Chantal d` Avignon

Tous les sens en alerte, le corps tendu vers lui, je lui rendais ses
baisers.
Ses mains commencèrent à bouger, passant de mon dos à
mes épaules. Je ne les perdais pas de vue mentalement.
Je me surpris à espérer qu’elles descendent sur ma poitrine.
Cette simple pensée provoqua en moi un désir d’abord confus,
qui gagna en intensité lorsque les mains de Lenny glissèrent sur
mes bras. Toutefois, il gâcha tout en les posant sur mes fesses.
– Arrête ! m’écriai-je en le repoussant.
– J’ai envie de toi, grogna Lenny en se tournant sur le dos,
les yeux au plafond.
– Tu vas trop vite ! m’indignai-je.

Nous regardions un film de science-fiction. J’avais choisi
La Matrice, un film d’action pur et dur que les gars apprécient.
Un film où la romance n’était cependant pas exclue si on se
concentrait sur les personnages de Néo et de Trinity. D’ailleurs,
le long baiser de la fin ne laissait aucun doute quant à leurs senti-
ments. Était-ce le coup de pouce dont nous avions besoin ?
Je m’étais collée contre Lenny durant le film. Il avait mis son
bras autour de mes épaules. Je me sentais bien.
À un moment, je relevai la tête pour savoir s’il appréciait le film. Il se trompa sur mes intentions et embrassa légèrement
mes lèvres.
Nous nous observâmes avec curiosité. J’eus soudain le goût
qu’il recommence. Il le comprit, car il s’empara de ma bouche,
s’y attardant cette fois d’une délicieuse façon.
Je ne savais pas que les lèvres d’un garçon pouvaient être
aussi douces, aussi caressantes. J’aimais la façon dont il prenait
possession de ma lèvre supérieure, pour ensuite passer à ma lèvre inférieure. Son souffle me troublait. Il le sentit.

C’est connu, les adultes (surtout les parents) pensent qu’à
notre âge, on est trop jeune pour avoir des relations sexuelles.
Pourtant, ils devraient être les premiers à admettre qu’ils ont
dû commencer un jour, non ? Techniquement, ils savent nous
informer sur les mécanismes du corps humain, mais ils sont
nuls pour nous renseigner sur le pourquoi et le comment des
relations amoureuses entre gars et filles. Ils sont aussi passés
maîtres dans l’art d’être vagues. Et que dire des restrictions,sinon qu’ils excellent dans ce domaine ! Bref, on ne peut pas
parler de ça avec eux.
Avec qui, alors ? Les amis, les copains d’école, les connais-
sances, me diras-tu… J’en connais beaucoup qui exagèrent leurs
exploits quand la gang n’est pas loin. Accorderais-tu de la crédi-
bilité au gars le plus populaire de l’école qui se vante de fréquen-
ter deux filles en même temps ? De toute façon, c’est angoissant
d’écouter tout ce beau monde parler à tort et à travers.

J’adore aller au cinéma. C’est un loisir agréable et peu coûteux. Les mégacomplexes sont situés à proximité de centres
commerciaux, parfaits pour magasiner ou flirter. Tous se
côtoient, l’œil toujours fureteur, l’oreille aux aguets. Certaines
salles semblent nous être exclusivement réservées. Le choix des
films y est sans doute pour quelque chose. Connais-tu beau-
coup d’adultes qui vont voir des films comme Décadence, Film
de peur ou Folies de graduation ?
Tu ne seras donc pas surpris d’apprendre que c’est dans
un cinéma que j’ai rencontré mon premier chum. Il travaillait
au comptoir à bonbons. Ce n’est pas lui que j’ai remarqué,
au début, mais plutôt son petit manège. À chacune de mes
visites, il s’arrangeait toujours pour échanger sa place avec son
collègue de travail de manière à venir prendre ma commande.
Nous échangeâmes d’abord des sourires, puis des formules de
politesse.

Plus le temps passe, plus je me dis que, d’ici très peu de
temps, je devrai gravir l’échelon supérieur et prendre les rênes
de ma vie. Mon cœur flanche au bord de l’énorme précipice
du monde des adultes et j’hésite à me lancer. Ma mère me
réconforte en me disant de faire confiance à la vie, tandis
que mon père me conseille plutôt de ME faire un peu plus
confiance. Quant à mon frère, il me dit que lâcher mon fou de
temps en temps ne peut pas me faire de tort. Tu sais quoi ? J’ai
décidé de LEUR faire confiance ; après tout, ils ont fait un plus grand bout de chemin dans la vie que moi.
Sur ces pensées plus ou moins profondes, je quitte
l’abstrait pour aller dans le concret. Fini les rêves ; place
aux défis ! Souhaite-moi bonne chance, je pense que je vais en
avoir besoin !

De toute façon, c’est angoissant
d’écouter tout ce beau monde parler à tort et à travers.
Je sais, tu penses que je devrais discuter de ces choses avec
ceux en qui j’ai pleinement confiance. Et je suis d’accord avec
toi. Quel est le problème, alors ? Je ne sais pas comment m’y
prendre pour avouer à Marie-Ève ou à Josiane que j’ai le goût
d’embrasser Lenny, mais pas tout le temps ; que je me sens
bien quand il me serre dans ses bras, mais pas du tout lorsque
son sexe devient dur ; que j’aime ses caresses, mais pas celles
au-dessous de la ceinture ?
Dans le fond, je crois que je suis trop pudique…
Il est hors de question que je parle à Josiane. Elle aime un
nouveau gars tous les trois mois. Selon moi, elle est trop volage
pour comprendre.

Il faut dire qu’il avait l’air fasciné
par mon corps dénudé. Malgré la gêne que j’éprouvais devant
son regard insistant, j’étais tout autant intriguée. Je me surpris
même à fixer sans gêne son entrejambe !
La suite m’appartient. La première fois ne se raconte pas,
elle s’expérimente. Malgré les maladresses dues à l’inexpé-
rience, une fille qui fait l’amour avec un gars pour la première
fois garde ce souvenir dans son cœur pour le reste de sa vie,
surtout si elle éprouve des sentiments amoureux pour lui, et ce,peu importe le dénouement de leur relation par la suite.
Tout ce que j’ajouterai c’est que, cette nuit-là, je suis
devenue une femme dans ses bras, et lui, un homme.

Une de mes meilleures amies avait franchi la frontière qui séparait l’enfance de l’adolescence. Et l’autre avait déjà fait plusieurs tentatives pour y arriver. Où me situais-je, au juste, par rapport à elles ? Qu’est-ce que j’attendais pour aller les rejoindre ?
Pour ça, il me fallait un chum ! Je devais donc procéder dans l’ordre. D’abord, je ferai du repérage. Ensuite, je choisirai
un garçon en particulier. Enfin, je m’arrangerai pour qu’il me demande de sortir avec lui. Tout ce qu’il y a de plus simple…

J’avais le désir irrésistible d’être toujours avec lui. Pierre-Olivier n’en pouvait plus d’attendre pour me voir. Le manque d’intimité n’aidant pas, nous devions réagir. Il nous fallait un plan d’urgence pour remédier à la situation, qui devenait insoutenable.
D’abord, nous réduisîmes nos disponibilités afin d’avoir une plage de deux jours de congé consécutifs. Cela nous fut
accordé. Nous avions donc deux semaines pour convaincre nos parents d’accepter que l’un de nous couche chez l’autre.

C’est devenu une source majeure de conflits entre ma mère et moi.
Elle prétend connaître les motivations inavouées des jeunes qui selon elle, se cachent derrière leur écran afin de ne pas révéler ce qu’ils sont en réalité.
Je ne sais même pas qui je suis vraiment moi-même ! Quand
je me regarde dans le miroir, je ne me reconnais plus. Imaginez
le choc quand j’ai constaté que je dépassais ma mère d’au moins cinq centimètres ! C’est le monde à l’envers.