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Citations de Claude Vigée (118)


Claude Vigée
8

Feu le dernier rabbin de Bischwiller, mort dans un accident de motocyclette en 1938, n’était pas une lumière de la Torah, mais il jouissait d’un solide bon sens, et connaissait les faiblesses de ses ouailles peccables, autant qu’infidèles à la loi d’amour émanant du Sinaï.
Un jour, on cite en exemple devant lui un frère et une sœur qui s’adorent, et s’entendent sur toutes choses depuis toujours. Leur bonne entente fut la joie de leurs parents, récemment décédés. « A la bonne heure, voilà des enfants modèles », opine notre rabbin avec conviction. Puis il ajoute à mi-voix, prudemment : « Ont-ils déjà partagé (l’héritage) ? » - « Hàn sé schun gedeilt ? », en alsacien du cru. Aïe, c’est là que gîte le lièvre, un animal impur s’il en est.
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Claude Vigée
7

A propos du rêve tardif d’Evy, daté du 1er décembre 2006 à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne, sur la conception et la destruction de l’embryon, je trouve dans le psaume 139 les versets suivants : « Tu m’as tissé dans le ventre de ma mère. […] Tes yeux ont vu mon embryon (mon golem). » (v. 13 et 16) La prescience poétique du psalmiste-prophète me fait aujourd’hui froid dans le dos.
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Claude Vigée
6

Quelle que soit leur vocation particulière, les experts sont tous des gens spécialisés dans l’art de faire croire à autrui qu’ils savent vraiment quelque chose, dont dépend le destin du monde.
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Claude Vigée
5

Les morts n’ont jamais de train en retard à prendre, pas plus qu’un train qui partirait à l’heure. Ils n’ont pas à tuer des heures d’attente étouffantes, allongés sur une civière bancale, dans les couloirs surpeuplés de mourants en goguette qui encombrent les services d’urgence des grands hôpitaux de la métropole. Ils en ont de la chance, les morts… Ils ont déjà oublié d’attendre.
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Claude Vigée
4

« Nous devons toujours veiller à respecter le sommeil des Gentils, nos sympathiques voisins », professait, vers 1935, six ou sept ans avant la Shoah, dans sa profonde sagesse, mon aïeul Lébold, natif de Seebach dans l’Outre-Forêt, en Basse-Alsace. « Explique-moi donc pourquoi, grand-père ; n’est-ce pas là le dernier de nos soucis ? » - « La raison, mon petit, en est simple et claire : tant qu’ils dormiront sur leurs deux oreilles, c’est le seul moment où nos bons voisins ne sortiront pas un beau matin de chez eux pour aller rosser un petit Juif comme toi, en attendant de faire bien pire encore, – comme autrefois ! » Pour prévoir les fours d’Auschwitz, il suffisait de se souvenir des bûchers de l’Inquisition ou des pogroms de la Sainte Russie. Toujours et partout, depuis vingt siècles au moins, les Juifs sont contraints de vivre dans un état d’alarme perpétuel.
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Claude Vigée
Cahier parisien 3

Dans un monde d’assassins chevronnés comme le nôtre, seuls les apprentis meurtriers font encore des études supérieures respectables. Il y a des instituts de technologie avancée pour ça. les autres facultés sont bonnes à terme pour les fours crématoires. Mais avant tout le reste, on fera un beau feu de joie pour les humanités.
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Claude Vigée
Cahier parisien 2

Un photographe d’art de mes amis, excellent physionomiste de surcroît, me fait remarquer tout à coup, à mon grand effroi doublé d’amusement, que la plupart des gens ne possèdent pas vraiment de tête à eux. Ils exhibent souvent à sa place une double nuque, qui encercle leur cou gras, et l’ornemente des deux côtés. Mon photographe, en juge équitable des visages humains, fait une exception notoire pour les grands footballeurs et les rugbymen champions dans leurs catégories sportives ; ceux-là ont effectivement une tête ronde ou ovale à souhait. Mais elle se situe toujours en bas, juste devant le gros orteil de leur pied droit. Je n’y aurais jamais pensé tout seul, mais rien ne vaut le coup d’œil expert d’un artiste, l’arrêt sur image d’un vrai connaisseur de l’espèce humaine.
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Claude Vigée
Cahier parisien 1

Qui oserait parler de survie en poésie ? Au mieux, les livres d’un auteur défunt lui promettent fallacieusement un temps variable de surmort en bibliothèque, – tant que subsisteront des bibliothèques accessibles, dans le monde virtuel du Net. Voilà un grand sujet de réjouissance et de consolation.
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L'AMANDIER DE JÉRUSALEM


Ce n'est qu'un petit arbre, en sa rondeur fragile,
qui veut s'épanouir au cœur du firmament
:
pourtant c'est lui, soudain, qui s'est couvert de fleurs,
on dirait dans le ciel un bouquet de comètes
!
Ses griffes blanches et roses, ses languettes de flammes
dardent tôt le matin au bout de chaque tige,
entre les ongles tendres des bourgeons annelés
gluants comme du miel,
autour desquels murmurent, heureuses, les abeilles
butinant le soleil dans un jardin d'été…
Et si c'est pour cela
qu'inconsolés, pendant deux mille années,
chassés au bout du monde par l'implacable vie
du pays-du-matin, vu seulement en rêve ,
nous avons attendu au fond de la nuit froide
comme des morts enfouis dans le sable et la boue, –
malgré tout, malgré tout, chers enfants du bon Dieu,
il refleurit pour vous sur la grille de la porte,
l'amandier qui s'élance au-dessus du jardin,
hors du cœur rajeuni de cet hiver de roc.
Sous leurs ailes de duvet immenses
par les tempêtes blanches des aubes de janvier
bien protégé contre l'ange de la mort,
soustrait au bec du méchant corbeau noir
qui veut se rassasier du germe de la vie,
déjà mûrit secrètement en toi
comme au milieu d'un feu de printemps clair et doux,
avec tout son tissu de cellules lactées,
le fruit de l'amandier aussi pur que le miel!
Là-haut, sur ton étoile errante
à l'œil vert et doré d'éclair,
qui vole dans la nuit par les isthmes du ciel
lorsque sur la terre étrangère
longtemps il neige encore sur les pays sans nom, –
tu te mets à fleurir, et tout à coup tu chantes
par chaque tige nue de ta jeune couronne,
comme au début de juin les abeilles bourdonnent
dans la lumière verte au lever de l'aurore,
et tressent une natte blonde
sur tes tempes tièdes d'enfant,
oui, bien qu'il te menace, l'archange de la mort,
contre lui justement,
malgré tout, malgré tout
tu demeures pour moi la fiancée d'été,
ma toute jeune, ma toujours belle,
ma nouvelle Jérusalem!
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. Entre la Basse-Alsace et la Haute-Judée


Errance, avenir, fête!
À cause du méchant Titus
ou du brave Mathusalem,
depuis vingt ans et plus
(quelque deux millénaires)
nous faisons la navette
entre la Basse-Alsace
et la Haute-Judée.
À bout d'espace,
à court d'idées,
de Strasbourg à Jérusalem
nous visitons nos cimetières.
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. Par hasard


ce matin
c'est un quatre juillet
l'attentat quotidien
a lieu
place de Sion justement
la glacière piégée
a sauté
en plein ciel
chaque instant
sur la vie
tombe le couperet
il y a treize morts
soixante-dix blessés
une mauvaise blague
ça c'est fait par hasard
Ehéiéh asher éhéiéh
Pour nous depuis Auschwitz
l'holocauste est perpétuel
les corps sont ceux de nos enfants
brûlés vifs
soufflés
déchiquetés
ein Tag ein Wort des Gesanges
der steinernen Zukunft
abgerungen
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. Le défi


Nos pères à la nuque roide
Ont duré dans l'exil:
Pendant deux millénaires,
Sous la double menace
De meurtre et d'asphyxie
Ils n'ont pas embrassé les genoux d'Esaü
Ils n'ont pas pris la voie la plus facile.
À la trahison de soi
Ils ont préféré le combat de Jacob.
Sous le rire des tueurs
Ils n'ont jamais haï leur propre chair.
Dans la honte et dans le feu
Ils se sont maintenus semblables à eux-mêmes,
Ils n'ont pas vendu leur droit d'aînesse
Pour un plat de lentilles,
Ni troqué la sainteté contre un lit d'argile.
Ils n'ont point confondu la vie avec la mort,
Ni tué pour périr, comme font chasseurs d'hommes.
Ils n'ont pas endossé l'habit sanglant d'Edom.
Donc :
«Un peuple d'élite, dominateur et sûr de lui»
Qui met l'orgueil des puissants au supplice.
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Jérusalem

(…) Sur cette terre aride où, dans le sel des larmes,
Ne descendit jamais une goutte de pluie,
Le reste de l'exil vient comme la rosée.
Après tant d'abandons, de misère et de ruines,
Ce pays est vivant par la grâce d'un peuple,
Où régnèrent mille ans déserts et pestilence,
Marnières de cailloux, marécages mortels,
Et cirques décharnés dont le calcaire est nu
Comme les os blanchis sur le crâne édenté.
Quel monde célébrer, langue de notre perte?
Quel triomphe vêtir de la pourpre des ruines ?
Haut dans le froid, le linge des nuages
Claque sur la maison dans l'orage d'hiver.
Vent de Jérusalem, tu cours dans la montagne
Comme le grondement du jour qui doit venir.
Nous eûmes peu de joie: et cependant une aube
De fête est sur la terre.
Sauverons-nous l'éclair, l'instant du thyrse offert
Entre étoile et rivière à la cité mouvante?
Guérirons-nous le temps, ramenant de l'exil
L'arche de bois d'olive? irriguant le désert
Avec l'huile de l'arbre? O lumière sans voix,
Parole enfin votive, éclair du cœur aimant…
Me voici de retour

Dans mon commencement. Muets, mais de désir,
Mes yeux chantent les femmes de Jérusalem:
Miriam, Rachel, Dina, mères du jeune peuple.
Dans la clarté des rues sans hâte elles mûrissent,
Toutes sont dans l'espoir du sauveur d'Israël.
Jadis comme aujourd'hui Jacob exulte en elles.
Haute marée la nuit déferlant sur la plage,
La Parole indicible est faite à leur image.
Elle invente un secret que nous tremblons d'entendre:
L'humilité de naître et de recommencer.
(…) En roulant à mes pieds douze roches forées,
Daniel mon fils m'a construit une forteresse
Avec ses petits bras qui portent les montagnes.
Ma forteresse est dressée dans le champ de pierres,
Sur un pan de colline de Judée,
Face aux maisons de la Jérusalem nouvelle.
Le soleil l'envahit, et le vent sec d'hiver,
Ma place de lumière et de roche en plein ciel,
Surplombant les quartiers de la Ville future
Entre l'épine d'or, le narcisse sauvage.
Dans le calcaire crient les noyaux de topaze
Que les enfants font éclater en gerbes d'étincelles.
Le soleil y jaillit comme des anémones;
Ses rayons renversés s'élèvent de la terre
Et rencontrent là-haut les paroles dorées,
Le langage muet de la clarté du jour.
(…)
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Terre sans hommes
(…)
Brouillard vert des forêts entre les houblonnières –
Vers cinq heures du soir, en sortant de l'école,
Dans la moiteur de juin les garçons et les filles
Au pied des châtaigniers vont cueillir les myrtilles:
Un essaim de frelons sous les sapins s'envole
Dans le surgissement muet de la lumière
Les enfants vont luger sur la colline blanche:
O Schneeweld der Kindheit,
Darfst du noch schweigend singen?
À force de silence, à force de distance,
Notre gorge s'étrangle et ne peut plus chanter.
Notre amour se détruit
Dans le si long voyage;
La mémoire s'enfuit,
Nous restons sans langage.
En bonnets de fourrure et blousons d'écarlate,
Les garçons vont luger sur la pente en plein vent.
À plat sur leurs traîneaux ferrés de vif-argent,
Ils foncent vers la mer, les glissoires éclatent.
Les bouleaux contre l'air frottent leur dos de cendres;
Aux épines du ciel arrachant leur crinière,
Ils courent dans l'espace, et ruent vers la lumière –
Une étoile a fleuri dans leurs plus hautes branches.
Les enfants ont péri
Sur la colline blanche.
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Décombres.
Flux d'asphalte.
Presqu'îles de béton.
La vie n'en finit pas dans ce pays d'exil.
Parmi les rues numérotées d'un quartier de hasard,
Planté de policiers aux poings d'écorce crue,
Les jours les mois les ans les têtes se flétrissent.
Sur le continent de ferraille des banlieues
Que ronge sans répit le vent des carrefours
S'éraillent les sifflets des trains de marchandises.
Les mouettes affamées piaillent dans la neige,
Les blocs de pierre grise affleurent sur la lande,
Et l'océan lamente au-delà des collines
Jusqu'aux noires forêts de taudis et d'usines.
L'asile de vieillards bée sur le cimetière,
Vers le sol fendillé des toits, des terrains vagues,
L'ennui, la sécheresse, et la pauvreté pleuvent.
Sur la route, encaissée entre murs et nuages,
L'oiseau s'est aboli dans la soumission.
Lac de gel, enterré sous des ailes de suie,
L'œil aveugle devient à lui-même étranger.
(…)
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. Les quais de l'Ill


C'est au-delà des Ponts que je trouve un asile
Sur ce vieux banc de grès où je vais seul m'asseoir
Quand le soleil d'été sous les toits va déchoir
Et cerne de ses feux l'horizon de la ville.
L'eau coule doucement entre les vertes îles
Dont elle ceint les bords d'un mince feston noir;
Les vitres des maisons scintillent dans le soir
Et les pignons moussus qui s'endorment en files
Ferment un œil de sang sous les ardoises grises
Où le jour fatigué lâche un essaim de brises
Parmi les hautes tours et les toits dentelés.
Tout au loin dans l'air bleu surplombant la rivière
Et les vergers, s'envole, oiseau dans la lumière,
La fauve cathédrale aux tympans ciselés.
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Claude Vigée
Notre institutrice, Mme Zimmermann, nous a annoncé, en dialecte, que maintenant nous allions enfin apprendre le français. On a ouvert le livre illustré où courait
un joli lapin, et elle nous dit: «E lapin ésch e Hààs». C'est ainsi que j'ai appris officiellement mon premier mot de français à l'école primaire, avec une trentaine de
condisciples ébahis.
Bischwiller était situé pratiquement dans une garenne. Derrière le cimetière chrétien s'étendait une belle forêt de pins où nous allions jouer tous les jeudis matin.
Une foule de lapins couraient autour de la ville, dans le Ried très sablonneux. Voilà
qu'on nous apprenait que le vrai nom du «Hààs», c'était «lapin»… Tout cela ne me
semblait pas clair. Qu'est-ce que le «vrai nom»? Y a-t-il un «vrai nom»?… Depuis
toujours nous savions le nom de cet animal-là, qu'on voyait courir dans les champs…
Voilà qu'il avait deux noms – donc aucun qui fût véridique, et qu'à son propos un
doute surgissait sur tous les noms de personnes et des choses…
Je me sentais déjà infirme-né de la parole…
L'univers si proche de ma naissance, le jardin
de ma grand-mère Coralie, les jouets, les meubles,
la maison, les premiers contacts humains avec les
parents, avec les promeneuses d'enfants, les voisins, les garçons et les filles, Willy notre commis,
Emma la bonne à tout faire, le magasin de tissus ou
«Lààde» que mon père avait hérité de son père,
toutes ces notions fondamentales revues à travers l'expérience scolaire devenaient douteuses.
Allaient-elles également tomber sous le coup de
l'interdit? Bégayant dans l'âme, nous sentions le
danger psychologique, pour nos jeunes cerveaux,
de cette hésitation devant la réalité des êtres et
des paroles, qui les trahissent ou les effacent.
L'aphasie mentale menaçante faisait de nous des
agnostiques complets dès la petite enfance!
(…) Je crois que la plupart d'entre nous furent confrontés simultanément à une
langue natale dévaluée, méprisée, sur laquelle était jeté un soupçon très grave, et
à la langue irréelle de l'école: cette dernière avait aussi, chez moi, une signification
double, car elle représentait non seulement une contrainte, mais l'entrée forcée
dans un univers étrange, aliénant, qu'on ne connaissait que pour ouï-dire et de si
loin! La France, c'était l'ailleurs!

Le Parfum et la Cendre,
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J'ai été élevé dans un petit monde semi-rural, où le dialecte alsacien, branche
dérivée du tronc alémanique, régnait encore dans presque toutes les couches de la
société locale, paysannat, prolétariat et classes moyennes incluses. C'est pourquoi
j'ai éprouvé de tout temps une vive affection pour mon idiome natal, en dépit de
l'ostracisme auquel il était déjà soumis dans les années vingt et trente, de la part des
milieux dirigeants, des administrations et des écoles en particulier.
Mon père, surtout, parlait le dialecte de Bischwiller à la perfection. Le Lààde
(magasin) de tissus de mes grands-parents devait servir depuis cinquante ans de
boîte de résonance publique, où se cultivait l'alsacien le plus pur et le plus riche
du canton! C'était, à sa façon, l'«Académie française de l'Elsasser-ditsch», qui y
tenait ses séances quotidiennes de huit heures du matin à six heures du soir. Le
goût du dialecte bien parlé, articulé à voix haute et claire, m'a été transmis dans
l'atmosphère chaleureuse et bavarde du Lààde ancestral, dès mon plus jeune âge.
Il a résonné aussi entre les murs de la maison natale, au numéro 7 de la Làng Gàss,
alias «rue du Général Rampont»… J'ai hérité de mon père une affection pleine de
complicité pour les expressions populaires les plus épicées: elles sont si savoureuses,
permettent l'articulation de la vérité sans fard, ces formules cinglantes, fort éloignées des Schneckedânz à la parisienne.
C'est pourquoi la découverte des poésies alémaniques de HebeI au collège classique de Bischwiller, vers douze-treize ans, au fil des leçons de littérature allemande
que nous dispensait le bon professeur Schmaltz, a été pour moi une source de plaisir
vite familière et – autant l'avouer aujourd'hui, un demi-siècle plus tard – une cause
d'émulation secrète… «Pourquoi, me disais-je silencieusement, ne chanterais-je pas
un jour, moi aussi, wie mr de Schnàwwel gewàchse n'ésch?»
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LORSQUE J’ENTENDS LE SOIR



Lorsque j’entends le soir
le concerto pour clarinette de Mozart,
le temps de la souffrance et de l’ennui s’achève,
soudain je nage dans la lumière dorée de mes quinze ans,
l’ombre de la vieillesse un instant se déchire,
nos deux corps flexibles se joignent
dans le torrent de nos cheveux emportés par le vent:
c’est le ciel de la tendresse que leur plaisir éclaire,
l’angoisse de vivre est devenue légère comme l’air
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LA CLEF DE L'ORIGINE

Celui qu'a terrassé la violence
N'est-il pas retranché pour toujours de lui-même ?
Pèlerin du soleil aux trousses de son ombre,
Renaîtra-t-il, errant combien d'années encore,
Cherchant la vérité dans une place étrange?

Prier

C'est écouter

Aux portes du silence.

Je franchis le seuil du cimetière de campagne juif en

Basse-Alsace
Où j'allai tout enfant avec mon père dans les averses de

mars
Après l'hiver impénétrable et le brouillard d'école
Poser des graviers blancs
Sur l'arête des hautes stèles grises rongées de givre.

Maintenant c'est l'heure ultime de l'été,

Les punaises rouges et noires

Font l'amour en dormant sur le seuil de grès concave

usé par les morts,
Haché de barreaux d'ombre entre les grilles rouillées
Qu'étrangle la grosse chaîne toujours cadenassée

portant l'écriteau :

«
S'adresser à
Mr
Abraham
Weill, ministre officiant, ou an bedeau. »

Ils sont tous là les aïeux de père et de mère
Les surgeons de
Jacob les rameaux de
Jessé
Les proches parents du
Messie l'holocauste sanglant

des nations
Les boucs émissaires qui emportent au désert le péché —
Ceux qui vendirent du drap à tout le canton sous
Napoléon
Trois

Ceux qui ont fait une distribution gratuite de froment et de haricots secs

Au moment de la disette dans-'les premiers mois de la
Restauration

Ceux qui furent conscrits en et gardèrent leur bâton de tambour-major

Caché sous l'ais du grenier dans un ruban de soie tricolore,

Jusqu'à ceux qui naquirent dans un ghetto de village

mal oublié
Pendant que l'avenir œuvrait pour eux sous la

Terreur —
Au rang de leurs cadets il en manque une trentaine
Qui furent brûlés vifs voilà huit ans à peine
Par la main des
Gentils

Dans les fours crématoires de
Pologne ou d'ailleurs :
Il reste un grand dépôt de jouets à
Belsen —
Des cendres de l'exil ayez pitié
Seigneur

Ils demeurent assemblés en permanence le jour sans

fin du
Grand
Pardon
Convoqués dans la tunique rituelle aux lacets de lin

dénoués pour l'éternité
La langue chargée de terre et blanchie par le jeûne

Ils tiennent leur réunion plénière jusqu'à la

consommation des siècles
Engagés dans le colloque silencieux
Qui précède au jour du jugement le verdict sans appel

des cornes archangéliques.
En ce jour le
Seigneur sonnera de la corne
Teki'ah
Teru'ah
Teki'ah

Comment réconcilierons-nous les tronçons d'une vie

écartelée
Entre le passé mort et l'agonie sans terme de l'avenir?
Pour la lune cachée du septième mois la corne

annonciatrice
Sonne trois fois trente et dix fois et c'est toujours

l'unique
Appel qui réveille dans l'abîme le feu de la merci

suprême :

Prier

C'est écouter

La corne du silence.

Je reriens d'Amérique

Leur rendre visite comme autrefois au début du

printemps
J'allais vers eux depuis l'Amérique autrement lointaine

de l'enfance.
C'est pour leur signifier qu'entre nous le pacte n'est

point rompu,
Que nous sommes toujours en relations charnelles
En dépit des difficultés internationales
El du prix montant des moyens de transport transatlantiques.
Nous sommes demeurés en contact de monde mort à

monde mort
Et nous n'entreprenons rien sans consultations

réciproques

Dans la grande cité souterraine

De la paix qui nous unit depuis l'origine.

Sur la colline

Blanchit le collège aux fenêtres
Second
Empire

Qu'entoure un rempart de bois d'aulnes et d'acacias;

Les marronniers en fleur explosent dans la cour carrée,

La chèvre brune broute à l'enclos d'aubépines.

Dans le bois aux lièvres où court le vent du matin

chargé d'ail sauvage
L'n faucheur coupe le foin sur une seule petite place

humide —
Dans ce sol sablonneux sous le soleil de juin
Le silence bourdonne de guêpes et d'orties.

Du haut de la lucarne retrouvée de l'enfance

Je pêche au filet les vieilles maisonnettes'jaunes des voisins avec leurs étables en ruine :

Un cercle de forêts assiège l'horizon —

Plus loin

C'est la plaine marécageuse piquée de bouquets de trembles et de peupliers,

Puis la
Forêt-Noire ;

Le tocsin de l'été roule dans la montagne,

Sous les sapins s'agite une mer de fougères.

Les clochers des villages émergent des pans de bois

Entre les cheminées lézardées

Des usines en brique rouge à cinq étages du dix-neuvième siècle

Que couronnent les nids de cigognes déserts.

Il y a des jouets perdus sous l'escalier du toit.

Dont je rêve parfois sur le dos de la nuit.

Quelques lambeaux du vrai papier de tenture flottent au fond des corridors noirs de vent ;

La rampe d'escalier en acajou tendre est encore là,

Dans la maison ouverte, pillée, éventrée,
Démantelée par la guerre par l'oubli par l'exil.
Qui garde pour seul vestige
Une baignoire d'enfant trouée de balles, en zinc mangé

de lèpre,
Délaissée sous les combles dans l'angle que font le mur

et la cheminée
Aux hanches écroulées sous le velours inusable de la

poussière.

Claude Vigée
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