Citations de Cédric Villani (70)
Tout mathématicien digne de ce nom a ressenti, même si ce n'est que quelquefois, l'état d'exaltation lucide dans lequel une pensée succède à une autre comme par miracle... Contrairement au plaisir sexuel, ce sentiment peut durer pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours. [André Weil]
Les mathématiques sont le squelette du monde, la physique en est la chair.
Noir ! J'ai besoin d'obscurité, de rester seul dans le noir. La chambre des enfants, volets fermés, très bien. La régularisation. Le schéma de Newton. Les constantes exponentielles. Tout virevolte dans ma tête.
Juste après avoir ramené les enfants à la maison, je suis allé me réfugier dans ma chambre, pour continuer à remuer mes pensées. Demain c'est mon exposé à Rutgers, et la preuve ne tient toujours pas debout. J'ai besoin de marcher en solitaire pour réfléchir. Il y urgence !
Les sciences font partie de ce qui engendre le monde du futur. C'est un devoir que les femmes y soient associées de façon très importante. Sinon, quel est le message ? Le message qu'on renvoie, ça veut dire que c'est aux hommes d'enfanter le futur. Ça c'est un message qui est inadmissible.
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• 'La science a mauvais genre', Infrarouge, France 2, 05/10/2021
Quel que soit le temps passé à faire des mathématiques, ce n'est jamais du temps perdu.
Paul Cohen n'était pas un spécialiste de la logique mais il croyait au pouvoir de son cerveau ; un jour il se mit à travailler à ce problème et, à la stupéfaction générale, il montra que la réponse n'est ni oui, ni non. Il existe un monde mathématique avec un infini intermédiaire, il existe aussi un monde mathématique sans infini intermédiaire ; l'un ou l'autre sera juste, si on le désire. Quant à savoir lequel de ces deux mondes est le plus naturel, c'est un problème toujours d’actualité sur lequel travaillent encore les spécialistes de la théorie des ensembles.
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- Vous êtes musicien ?
- Non !
- Artiste ?
- Mathématicien !
- Quoi, mathématicien ?
- Oui oui... ça existe !
- Vous travaillez sur quoi ?
- Hmmm, vous voulez vraiment savoir ?
- Oui, pourquoi pas ?
- Allez, on ne se moque pas !
Une respiration.
- J'ai développé une notion synthétique de courbure de Ricci minorée dans les espaces métriques mesurés complets et localement compacts.
- Quoi !!
- C'est des blagues ?
De toute façon, un destin dépend de tant de choses ! Brassage génétique, brassage des idées, brassage des expériences et des rencontres, tout cela participe à la merveilleuse et dramatique loterie de la vie. Ni les gènes, ni l'environnement ne peuvent tout expliquer, et c'est bien ainsi.
Il y a une autre question que l'on me pose sans cesse : Vous avez encore le temps de faire de la recherche?" La réponse est non pas du tout. J'ai cru pendant quelques mois que je pourrais conserver une partie de mes activités universitaires, mais c'était une illusion : la vie politique, incroyablement prenante, m'a forcé à mettre de coté bien des projets qui me tenaient à coeur. Et pourtant si c'était à refaire, je le referais pareillement, tant j'ai pu constater par moi même à quel point un scientifique peut être utile à l'organisation politique, et à quel point on peut apprendre dans ces fonctions"
- Ça va ? Faut quand même pas te rendre malade ! Relax, détends toi.
- Mouaif.
- On dirait que tu es vraiment obnubilé.
- Écoute, là, j'ai une mission. Ça s'appelle l'amortissement Landau non linéaire.
- Tu devais pas travailler sur l'équation de Boltzmann, c'était ça ton grand projet, tu crois pas que tu es en train de perdre de vue l'essentiel ?
- M'en fiche. Maintenant c'est l'amortissement Landau.
Mais l'amortissement Landau continue à jouer à la froide beauté inaccessible. Je suis incapable de l'aborder.
Au fond, je suis dans l'air du temps : pendant que les enfants ouvrent leurs cadeaux de Noël avec excitation, je suspends des exposants aux fonctions comme des boules à des sapins, et j'aligne des factorielles comme autant de bougies renversées.
L'homme qui me fixe est bien plus qu'un homme, c'est une légende vivante, et ce jour-là je n'ai pas le courage d'aller lui parler.
La prochaine fois, j'oserai l'approcher et je lui raconterai comment j'ai fait un exposé sur le paradoxe de Scheffer-Shnirelman, par une preuve inspirée de son théorème de plongement non lisse. Je lui parlerai de mon projet de faire un exposé sur lui à la Bibliothèque nationale de France. Je lui dirai peut-être même qu'il est mon héros. Est-ce qu'il trouvera ça ridicule ?
…Un nom gentiment fou comme tout le projet : les Crapauds fous. Car on a étudié, très sérieusement, les effets bénéfiques de quelques déviants parmi les populations de crapauds. Ces crapauds fous peuvent parfois indiquer le chemin et sauver l’espèce. Et montrent bien combien il est illusoire de vouloir normer toutes les intelligences, et combien le groupe a besoin de sa diversité.
Maintenant ce n'est plus qu'une question de patience, je vois bien que le développement de l'idée aboutit à des schémas que je reconnais. J'écris les détails ; longuement. C'est le moment de faire jouer mes dix-huit ans de pratique mathématique !
--Hmmm maintenant ça ressemble à une inégalité de Young... et après c'est comme la preuve de l'inégalité de Minkowski... on change de variables, on sépare les intégrales...
Je passe en mode semi-automatique. A présent je peux faire usage de toute mon expérience... mais pour en arriver là, il aura fallu un petit coup de fil direct. La fameuse ligne directe, quand vous recevez un coup de fil du dieu de la mathématique, et qu'une voix résonne dans votre tête. C'est très rare, il faut l'avouer.
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On me demande souvent à quoi ressemble la vie d'un chercheur, d'un mathématicien, de quoi est fait notre quotidien, comment s'écrit notre oeuvre. C'est à cette question que le présent ouvrage tente de répondre.
[...] on ne progresse guère si l'on n'accepte pas de se mettre en position vulnérable.
- Alors explique, pourquoi tu m'as fait venir, c'est quoi ton projet ? Tu n'as pas trop donné de détails dans ton mail......
- Je me remets à mon vieux démon, évidemment c'est très ambitieux, c'est la régularité pour Boltzmann inhomogène.
- Régularité conditionnelle ? Tu veux dire, modulo des bornes de régularité minimales ?
- Non, inconditionnelle.
- Carrément ! Pas dans un cadre perturbatif ? Tu crois qu'on est prêts ?
- Oui, je m'y suis remis, j'ai à peu près bien avancé, j'ai des idées, mais là je suis bloqué. J'ai décomposé la difficulté avec plusieurs modèles réduits, mais même le plus simple m'échappe. Je croyais l'avoir avec un argument de principe de maximum, et là tout s'est écroulé. J'ai besoin d'en parler.
- Vas y, je t'écoute.
Quand même, on a drôlement avancé ! On a compris le coup des résonances et de l'écho plasma, on a compris le principe du time cheating, on a de bonnes estimations du scattering, on a les bonnes normes, on y est presque !
Plaisanterie en vogue chez les scientifiques américains des années 40 :
" Les Martiens existent. Ils ont une intelligence surhumaine, parlent une langue incompréhensible et prétendent venir d'un lieu appelé la Hongrie."
Nous n'apprendrons rien ici sur la mathématique, alors vous pouvez passer votre chemin si vous espérez trouver une porte d'entrée sur l'Équation de Boltzmann. En revanche, si vous souhaitez découvrir le quotidien de Cedric Villani et mettre en pied dans la vie d'un chercheur en mathématique, alors vous avez fait le bon choix.
Pas de vulgarisation, mais une belle aventure dans laquelle il partage avec nous sa passion, ses doutes, ses moments de joie et son goût pour les mangas.