Soren à la Comédie- Française, en juin 2015, a lu un extrait de "Le premier défi de Mathieu Hidalf" lors de l'évènement "Les petits champions de la lecture".
"Moi j'ai un âge nul et inutile ! C'est un scandale que je sois si jeune par rapport à mon intelligence ! Vous avez fait exprès de m'avoir en troisième !"
- D'après toi, comment dois-je procéder pour qu'elle ne soit plus amoureuse de moi?
- Sois toi-même, suggéra Juliette avec un sourire. Sans vouloir te vexer , personne à part tes soeurs et notre mère, ne peut aimer Mathieu Hidalf plus d'une semaine.
Puis il chuchota en fixant Mathieu au fond des yeux :
- Une bêtise, l'ombre d'une bêtise, le simulacre d'une bêtise, la rumeur d'une bêtise, l'idée même d'une bêtise, et tout le monde se rappellera le jour de l'anniversaire de Mathieu Hidalf comme celui de la plus grosse punition jamais infligée à un enfant ! C'est bien compris ?
- Je suis furieux. Si seulement j'avais onze ans! Ou si seulement, en consolation, j'étais assez intelligent pour tout savoir sans rien apprendre, comme Juliette d'Airain! Mais moi, je ne peux jamais apprendre ce que je ne sais pas! Juliette d'Or est la plus belle, Juliette d'Airain la plus intelligente, et j'ai l'âge le plus inutile du monde! Cet anniversaire est un des pires jours de ma sinistre existence... Même mes cadeaux ressemblent à des châtiments!
Il serait injuste de crier sur les toits que M. Rigor Hidalf n'aimait pas son fils. Mais comme il l'aimait davantage quand il ne le voyait pas, ne l'entendait pas et n'y pensait pas, il lui avait infligé la plus terrible punition qu'ait pu imaginer son esprit si peu imaginatif. Il l'avait congédié au sommet de la tour des Enfants, dans sa chambre gigantesque, depuis bientôt douze mois. Et le malheureux Mathieu ne pouvait en sortir que tous les matins, tous les après-midi et tous les soirs, dès que M. Hidalf avait le dos tourné.
Il déchira le paquet d'un geste théâtral, et demeura un instant perplexe en découvrant quelque chose qui ressemblait vaguement au pire cadeau qu'on puisse offrir à un enfant normal, c'est-à-dire... un livre! C'était presque déraisonnable, car il y en avait trois piles, trois piles de livres épais comme des dictionnaires, garnis d'une reliure de cuir.
Le vieux consul de Darnar, Armémon du Lac, qui détestait l'orage, les enfants, les chiens et les chouettes, se tournait les pouces malgré son arthrite, assis dans un fauteuil à bascule, entre quatre nourrices soufflant sur sa tisane. Le vieil homme considéra une par une les quatre têtes de Bougetou, en écarquillant davantage ses yeux noirs à chaque regard. Son front se plissa comme un journal froissé; il annonça gravement :
- Rigor, j'ai une mauvaise nouvelle.
Le consul était un homme assez peu démonstratif. La dernière fois qu'il avait annoncé une "mauvaise nouvelle", la moitié de Darnar venait de disparaître dans un incendie, si bien que M. et Mme Hidalf se dévisagèrent avec une vive inquiétude.
- Un jour, intervint la petite Juliette d'Airain, j'aurai ma statue, moi aussi, sur la façade du château du Lac, et je serai lapremière fille élitienne!
- Ou alors, proposa Mathieu, tu auras ta statue dans un champ, et tu seras la première fille épouvantail!
C’est mon anniversaire, docteur, et je vais rater celui du roi à cause d’un chien et d’un père tortionnaire. De quoi souffre-t-il ?
- Votre père ?
- Non, pardi ! Mon chien !
- D’un mal de tête.
- Un mal de tête ! s’indigna Mathieu. Et moi, quand je prétends que j’ai mal à la tête, on ne me laisse pas jouer dans ma chambre toute la journée, que je sache ? Un simple mal de tête ?
- Étant donné qu’il en a quatre, son mal de tête est potentiellement problématique, rétorqua le médecin.
Posé sur une petite table, un miroir doré, sur le manche duquel le prénom de Juliette d'Or était gravé, reflétait le plafond de la bibliothèque. Mathieu le brandit et déclama, sur un ton ridicule :
-Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ?
Pendant une seconde, Mathieu Hidalf cessa de respirer. Le visage de la comtesse Dacourt venait d'apparaître dans le miroir.
-Un miroir magique ! s'écria-t-il, stupéfait. Je n'ose pas y croire ! Juliette me l'avait bien caché !
-Au risque de vous décevoir, Mathieu Hidalf, refléter est la caractéristique première d'un miroir, et n'en fait absolument pas un objet magique, répondit une voix glaciale dans son dos.
Mathieu faiilit s'écrier : "Et en plus, il parle !" Mais une ombre était tombée sur lui. Il aperçut alors la comtesse Dacourt, en chair et en os, illuminée par les nymphettes de la bibliothèque.