Citations de Charles Morgan (16)
Le plus bel hommage que nous puissions rendre à un auteur n'est pas de rester attachés à la lecture de ses pages, mais plutôt de cesser inconsciemment de lire, de reposer le livre, de le méditer et de voir au-deLà de ses intentions avec des yeux neuf
Sous le choc d’une œuvre d’art, nous passons par une sorte de conversion. Notre raideur fond, notre cours reprend; nous avons la sensation, plus qu’à aucun autre moment, d’une prolongation en nous, comme si on nous donnait des yeux pour contempler le fleuve en amont et en aval, bien au delà de cette petite fraction qui est notre part de vie en ce monde.
Qui se lamente ? Un imbécile aux yeux mortels
Ose pleurer Sparkenbroke ?
Pleure sur ton propre exil, non sur ma vie.
Avec la Terre pour mère, le Sommeil pour femme,
Ici dans la matrice l'hiver est printanier.
Qui s'attarde ? Un Imbécile. Qui frappe ? Un Roi.
Oublier c’est tuer, se souvenir c’est recréer; et l’art de la vie consiste à s’accorder avec ses changements, en sorte qu’une perte , tout en restant une perte, n’est pas un corps en décomposition enfoui dans la terre, ou attaché à l’être captif, mais un principe permanent qui inspire l’homme libéré;
Il ne faut s’accrocher à aucune chose à cause de sa valeur propre, car sa valeur définitive n’est atteinte que par son abandon. La perte des choses passées ne saurait exister : ou bien elles ont atteint leur degré de perfection et ne doivent pas être pleurées, ou bien elles sont incomplètes et la nature les rejette
Arriver par un chemin quelconque à un état d'âme
en dehors duquel rien n'existe
est le but de chaque homme.
Il s'accroche à la moindre promesse qui semble l'en approcher ;
ses joies, ses amours sur terre, son art ou sa philosophie
n'ont de valeur qu'en proportion de la force de cette promesse.
S'il perd le monde par amour, c'est qu'au fond du cœur il désire le perdre,
s'en détacher et s'armer contre lui de la force de son extase.
Il perçoit le mouvement des choses,
le flux et le reflux des connaissances et il aspire,
ne fût-ce que pour un instant, à être semblable aux dieux,
invulnérable, tranquille.
Ils arrivaient au pied du remblai intérieur des remparts. Un banc se trouvait placé en retrait du chemin qui descend la côte, en face de deux petits lions de marbre, fragments d’un escalier démoli. Une patine lustrée de vieil ivoire éclairait leurs flancs et les rainures de leurs crinières; Sparkenbrooke en observa les lueurs gaufrées, en songeant que les choses inanimées sont les miroirs de la vie du spectateur : elles changent sans cesse, comme lui; à chaque rencontre elles paraissent nouvelles, sinon c’est le spectateur qui reste inerte. Ces lions semblables à des jouets, sont transformés parce que Mary est ici, se dit-il. Jamais jusque là je ne leur ai trouvé de personnalité, et à partir d’aujourd’hui ils ne cesseront d’en avoir; ce sont des compagnons qui écoutent, éveillés par elle, et qui savent qu’un jour, je passerai ici et me dirai : c’est à cet endroit que nous étions assis, elle et moi.
« Il me semble qu'on résout le problème de la vie, quand on a découvert ce qui doit prendre le premier rang. »
L'amour a beau s'élancer tout d'abord, en mille impulsions, au hasard, comme s'éparpille une poignée de graines, il ne développe de profondes racines, et ne se transforme en amour ardent, que s'il tombe sur deux êtres qui ont la même direction intuitive, au fond de leur subconscient.
Pendant qu'il écrivait, il se trouvait sans péché. Inventer c'était recevoir l'absolution, et le brillant effort de traduire en paroles ce que son imagination lui imposait, purifiait son être de tous les poisons.
- Alors vous ne voulez pas faire le portrait de Claire? commença-t-elle lorsque je fus en face d'elle.
- Il ne s'agit pas nullement d'une question de volonté, répondis-je.
-Vous ne le pouvez donc pas, voilà qui est plus grave. Pourquoi? Vélasquez était bien un peintre de cour, vous imaginez-vous qu'il choisissait ses modèles? Je lui accorde plus d'estime.
- Mais je ne suis pas Vélasquez.
Le désir n'a rien de mauvais, il est naturel, mais la différence entre le désir et l'amour est la même qu'entre les vers et la poésie ; comme la poésie, l'amour dépasse le but de l'amant, il déborde sur l'univers et le re-imprègne ; on en retrouve le signe dans les petites choses autant que dans les grandes, et surtout dans la suppression de certaines distinctions qu'on avait coutume de trouver naturelles et permanentes - par exemple entre le rire et les larmes.
Sa faculté d'écrire avait toujours servi de demeure à son être sur terre - la seule chose permanente et incorruptible à laquelle il pourrait revenir, le moyen de communication avec une réalité qui domine les accidents et les manquements.
L'art n'est pas une fin en soi ; peut-être arrive-t-on à passer, comme on va d'une pièce extérieure à une chambre intérieure, de la description du récit, au récit, de l'imagination exprimée à l'imagination qui se suffit à elle-même, et en toutes choses, y comprit l'art, de l'expérience de l'action à la certitude de l'être.
Le désir d'écrire ressemble au désir du corps ; tant qu'il ne se trouve pas apaisé, une tension subsiste, qui retire la vie à toute autre impression, mais une fois satisfait, la vie extérieure renaît, les cordes du cerveau se relâchent, le souffle de la pensée vient aisément.