Nombreuses sont les fictions décrivant ces temps-ci un futur totalitaire de moins en moins inimaginable
Ainsi le premier roman de l'autrice québécoise Chris Bergeron, Valide, et celui de l'écrivaine, féministe et performeuse Wendy Delorme, Viendra le temps du feu, qui ont en commun l'esprit de révolte et l'émancipation du corps féminin.
Valide s'affiche comme une «autobiographie de science-fiction» aux accents cyber-punk,
un mélange de thriller identitaire et de pamphlet anticapitaliste, qui raconte le parcours de double transition d'une femme, née homme devenu femme et contrainte de redevenir homme. Un combat intime contre une intelligence artificielle liberticide
Wendy Delorme nous plonge dans un monde qui n'est pas sans rappeler 1984 : les livres sont interdits, les frontières fermées et les femmes réduites à la procréation. Sauf de l'autre côté du fleuve où survit une communauté de résistantes qui existent ensemble «comme un grand corps frémissant.»
Deux romans dystopiques qui font germer en nous les graines vitales de la résistance et de l'imaginaire.
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Une rencontre avec Chris Bergeron (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/chris-bergeron/) et Wendy Delorme (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/wendy-delorme/), animée par Marie Hermann (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/marie-hermann/) et enregistrée en public au conservatoire Pierre Barbizet à Marseille, lors de la 6e édition du festival Oh les beaux jours !.
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À lire
Chris Bergeron, Valide, Philippe Rey, 2022.
Wendy Delorme, Viendra le temps du feu, Cambourakis, 2021.
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Montage : Clément Lemariey
Voix : Nicolas Lafitte
Musique : The Unreal Story of Lou Reed by Fred Nevché & French 79
Un podcast produit par Des livres comme des idées (http://deslivrescommedesidees.com/).
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La 7e édition du festival Oh les beaux jours ! (https://ohlesbeauxjours.fr/) aura lieu à Marseille du 24 au 29 mai 2023.
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Quand on naît aussi souvent que moi, on ne meurt pas facilement. Naissance, renaissance, re-renaissance. J'ai rarement été longtemps la même personne. Je n'ai jamais non plus vraiment été quelqu'un.
Le soir, je m'imaginais que je voulais être d'Artagnan; et puis juste avant de m'endormir, quand Christian baissait sa garde, je me rêvais en Milady. C'est en lisant que je fit l'apprentissage de la fluidité. Si Dumas pouvait inventé Milady, c'est qu'il avait une femme en lui, non?
La colère de Vader, je l'ai reconnue chez mon père. Beaucoup plus tardivement, je la décèlerai chez moi aussi. Le coté sombre des males de ma lignée. [...]
Moi, j'ai eu droit à une voie d'évitement qui m'a éloigner pour de bon de l'emprise de mon côté sombre: devenir Leia.
Sache d'abord qu'en tant qu'enfant du divorce je me suis toujours sentie dispensée de tout devoir matrimonial. Je n'ai jamais réussi à m'imaginer en train d'avancer, engoncée dans mes plus beaux habits, vers un prêtre censé me lier à tout jamais avec quelqu'un qui, inévitablement, ne voudrait plus de moi quelques années plus tard. Cette arnaque là, elle n'a jamais été pour moi.
Ce qui nous distingue des hommes, je crois plus que jamais que c'est le fait sue noud n'avons pas le droit de prendre congé de la perception de nos corps. Si on nous regarde, si on nous désire ou si on nous rejette, si on nous violente ou si l'on croit à notre parole, c'est toujours en relation à notre enveloppe et à la valeur qu'on lui attribue.
On n'en a pas beaucoup parlé, des femmes, n'est-ce pas? Des mecs non plus. [...] Tu vas commencer à croire que je suis pucelle. Comme Jeanne d'Arc ou le Chevalier d'Éon.
Dans l'espace, la langue de l'amour, ce n'est pas l'italien, le français ou l'espagnol. Dans l'espace, la langue de l'amour, c'est les mathématiques.
Quand un homme marche, il est dans sa tête. Quand une femme marche, elle est dans son corps. Elle n'a pas le choix. Et si, pour un instant, elle l'oubliait, alors elle trouvera toujours un homme sur sa course pour lui rappeler qu'aux yeux du monde elle est d'abord un amas de chairs.
Comment dire à sa maman qu'elle s'est trompée de corps en nous fabriquant ?
A force de multiplier les sorties "en femme", j'avais déjà perdu une bonne partie de mon innocence de marcheur. J'étais de plus en plus une marcheuse ; une marcheuse qui, quand elle marche, se transmute en machine de guerre. Je deviens un sous-marin doté d'un sonar performant, sensible au danger qui approche. J'analyse le terrain en temps réel, je fouille les angles morts. La vulnérabilité donne des superpouvoirs. (p. 124)