Corinne Atlas

C'était souvent Mina qui arrivait la première. Parfois, elle apercevait la silhouette menue de Perle devant la boulangerie, et son cœur battait plus vite. Mais ce matin son amie n'était pas encore là. Alors elle ralentit l'allure.
La veille, elles s'étaient presque disputées. Une querelle stupide à propos de leur première rencontre et des souvenirs qu'elles en gardaient. Ou pas. Car, à l'inverse de Perle, Mina ne se souvenait de rien. Cela la tracassait, et
elle ne cessait de se poser la question : comment leur amitié avait-elle commencé ? Quand les parents évoquaient leur rencontre, ils avaient toujours des choses à raconter : ils s'étaient tout de suite plu, aimés, ils avaient immédiatement reconnu en l'autre l'homme ou la femme de leur vie. Mais c'étaient des histoires d'amour. On ne disait jamais rien sur l'amitié. Pas de coup de foudre, pas de détail marquant. C'était plutôt : on se connaît depuis l'enfance, on est amis depuis toujours. Mina avait oublié ce qu'elle avait ressenti la première fois qu'elle avait vu Perle. Pourtant, elles avaient bien dû échanger un regard ou un mot dans la cour du collège.

L'amitié était-elle une denrée périssable ?

Seul un gamin pouvait croire que tout tournait autour de son nombril et dépendait de lui, même les joies et les peines de ses proches. Elle les traita d'enfants gâtés qui jouent aux héros. Ils se piégaient eux-mêmes avec leurs propes slogans, l'aventure est au coin de la rue.

Elle ne voulait rien savoir d'avance, juste se laisser porter par les rencontres, les événements, les désirs qui surgiraient. Elle était impatiente de grandir, pour que ça commence enfin. La vie.