Citations de Cécile Cabanac (148)
Une vingtaine de personnes étaient réunies aux abords de la maison. Les techniciens de l’identité judiciaire, qu’elle connaissait pour la plupart, s’affairaient dans leur combinaison blanche. Des regards lourds se croisèrent. Autant d’échanges pudiques et silencieux qui disaient tout de leur quotidien, de la banalité du mal, de la désespérante routine de l’horreur.
À peine eut-elle posé le pied au sol qu’une tension désagréable lui raidit la nuque.
Son équipier s’engagea sur un chemin de terre encadré par de hauts arbres que seuls les phares éclairaient. Après un virage à droite, l’enquêtrice découvrit les gyrophares qui tournoyaient dans la nuit et les puissants projecteurs qui inondaient la façade d’une vieille bâtisse d’une lumière presque irréelle.
— Cette fois, on risque de prendre de sacrés coups…, murmura Biolet.
— On fait comme d’habitude. On se parle et on prend soin l’un de l’autre.
Parfois, la vie ressemblait à une mauvaise farce. Cueillie au beau milieu de la nuit dans le confort de sa paisible existence, Sevran sentit l’effet d’un violent uppercut en pleine figure. Elle s’éclaircit la voix puis demanda :
Les corps démembrés, lacérés, poignardés, les petits vieux maltraités, battus à mort… Ensemble, Biolet et elle avaient eu leur lot d’atrocités qui avaient fini par les endurcir. Mais les enfants… ça non, elle ne s’y ferait jamais.
Son équipier affichait une mine grave et avait le teint cireux.
— Il s’agit d’une gamine.
La sobriété de ces dernières paroles la fit frissonner. Les prunelles noires de son collègue se plantèrent dans les siennes pour un échange complice et muet. À présent, sa lucidité créait des angles vifs, des lignes coupantes et des couleurs criardes dans le décor.
— On a reçu un appel. Un homme a trouvé un corps en démolissant un mur dans la maison qu’il vient d’acheter.
Son équipier affichait une mine grave et avait le teint cireux.
— Il s’agit d’une gamine.
Quand Biolet arriva enfin avec la voiture de service, il pila net devant son allée. La commandant monta sans traîner dans le véhicule.
— Qu’est-ce qui se passe ? J’étais censée profiter d’un week-end tranquille en famille, tu t’en souviens ?
— On a reçu un appel. Un homme a trouvé un corps en démolissant un mur dans la maison qu’il vient d’acheter.
Elle ignorait pourquoi ce coup de fil nocturne l’angoissait autant, c’était loin d’être le premier de sa carrière, mais le fait que Biolet l’ait appelée en pleine nuit ne présageait rien de bon.
Elle se rendit dans le bureau juste à côté de l’entrée. Là, ses doigts composèrent le code sur le clavier du coffre-fort qui débloqua la porte, puis, après s’être saisie de son SIG, elle l’inspecta et le fourra dans son holster.
Qu’est-ce qui pouvait nécessiter sa présence en pleine nuit ? Pourquoi son équipier la sollicitait-il alors qu’il l’avait justement encouragée à prendre quelques jours de repos ?
— Biolet vient d’appeler. Il t’attend dehors dans un quart d’heure.
— Mais je… Pourquoi ?
— C’est très grave, apparemment. Il a insisté.
Encore deux coups de masse. Cette fois, une large plaque de plâtre glissa à ses pieds en créant un vide sombre tout près de lui. Un souffle glacé comme un chuchotement venu du tréfonds des ténèbres l’enveloppa tout entier. Lorsqu’il releva les yeux, un cri déchirant s’échappa de sa gorge.
Un violent tremblement agita son corps. Qu’est-ce que ça veut dire… ? Son estomac, lui, savait déjà. Il se contracta brutalement, au point que Pio dut se mettre à quatre pattes sur le ciment froid. Des larmes embuèrent ses yeux tandis qu’un second spasme lui nouait les tripes, mais, malgré la puanteur qui envahissait l’espace, il sut qu’il devait se ressaisir. Pour savoir. Éloigner le doute, combattre la peur.
Ses yeux exorbités fixaient la cavité qui, telle une gueule béante, laissait entrevoir l’étoffe sur laquelle il pouvait à présent distinguer le visage sérigraphié d’une idole d’adolescentes.
Fébrile, il poursuivit la démolition alors que des gravats giclaient dans tous les sens. Puis, soudain, une odeur nauséabonde se répandit dans la pièce, comme une bête menaçante. La frayeur le mordit si fort qu’il se mit à reculer
Le propriétaire s’accroupit lentement, tâta l’orifice puis tira sur le tissu. Le plâtre s’effrita tout autour en produisant le son d’une fine grêle, pourtant l’imprimé bleu pâle lui résistait.
Pio chancelait de fatigue en observant le mur ; d’ailleurs, sa vue se brouillait. Plusieurs fois il cligna des yeux, tant il lui semblait que l’espace autour de lui ondulait.
Subitement, la journée de boulot pesait sur ses bras. Il aurait peut-être pu reporter les travaux au lendemain, après tout, on n’était plus à un jour près. Maria serait déçue du retard pris, mais il avait désormais l’habitude de ses reproches incessants.