Christian Guenot

Aujourd'hui le constat est plus qu'accablant, rien ne s'est amélioré depuis le Grand Fléau, si ce n'est que nous sommes nettement moins nombreux qu'avant. Les seules véritables modifications furent essentiellement négatives pour la majeure partie des habitants de la planète, et une insulte à la notion même de démocratie.

Il se dirige avec lenteur vers le salon après s’être préparé une grande tasse de lassi, cette boisson au lait fermenté qu’il apprécie depuis sa prime jeunesse. Il s’installe douillettement dans son enveloppant et réconfortant fauteuil-cocon. Afin de se changer les idées, il allume l’invisible holocran d’un geste de la main dans le vide. L’usage de cet appareil est infiniment plus commode qu'il ne l'était pour les télés de son enfance, plus besoin de constamment chercher la télécommande. Les holocrans se contrôlent grâce aux impulsions cérébrales pour les omniconnects ou par le biais d’une sobre gestuelle pour les gens « normaux ». Les écrans holographiques sont paramétrés sur les rayonnements infrarouges émis par son possesseur. Le Nouveau Monde a veillé à simplifier la vie de ses adeptes, il a conçu pour eux une existence exempte d’efforts superflus, surtout des activités telles que penser ou réfléchir…
Ces merveilleuses technologies incitent à ne pas se fatiguer inutilement, à ménager à la fois ses neurones et ses muscles. Bientôt, plus personne n’aura besoin de bouger, si ce n’est pour se rendre au travail et un peu pour consommer. Mais, même pour ces raisons, Clément sait que ça ne durera pas. À ses yeux, il est inévitable que ses descendants deviennent de flasques feignasses avachies sur des canapés enveloppants. « L’homo-modernus » sera une sorte de mollusque décérébré… Cette image le ferait presque sourire… Quand il repense aux stéréotypes des hommes du futur qu’il voit dans les holofilms de SF qu’il dévore toujours, bien qu’il le fasse maintenant sans passion. La différence entre les deux modèles est affligeante ! Mais à aucun moment il ne doute que sa version sera la bonne. Se déplacer pour bosser et consommer devient peu à peu inutile. Voici de longues années que l’on achète de façon virtuelle, que beaucoup de jobs s’exercent à distance ! Il n’en reste plus beaucoup qui requièrent une présence physique du travailleur !
Est-ce vraiment un progrès ? Clem répliquerait que poser la question, c’est en partie y répondre ! Et en ce qui concerne les
considérations intellectuelles de ses semblables dans leur vie quotidienne, il estime que le combat est déjà perdu ! Il s’est rendu compte que leurs réflexions devenaient insignifiantes, les élémentaires analyses, pourtant nécessaires à la compréhension du monde, inexistantes des débats publics. Les humains ont cédé devant le matraquage médiatico-étatique, les holocrans et l’Infosphère ont eu raison de leur volonté.

J’espère qu’il reste une part de bonté blottie au cœur de l’être humain, tapie dans l’ombre, n’attendant que l’opportunité d’éclore. Peut-être que s’il est élevé différemment, s’il n’est pas sans cesse avili et contrôlé, il montrera ce qu’il est réellement ; qu’il mettra en œuvre le potentiel qu’on lui prête depuis si longtemps. Que cette fois, l’humanité vivra enfin heureuse dans un monde harmonieux. C’est le seul et unique but qu’elle devra se fixer désormais.

J’observais une civilisation à la dérive, sans avoir les
moyens de modifier le cours des choses. Le Grand Fléau n’aura
été qu’un soubresaut dans notre déclin annoncé, comme le fut,
à un degré moindre, l’épisode de la Covid, une simple étape
avant l’inexorable. Chaque avancée du « génie » humain me
laissait prostré devant son inanité. Cela faisait si longtemps
que j’avais perdu tout espoir, si tant est que j’en aie eu un jour,
de découvrir une étincelle d’intelligence chez mes semblables…
Le cynisme et le fatalisme avaient vaincu mes convictions les
plus élémentaires. Je ne voyais pas d’issues possibles ni à titre personnel ni pour l’humanité dans sa globalité.

Lire est la meilleure évasion possible, jamais il ne pourrait fermer l'œil sans avoir parcouru quelques paragraphes de son roman du moment.

Demande-t-on à un hetero pourquoi il n'est pas homo ? Non ! Et c'est normal ! Pout quelle raison le contraire n'a jamais choqué personne ?

Remettre leur neurone - et le singulier n'est pas une erreur ! - dans son logement, puis ressouder deux ou trois synapses défaillantes.

Car c'est une évidence, on ne peut penser ce que l'on est impuissant à nommer. C'est aussi basique que ça.

Depuis son départ, Clément n'a jamais cherché de nouvelle âme frère.