Son regard avait pris une drôle de couleur comme s'il s'était brusquement réveillé après des années de sommeil. Elle est restée accroupie, des Legos dans le creux de sa main, observant, je devrais dire, décortiquant les gestes de son fils.
Je suppose que c'est comme, lorsque l’on regarde intensément un objet pour le dépouiller de tous ses détails. J'ai déjà fait ça, la sensation est bizarre. J'ai juste récolté un bon mal de tête et puis cette impression d'être une toute petite chose perdue, devant des meubles aux dimensions gigantesques. Ce ne sont que des effets d'optiques, mais quelle ivresse ! Aussi puissante que les fonds de verre abandonnés sur la table du salon. (Une expérience de jeunesse qui m'a fait détester l'alcool tout le reste de ma vie, sauf le cognac pour les langoustines.)
Maman n'était ni inquiète, ni effrayée, seulement curieuse. Étonnant n'est-ce pas de découvrir son fils en plein bavardage avec on ne sait qui ?
« Tiens, prends ça », et il tend un jouet dans le vide. L'espace d'un instant, on aurait pu croire que le Lego s'envolerait dans les airs, comme si, par une formule magique « ô temps suspend ton vol », le cube rouge restait coincé une seconde dans l'espace.
Bien sûr, ce ne fut pas le cas. Je me dis parfois que mon imagination dépasse les bornes. La formule magique s'est transformée en un joyeux « t'as la cervelle qui déraille, ma fille. »
Inquiet, je me tournai vers Alban, lui demandant comment, je pourrais être adopté.
Il me répondit dans un ton neutre « qu’il fallait avoir quelque chose que les autres n'ont pas ».
Bref, il fallait se différencier des autres, être unique, comme avoir un air doux, ou être intelligent.
Ou pire encore avoir un pelage au motif rare et peu répandu.
Ainsi, les critères pour survivre n'étaient pas d’être une créature vivante comme un chat ou un
chien.
Ni être gentil, délicat ou fidèle.
Non !
Il fallait être un objet rare, comme on pouvait en trouver dans une brocante.
J’avais donc peu de chances d’être choisi.
Pourtant, Alban n’arrêtait pas de dire que « mon jeune âge était un atout ».
À ce moment, je ne le pris pas au sérieux, croyant que j’étais au bord du gouffre.
Pourtant, il existait sûrement pire que moi.
« Zut ! Crotte ! Flûte ! Maman a disparu. »
Pas de doute, le Petit Cancrelat venait d’assister à l’enlèvement de sa mère.
Sa si jolie et si douce maman. Elle aurait dû s’en méfier.
D’ailleurs, elle le lui répétait sans cesse :
« Attention aux chaussures, savates et autres ustensiles pendus aux pieds des humains. »
Et là, alors qu’elle lui faisait un signe de la main tout en trottinant vers les réserves de nourriture de Mr
Trucbonbec, la grosse savate de l’homme les avait impitoyablement séparé.
Il se souvient encore du doux visage de sa maman et de cette botte, qui l’avait fait disparaître devant lui.
« Pauvre Maman… Et pauvre de moi. »
Ainsi par cette belle matinée d’automne, le Petit Cancrelat se retrouvait seul, seul pour la toute première
fois de sa vie.
Le jeune insecte avait envie de pleurer, mais il se rappela des paroles de sa mère disparue :
« Il faut toujours aller de l’avant. »
De l’avant ? Mais où ? À gauche ? À droite ?
Pendant un moment, le petit cancrelat réfléchit, ravalant ses larmes. Puis, il sut quoi faire : il devait
chercher sa maman, partir à l’aventure.
Dans une immense forêt, cachée par les feuillages, existe un petit village, où vit un minuscule et curieux peuple fait de bois et de végétaux. Ces petits êtres vivent en parfaite harmonie avec mère Nature.
Ainsi, à chaque naissance, il contribue à la terre grâce à une tradition sacrée. Dès la naissance d’un bébé, tout le village doit se réunir pour planter une graine.
Nous avons eu droit aux premières gelées. Le jardin est d'une blancheur silencieuse.
Pas un oiseau. Ils attendent le soleil. Celui-là même qui fera fondre les breloques de cristal, bijoux éphémères, suspendus aux dernières feuilles du grand saule. Où l'herbe croustillant sous nos pas va nous abandonner pour le printemps. Impressionnant paysage de brouillard et de silence qui nous projette hors du temps.
Où étaient mes maîtres ?
Après quelques minutes de réflexion, je crois que l'on m'avait enlevé.
Je devais donc m'enfuir de ce lieu !
Mes maîtres devaient sûrement s'inquiéter.
J'avais d'abord essayé de manger les barreaux.
Mais ça n'avait pas marché, j'avais juste eu mal aux dents.
Mardi 17 septembre.
Grande fatigue. Pas d'écriture aujourd'hui. Migraine insoutenable. Esprit et corps comme une serviette froissée jetée dans un coin.
Mauvaise nuit. Humeur idem.
Koko est un mangeur de rêves. Son travail consiste à dévorer les rêves des gens pour éviter leur prolifération dans le monde de l’imagination.
Peut être qu'Alban avait raison. L'être humain était mauvais. Mais certains pouvaient être bons."