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Citations de Claude Vigée (118)


Claude Vigée
L’eau des sombres abysses


Evy, si tu m’entends encore là-bas, où tu n’es plus,
sache que tout me manque de toi, ton corps, tes yeux, ta voix et ta vive présence,
mais sache aussi que je tente de faire ce que tu m’avais dit
quelques semaines à peine avant de t’en aller dans le noir :
« Quand je serai partie, tu finiras ton livre,
tu en commenceras d’autres, si Dieu t’en donne envie,
car du puits secret de la vie jaillit la neuve poésie,
et souvent répond le génie à l’appel muet du destin.
Si je l’entends là-bas, j’en aurai du plaisir ;
mais quand viendra l’instant de glisser dans la nuit,
laisse-moi doucement, sans cris, sans mots, partir :
chacun de nous doit boire seul l’eau des sombres abysses. »
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Claude Vigée
Le ballet de printemps

pour Anne Mounic

« Et la nuit,
où vont-elles,
les vives hirondelles ? »
demande Evy à sa chère Anne,
en suivant de son doigt
les cercles qu’elles tracent, –
élargissant leurs cris
au-dessus de nos toits
dans le ciel rose et brumeux de Paris.
Mon Evy siffle-t-elle aujourd’hui dans le noir,
dès que les belles hirondelles
dansent au ciel avec le soir ?

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. La clef de l'origine


Je franchis le seuil du cimetière de campagne juif en Basse-Alsace
Où j'allai tout enfant avec mon père dans les averses de mars
Après l'hiver impénétrable et le brouillard d'école
Poser des graviers blancs
Sur l'arête des hautes stèles grises rongées de givre.
Maintenant c'est l'heure ultime de l'été,
Les punaises rouges et noires
Font l'amour en dormant sur le seuil de grès concave usé par
les morts,
Haché de barreaux d'ombre entre les grilles rouillées
Qu'étrangle la grosse chaîne toujours cadenassée portant l'écriteau:
«S'adresser à Mr Abraham Weill, ministre officiant, ou au bedeau.»
Ils sont tous là les aïeux de père et de mère
Les surgeons de Jacob les rameaux de Jessé
Les proches parents du Messie l'holocauste sanglant des nations
Les boucs émissaires qui emportent au désert le péché –
Ceux qui vendirent du drap à tout le canton sous Napoléon Trois
Ceux qui ont fait une distribution gratuite de froment et de
haricots secs
Au moment de la disette dans les premiers mois de la Restauration
Ceux qui furent conscrits en 70 et gardèrent leur bâton de tambour-major
Caché sous l'ais du grenier dans un ruban de soie tricolore,
Jusqu'à ceux qui naquirent dans un ghetto de village mal oublié
Pendant que l'avenir œuvrait pour eux sous la Terreur –
Au rang de leurs cadets il en manque une trentaine
Qui furent brûlés vifs voilà huit ans à peine
Par la main des Gentils
Dans les fours crématoires de Pologne ou d'ailleurs:
Il reste un grand dépôt de jouets à Belsen –
Des cendres de l'exil ayez pitié Seigneur
Je reviens d'Amérique
Leur rendre visite comme autrefois au début du printemps
J'allais vers eux depuis l'Amérique autrement lointaine de l'enfance.
C'est pour leur signifier qu'entre nous le pacte n'est point rompu,
Que nous sommes toujours en relations charnelles
En dépit des difficultés internationales
Et du prix montant des moyens de transport transatlantiques.
Nous sommes demeurés en contact de monde mort à monde mort
Et nous n'entreprenons rien sans consultations réciproques
Dans la grande cité souterraine
De la paix qui nous unit depuis l'origine.
(…)
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Claude Vigée
Mes grands-parents paternels parlaient le dialecte alsacien pur – celui que j'ai
appris à Bischwiller, par le truchement de mon père. Mais leurs grands-parents, qui
sortaient de la rue des Juifs de Gundershoffen, sous Louis XVI, au moment de la Révolution, et allaient à Haguenau, ceux-là parlaient entre eux un judée-alsacien très
différent de l'alsacien classique, dont la phonétique, ainsi que le lexique, étaient
autres.
Cette langue réservée à mes aïeux en Alsace contenait de nombreux mots-clef
d'origine hébraïque. Je suis sûr qu'elle leur permettait d'exprimer spontanément
tout ce qu'ils avaient à se dire. Elle véhiculait non seulement les données du commerce ou de la cuisine juive, mais celles des rapports intimes, de la fête, de la tristesse,
ainsi que les éléments de la moquerie la plus féroce. C'était leur langue véhiculaire
depuis le Moyen Âge. Mais elle était devenue par la suite, après la Révolution, un
jargon dont on avait honte, une langue enterrée vive.
Mes grands-parents paternels, depuis longtemps embourgeoisés, n'auraient jamais accepté de parler librement le judée-alsacien entre eux, et bien moins encore
devant les autres. Ils en connaissaient des bribes, mais celles-ci n'étaient ressorties
de la crypte funéraire que dans des circonstances où l'on ne pouvait pas se contrôler,
les grandes joies, les grandes peurs, les fous rires, les événements extraordinaires.
Elles servaient à dire les choses les plus tendres… ou les plus scabreuses! Mais ils
n'étaient plus capables d'en user pour soutenir une conversation. Ils exprimaient
à travers ces débris du parler ancestral les choses du cœur les plus profondes, en
même temps que les plus gênantes ou les plus triviales du monde, mais ils les retrouClaude Vigée à 12 ans
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vaient fragmentairement, et par à-coups seulement. Ils étaient donc déjà mutilés,
affectivement, dans l'ordre de la parole; bâillonnés dans leur vécu quotidien, à la
fois le plus intime et le plus banal.
En revanche, mon grand-père maternel, Léopold, qui venait droit de la campagne, a continué à parler le judéo-alsacien jusqu'à sa mort en 1937. Faute de maîtriser l'allemand classique, ou le français, il s'en était servi toute sa vie, avec les
siens, dans son village natal de Seebach, près de Wissembourg. Quand il est arrivé à
Bischwiller à soixante ans, vers 1905, il a forcément continué à s'exprimer dans son
patois juif de toujours. De lui seul j'ai appris, par osmose, entre cinq et seize ans, le
dialecte judéo-alsacien vivant et complet, que mes grands-parents paternels, eux,
ne maniaient plus depuis cinquante ans, et mes parents bien moins encore.
Vous voyez qu'à ce niveau même, j'ai été préservé de la mutilation qui a frappé
mes parents dépossédés de la langue véhiculaire ancestrale authentique. Pour manifester des nuances de pensée et de sentiments autrement inexprimables, je me
sers encore parfois de tournures de phrases entières de ce dialecte, à peu près complètement perdu aujourd'hui, avec l'exode de nos Juifs hors des campagnes.
Je me demande si les jeunes Alsaciens quasi francophones, de l'Alsace actuelle,
ne subissent pas, à la façon de mes parents, les conséquences psychiques de la faille
que j'ai décrite tout à l'heure. Leur français est au mieux un français pasteurisé, correct, mais tout à fait standard. C'est le français de l'école, de la télévision, des journaux, du supermarché à libre service, des «bulles» de mots stéréotypés encombrant
les bandes de dessins dits animés. Ce langage est acquis comme un vernis qui colle à
l'ongle et ne craque que rarement à l'œil nu.
Mais que se passe-t-il quand il est question des choses du ventre, de la peur, de la
nostalgie, de la colère, en un mot: de l'imprononçable; dès qu'on touche à l'alpha
et à l'oméga indicibles, aux limites cruciales de l'expérience humaine?

Le Parfum et la Cendre
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LE RUBIS DE L’ÉTÉ



Le rubis de l’été
flambe dans la rosée :
sur nous la majesté
du monde s’est posée.

Comme l’espace enferme
et divulgue le jour,
dans la parole germe
la gloire du retour.

Haute présence
ô clarté sainte
ô verbe enfin concilié.

Double silence
et simple étreinte,
ô monde enfin sanctifié.
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DEPUIS L’ORIGINE

Depuis l’origine
toute l’eau s’est évaporée.
La fêlure est dans l’os. Dehors
sur la sphère aplatie et sèche de la terre
c’est un craquèlement d’argile désertique –
ruche d’abeilles mortes, engluées dans leur miel ;
la cire s’est muée en alluvions opaques,
croûte d’excréments perforée d’alvéoles scellés.
Monde de sourds-muets. Chacun, sans la parole,
est un juge effrayant pour l’autre qui l’annule.
Un meurtrier se tapit derrière chaque fenêtre.
Ni pain, ni syllabes complices
à rompre en compagnie
face à la nuit qui croule, après la jeune pluie,
sous la vendange des étoiles de l’automne...
Ici, rien à manger. Une moisson de ronces.
Plus rien à dire : un tison pour la paille !
Tous sont voués au feu.
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Il existe en nous un bon et un mauvais silence.



Le bon silence, c’est celui de l’écoute,
celui de l’ouverture de l’âme à l’art, à la lumière et à la nuit,
à la parole initiale
dont toutes les autres ont pu sortir dans la durée d’une vie.

Le roi David, dans un psaume, remercie Dieu
de lui avoir profondément « creusé l’oreille ».
Retrait en nous, caché derrière le voile des formes,
des images, des événements fugitifs,
s’abrite le lieu de toute confiance
et de plénitude dans le repos

parfois je l’appelle le lac de la rosée –
d’où jaillit, hors du silence,
la possibilité de la perception des choses,
et de la parole en même temps.
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Le temps ne coule plus, il jaillit...
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Qu’est-ce donc que la poésie ? Un feu de camp abandonné
qui fume longuement dans la nuit d’été
sur la montagne déserte.

Retrait du monde et de moi-même,
souvent je l’ai entendu germer
dans la pierraille de la montagne,
le grondement muet dont naîtra le tonnerre.
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Ce poème composé de huit courts chapitres, cent dix-sept versets au total, est l’un des livres les plus brefs de la Bible. Ajoutons que certains commentateurs considèrent qu’il s’agit plutôt d’un recueil de poèmes ayant pour dénominateur commun le thème de l’amour.
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Pour moi Loth est l’incarnation de l’homme moyen privé de la moindre envergure spirituelle, qui est prêt à tous les compromis tant que les choses de ce monde vont bien pour lui, et que ses petites affaires prospèrent.
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Claude Vigée
« Tu choisiras la vie » : quels poètes issus du passé européen récent oseraientils adhérer sans réserves, ni restrictions mentales douloureuses, à ce
commandement ultime, le plus sévère peut-être, le plus exigeant sans nul doute de
la loi de Moïse ? De nos jours, le seigneur de l’abîme, plutôt que celui du Sinaï,
joue partout le rôle du séducteur triomphant. Peu nombreux sont ceux qui
s’arracheront à leurs liens, aux attachements ou aux conflits qui les enchaînent à
ce monde en confessant, avec Goethe : « Ainsi qu’elle a pu être, la vie, elle était
bonne ! »
Pourtant j’ai connu dans ma jeunesse un tel poète, qui m’a fait l’honneur de
me compter parmi ses amis lors de notre long séjour en Amérique. Saint-John
Perse, disparu en 1975 à un âge avancé, a su manifester son choix audacieux de la
vie dans sa vaste œuvre à la fois épique et lyrique, aussi bien que dans les
multiples activités qui remplirent ses journées au service de l’Etat jusqu’à la
défaite de juin 1940. Comme Lyncée, le gardien visionnaire de la tour du Second
Faust (acte V), il aurait pu s’écrier du sein de « la nuit profonde » de son temps :
Vous, mes yeux bienheureux,
Ce que vous avez vu,
- Advienne que pourra -,
Cela était si beau.
Dans l’œuvre du poète français moderne nous retrouvons – comme chez
Goethe jadis –, la braise secrète de l’âme alliée à la lumière libre du monde
extérieur dans « l’œil solaire », qui irradie l’espace jusqu’aux confins du temps
humain. Saint-John Perse n’a pas abandonné son combat avec l’ange, afin de se
réjouir d’une vie continuée dans l’avenir indistinct. Aspiration inguérissable aux
lendemains inconnus, confiance hardiment placée dans l’impossible hic et nunc :
ce sens vital indompté constitue, à mes yeux, l’héritage le plus précieux que nous
ont légué des poètes tels que Goethe, le Rilke tardif des Sonnets et des Elégies, ou
Saint-John Perse. Mu par leur exemple, je me suis pris plus d’une fois à
murmurer, lors de mes heures de tristesse et d’abandon, en faisant appel à mon
dialecte alsacien natal : « Peu importe ce que nous réserve le sombre lendemain :
même aujourd’hui, il ne fait pas encore nuit tous les jours… » S’isch nonit àlle
4
Dàà Nààcht. A travers les hauts et les bas de mon existence, j’ai bien retenu cette
leçon.
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Claude Vigée
Dieu qui n’est fait de rien,
Et qui a pour nom : « Peut-être »
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Claude Vigée
Et quand un voisin l’appelle et lui demande :
« Que fais-tu chez toi, tout seul, chaque jour ? »,
il répond :
« Rien de spécial. J’attends mon tour. »
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Tu m’apparais parfois dans la clarté de l’âme
Belle et secrète comme la nuit d’hiver
Ou blonde, claire et nue telle une aube d’été,
Avec ton grand sourire et ton regard d’enfant
Toujours folle de vivre, et soudain presque triste…
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Je parle une langue
Que personne, bientôt, ne parlera plus
Et avant que le temps vienne à manquer
Je dis encore
Comment tout s’appelle
Et je le mets par écrit
Afin qu’il en subsiste quelque chose
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Quand bleuira l’été dans les saules rhénans
Nous fuirons vers la tendre auberge des sous-bois,
Le long d’un chemin creux coupé de marécages
Nous nous enfoncerons dans la clarté des feuilles
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RIEN N’EST JAMAIS PERDU


Rien n’est jamais perdu tout entier dans ma vie,
aucun été ne sombre à jamais dans la nuit :
mon cœur sait rappeler tant d’oiseaux par leur nom —
mes vergers ne sont pas livrés à l’abandon.

Dans le bois automnal où brûle un mur de feuilles
je suis bu par l’œil noir et rond de l’écureuil.
Opticien de l’amour, géomètre des larmes,
quel monde naît de moi dans son berceau de cils ?

La pierre est l’œil fermé de la terre immobile.
Dans la prison nocturne où son cristal s’accroît
l’éclair de mon regard la revêt de ses armes.

À chaque essor du jour mes paupières s’envolent,
les grives font leur nid dans mes moindres paroles,
une étoile palpite au bout de mes dix doigts.


p.101
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L’AMANDIER SOUS LA LUNE


Extrait 3

Germant au cœur vieilli de la terre mortelle,
clarté de la mi-nuit, rends mon âme nouvelle !
Sorti vainqueur du temps avant d’être créé,
à soixante-dix ans je commence ma vie :
l’air de Jérusalem est doux à la mémoire,
je m’y sens plus léger qu’un poulain nouveau-né.
Si j’ai les cheveux blancs, c’est qu’ils sont pleins d’étoiles,
la musique est joyeuse encore à l’approche de l’ombre.
Ivre de refleurir au plus noir de l’hiver,
l’amandier sous la lune écoute l’invisible
rouge-gorge caché sous le buisson de givre.
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L’AMANDIER SOUS LA LUNE


Extrait 2

Sur l’infime épaisseur des mots nous patinons
à reculons depuis l’enfance ;
nous chantons, nous dansons
vers l’infini sans regard et sans nom.
À peine un éclair sur la glace,
dans une poésie est inscrite la trace
de l’oiseau qui raya la fragile surface.
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