Thomas Piketty pour les nuls (et c’est bien)
Durant une dizaine d’années, Claire Alet a travaillé comme journaliste, puis rédactrice en chef adjointe, d’Alternatives économie, un magazine mensuel traitant, comme son nom l’indique, de faits économiques et sociaux. La publication, qui appartient majoritairement à ses salariés, a une ligne éditoriale que l’on peut plutôt classer politiquement à gauche, mettant régulièrement en avant les théories néokeynésianistes. L’autrice ne cache d’ailleurs pas ses convictions militantes, et l’on peut imaginer que la parution, en 2019, de l’essai de Thomas Piketty, Capital et idéologie, ne l’a pas laissée de marbre. Ce pavé de 1 200 pages contient des propositions qui font figure de programme politique pour l’ancien conseiller économique de Benoît Hamon. Caire Alet décide de s’en inspirer largement pour écrire le scénario d’un roman graphique, dont les dessins seront assurés par l’illustrateur jeunesse Benjamin Adam, et qui s’intitule tout simplement Capital et idéologie, d’après le livre de Thomas Piketty.
Le début
À l’orée du XXe siècle, à Paris, Marthe travaille en tant que domestique dans l’hôtel particulier de Jules. En lisant le Figaro, celui-ci s’offusque du projet de loi sur la fiscalité, porté par le ministre des finances Joseph Caillaux. Il s’agit d’instaurer un impôt sur le revenu, ce qui ne plaît pas à l’opposition, et aux grandes fortunes, dont font partie Jules et son ami Ernest. À l’époque, en Europe, les 10 % des plus riches possédaient jusqu’à 90 % du patrimoine, tandis que a moitié des plus pauvres n’en possédaient qu’environ 2 %. Or, en France, le système fiscal qui date de la Révolution était basé sur l’impôt proportionnel, où le même taux était appliqué, quel que soit son niveau de richesse. La redistribution était alors faible, et favorisait l’accumulation du capital dans les tranches de revenu supérieures. Passer à un système d’impôt progressif augmenterait le taux d’imposition des tranches de richesses les plus élevées, et favoriserait ainsi une meilleure redistribution sociale.
Analyse
Le projet à l’origine de Capital et idéologie, d’après le livre de Thomas Piketty, est ambitieux. Adapter un essai d’économie, dense et parfois ardu, en une bande dessinée, n’est pas chose aisée. L’idée de départ, pierre angulaire de la narration, est la création d’une famille de rentier, dont nous allons suivre les aventures de génération en génération. Nous commençons au début du XXe siècle et observons à grands traits les évolutions sociétales qui vont accompagner les divers faits historiques qui s’enchaînent. Entre deux rencontres, les théories économiques qui sous-tendent l’histoire sont expliquées sommairement, et de façon largement pédagogique. Ainsi en est-il de la redistribution fiscale, des impacts économiques de la colonisation ou des théories monétaristes dont se sont inspirés de nombreux acteurs de la sphère politique internationale. Sont ainsi évoqués pêle-mêle le New Deal de Franklin D. Roosevelt, la crise de la dette publique grecque ou le « Thatchérisme ».
Bien entendu, le principe fondamental de Capital et idéologie, d’après le livre de Thomas Piketty, est de rendre toutes ces idées économiques accessibles au plus grand nombre. Des raccourcis de pensée, tout comme historiques, sont donc nombreux, et Claire Alet n’abreuve pas ses lecteurs de chiffres ou de graphiques. C’est d’ailleurs avec humour que l’autrice introduit les premières statistiques de l’ouvrage, qui contient plusieurs adresses au lecteur en notes de bas de page. Ainsi Claire Alet se départit régulièrement de la neutralité idéologique, qu’elle ne prétend pas avoir. Les théories qu’elle présente, de façon tout à fait juste d’un point de vue académique, n’en demeurent pas moins biaisées, ne serait-ce que par le fait qu’elle ne présente pas les contrepoints et critiques idéologiques qui leur en sont faites. De même, quand elle évoque avec une certaine malice les débats qui ont eu lieu sur France inter entre Thomas Piketty et Dominique Seux, personne n’est dupe de l’orientation qu’elle donne à ses commentaires.
Ainsi lorsqu’elle présente en une vignette un argument économique de la campagne d’Emmanuel Macron en 2017, c’est pour insister sur le caractère socialement injuste qu’elle engendre. De même, la mention de la théorie du « ruissellement » est-elle associée aux politiques menées par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, précisant bien que combien ces actions ont pu engendrer d’inégalités. Du reste, Capital et idéologie, d’après le livre de Thomas Piketty contient à la fin quelques propositions qui font office de programme électoral pour un potentiel candidat de gauche à une présidentielle. Tout ceci est cela dit très fluide, les illustrations de Benjamin Adam sont élégantes et accompagnant judicieusement les propos. On ne s’ennuie pas, on apprend ou on révise quelques notions de base sans que cela ne soit rébarbatif. Le projet en soi est donc à encourager, et même si la présentation des idées est parfois trop résumée, on peut saluer la rigueur, mâtinée de fantaisie, avec laquelle le travail de pédagogie est mené.
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