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Citations de Corinne Dufosset (43)


Corinne Dufosset
Décalcomanies - (extraits d'intermèdes)
Go west
M'a dit un cow-boy
Dans un bar hier
J'étais parti
Lui, n'était pas mieux
Des rêves de bivouac dans les yeux
Moi j'étais au stade
De réviser la planisphère
Western and eastern
Se mélangeaient dans ma planète
Il était clair
Que tout cela ne tournait plus rond....
....
Dans l'appartement vide
Certains jours
Je reste dans le noir
C'est une impression étrange
De retour ou de retard
La nuit seul dans le lit glacé
Je sens des ombres qui me frôlent
Peut être est ce le souvenir
Des corps enlacés
Dont ils et elles
Telles des icônes mystérieuses
Restent dans ma tête et dans mes yeux
Dans ma fièvre, je les appelle
Par des noms
Qui ne leur appartiennent pas
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Corinne Dufosset
BABEL

Dans ma tour de Babel
J'ai décidé
Au magnéto, de dicter
Ma belle
Notre histoire

Tu étais le diam's
Lui qui brille et déchire
Lointaine comme le Siam
Je croyais au délire

A ton seul regard
J'ai fondu comme la neige
De soleil en retard
J'en avais fait le siège

Tu m'as dit OK
J'ai baissé ma garde
Nos heures ont éclaté
Nos jeux, nos barricades

Puis ce fut la lutte
Ascension à l'envers
Pour ralentir la chute
J'ai traversé la mer

De ma tour de Babel
Je suis sûr, j'ai décidé
Je rentre à quai
Oublier
Notre histoire
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Corinne Dufosset
La grande avenue était déserte. Les quelques flocons de neige qui virevoltaient dans l'air disparaissent au sol. Monk marchait depuis un quart d'heure. Il marchait sur la chaussée. C'était l'aube, il n'y avait personne, pas de piétons, pas de voitures. L'aube d'un autre monde seul dans la ville.... Des volets encore clos. Une odeur de froid et de poussière glacée... Monk marchait d'un pas égal. Il n'allait nulle part en particulier. Peut-être cherchait-il une porte de sortie dans son rêve éveillé. Il voguait. Comme ces péniches qu'il regardait sur le fleuve. Il traçait sa route indifférent aux alentours.. Au bout de cette avenue qu'allait-il voir ? Le désert, l'oasis de ses pensées. ? Une route sans fin, sans queue ni tête, serpentait dans le froid. La lumière clignotante du troquet jaillit au coin d'une rue. Les vitres un peu embuées, une lumière jaune filtrant derrière la devanture. Monk ralenti presque malgré lui. Il s'approcha de la porte et la poussa. Un homme accoudé au comptoir. Le reste était vide. Des chaises encore posées à l'envers sur les tables. Une serveuse enrouée par le sommeil derrière le zinc. Elle regarda Monk et n’eut pas la force de le chasser. Il s'accouda à l'extrémité du comptoir.
- Un café.
Il jeta les pièces sur la surface brute sans compter. Elle les ramassa une à une, poussa celles en trop vers lui et lui tourna le dos pour préparer le café. L'homme appuyé plus loin tanguait sur ses pieds. Il se penchait un peu plus en avant sans rien regarder. Il trouva son équilibre, le nez dans son verre et continua son périple solitaire.... Monk ne le regarda même pas. Son regard était fixé sur le scintillement des lumières, sur les bouteilles et les chromes. Il se laissa engourdir par la chaleur du lieu. Il rêva....
La tasse était vide. Monk se dirigea vers la sortie, grogna un vague au revoir et sortit. Le froid le gifla, le griffa. Le jour était plus visible. Le monde s'agitait. Il reprit sa marche, les mains dans les poches, la tête enfoncée dans son manteau râpé. C'était un capitaine au long cours. On doit pouvoir vivre sans verdure et sans arbre.
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Corinne Dufosset
Onycophagie

Si je gratte, c'est l'enfer
Si j'arrête, c'est infernal
Si je saigne, c'est trop tard
Si j'attends, je ne peux pas
Si tu grattes, tu t'arrêtes
Si tu saignes, tu t'épuises
Nous nous rongeons,
Pourquoi faire ?
Tes nerfs à fleur de peau
Ma peau qui t'indiffère..
La tension dans les sphères
L'attention délétère
Tu grignotes à petit feu
Les ongles qui s'échappent
De la lime d'acier
Tout s'érode, se corrode
Le cerveau se dérobe
Et tu feins d'apprécier
Ta manie détraquée
Si je frotte, tu frémis
Si je râpe, tu blêmis
Si je lustre, tu jouis
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Corinne Dufosset
Décalcomanies

Je suis un homme poursuivi par le courant habituel de la vie, il m'assaille et rythme mon présent, alors je me cache pour expirer, en quelque sorte, pour expulser cette angoisse qui est mienne. Je me sers, je prends, et quand soudain tout est trop grand et infini pour moi, j'essaie de devenir quelqu'un qui ne me reconnaîtrait pas.

Je fais des tours et des tours dans ma tête mais cela ne change pas ; elle reste collée à mon cerveau cette pluie qui tombe sur le pavé, sur mon pavé loin de mon cœur, comme un ciel renversé dans la terre. Je suis enfui quelque part entre mon travail et ma vie, ma vie et mon travail, dans la futilité de mon existence, qui ressemble à une carte postale, à un avis de recherche, à une épingle dans une poupée vaudou.

Je n'ai vu aucun pays, je ne sais rien des aéroports, des gares et des salles d'attente ; je sers dans ma tête des machines à sous qui me communiquent des sensations et je regarde parfois les billets dans les agences de voyage comme des cartes indéchiffrables. Je suis comme un voyageur assis à une place réservée qui n'est pas la sienne, je resquille dans mon rêve, mon rêve de vie, mon rêve...

Je vois tous ces gens dans la rue, quand je les croise et que je ne les vois pas... Je reste devant mon miroir pour retrouver leurs visages et j'en suis incapable. Je suis comme eux, dans une foule. Et cette foule, le soir, me regarde-t-elle dans un miroir ? Je suis un homme poursuivi par la sollicitude...

J'ai peut-être rencontré, un jour, quelqu'un qui pouvait rester près de moi, loin des autres et près de moi. Quelqu'un qui me reconnaissait dans mon miroir, qui savait la poursuite qui animait mon cœur. C'était comme une couleur, quelque chose qui tenait éveillé. Alors, pour pouvoir fermer les yeux, pour dormir sans rêve, j'ai tourné les talons. Parfois, j'y repense à cette vie qui fut comme une décalcomanie et qui s'effaça lentement....

Parles-moi, toi que je ne connais pas, parles-moi même si il te semble que je n'écoute pas. Tu as sûrement comme moi des envies de rire, de raconter n'importe quoi à n'importe qui, sans attendre, sans comprendre, parles-moi de ta vie ; cette vie moderne qui coule dans nos veines, cette vie moderne qui s'affiche perpétuellement sur notre quotidien.

Je vis sur l'ordinaire, moi qui aime l'extra ; je vis sur le sursis de quelques uns qui me connaissent entre parenthèse, je vis sur mon nom que j'écris mécaniquement, je vis sur moi, sur ma tête, sur tout et rien. Je vis sur l'échappée que je ferais un jour, moi le sprinter de mes désirs....

Il m'arrivera un jour, quelque chose de doux, quelque chose en recommandé. Alors ma vie s'ouvrira, un jour, sur la douceur, sur un bout de terre, un bout d'océan, un rêve en bouteille, échoué près de ma tête. Il m'arrivera ce coup de soleil, un jour où je ne serai pas pressé, un jour sans y penser...

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Corinne Dufosset
La poussière tourne dans l'air du matin, s'accroche aux rayons du soleil et retombe lentement sur le sol. La salle est vide, sa tasse aussi, il écrit.
Sur un vieux carnet d'une écriture indéchiffrable, il trace des lignes sans conviction. Peut-être le faut-il ? On ne sait jamais.
Les ombres des mots se mêlent à celles de la salle du café. Tout est loin. Tout est diffus dans l'air chaud. Il écrit machinalement sans trop réfléchir. Il pourrait être ailleurs, dans un vieux pub anglais, dans une taverne orientale, près des quais de la Seine ; mais il est là, dans cette salle de l'Ouest. Un endroit anonyme et bancal comme sa mémoire. Il ne tient pas un journal, ni un carnet de bord. Ce sont peut-être des missives qui ne seront jamais envoyées ; des bouteilles à la mer jamais jetées. Un chien couché devant la porte baille. La poussière tournoie. Le ventilateur est éteint. Il faudra bien se rendre un jour.
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Corinne Dufosset
L'odeur des eucalyptus, la route tourne, tic tac, dans le sens contraire d'une montre. La silhouette apeurée d'un coyote, entre les pâquerettes regarde. Du haut de la maison, les collines sont mauves, la sauge embaume et le canyon est désert. Il est là, suspendu entre ciel et terre, respirant l'odeur de la terre trop chaude, fixant les lumières de la ville, en bas. Il ne veut pas s'y perdre, il ne veut pas. Il préfère rester dans son repaire. L'aube se lèvera encore une fois. Rien n'arrête le cycle du temps, ni la trahison de la vie, ni les rires lointains. Pas même une photo qu'on trimbale dans sa poche. Le serpent de voitures s'allume au loin, les vapeurs d'essence se dispersent dans l'océan. Les collines s'éclaircissent lentement, le coyote passe. Il reste en haut, il regarde les nuages circuler, le soleil arriver, l'ombre s'installer dans les feuilles des palmiers. « C'est l'hiver, pense-t-il, et personne ne le sait..... »
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Corinne Dufosset
Extrait "Décalcomanies"

D'aimer
Vous me dites
Posez
La question
De moi-même
Je ne peux pas

Je vous avoue
Sur ce thème
Je ne sais pas
De quelle façon
Implicite
Je dois
Vous l'apprendre

Je suis fou
A l'extrême
Quand je vois
Dans quel horizon
Métallique
Je dois vous surprendre

D'aimer
Vous me dites
Posez
La question
De moi-même
Je ne peux pas

Je quitte tout
Et même
Si je crois
Que votre ton
Chimérique
M'envoie
Vous attendre

D'aimer
Vous me dites
Posez
La question
De moi-même
Je ne peux pas
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Corinne Dufosset
Dans cette foule qui se presse sur Hollywood Boulevard, il a cru voir un visage. Pour ce visage il construira un mausolée, qui l'enterrera lui et sa quête plus sûrement que toute la faille sismique californienne. Sur les trottoirs aux étoiles filantes, il a des visions et bouscule les passants. Rien. Il n'a même pas pu tendre la main pour effleurer l'ombre. Il reste immobile sous le soleil ; comment vit-on avec un fantôme ? Que San Andréas se réveille et engloutisse tout ! Voilà ce qu'il pense, sur l'asphalte du boulevard, un après-midi d'été.
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Corinne Dufosset
Je pourrais voler tellement haut que je dépasserais l'Empire State building, qui n'est plus le plus haut. Je me souviens sûrement de choses fausses. Je pourrais voler au loin rejoindre les anges et les trompettes de la Résurrection, que je ne n'en saurais pas plus. Raconter des histoires dans un carnet ; Jeter des billets aux sans abris dans les rues ; Se dépouiller et plonger dans l’Hudson comme un fou furieux. Ne me laisse jamais, supplie ma mémoire à moi même. Je volerais aussi haut que le plus grand des astronefs, et, aux confins de l'univers, là où on ne sait plus s'il y a quelque chose d'encore vivant, d'encore possible, j'ouvrirais la porte du vaisseau pour laisser entrer toutes les nébuleuses, toutes les étoiles, tous les trous noirs de ma mémoire.
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Corinne Dufosset
God give me everything i want
Cette chanson passe en boucle à la radio... La route en épingle n'en finit pas, d'un côté l'océan, de l'autre …. Rien. J’ai mis le volume à fond pour ne pas entendre les sirènes de police. J'ai appuyé sur l'accélérateur. Si je dois faire le plongeon, ce sera dans la lumière s'apprivoisant du coté de Carmel, entre les herbes sauvages qui s'accrochent aux falaises abruptes et les animaux marins du Pacifique. L'air est si vif, la lumière si forte ; au détour d'un promontoire je verrais le Golden Gate.
J'ai l'impression que les roues de la Seville décollent du bitume. Je tourne le bouton de la station radio, toujours la même chanson.... J'accélère encore, il faut que je te rattrape, il faut que je t'attrape. Les roues crissent dans la poussière, le soleil m'éblouit. Le goût salé de l'air colle à mes cheveux. Dans le rétroviseur je vois les fous de Venice qui me montrent du doigt.
God give me everything i want
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Corinne Dufosset
Quand la brume s'enroule autour de la vallée, les fantômes rentrent à pied. Le claquement de l'océan contre la faille. C'est bientôt l'aube dans Hollywood Hills. C'est bientôt l'heure de dormir petit fantôme.... Les étoiles s'éteignent sur Sunset, elles rangent leurs masques. L'histoire baille au pied des collines. Qui se promène sur Fifth Helena Drive ??? Qui murmure et marche sans fin dans la ville basse, chuchotant son nom sans savoir pourquoi ?
Griffith Park bruisse, c'est l'attente. Le magicien d'Oz range son sac à rêveries.
Quand l'Interstate 110 enlace la ville, tes pas défaillent et tu tressailles sur le Strip. L'ombre s'engouffre dans l'océan. Les lumières s'éteignent à tes pieds..... Mullholland Drive serpente dans la nuit rejoindre la faille... Ta faille ....
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Corinne Dufosset
L’éveil
L’ombre se dégage lentement des hauteurs du plafond et telle une brume floconneuse tombe dans l’espace, enrobant les particules d’air. Tout se suspend, tout se fond ; Dehors le soleil se couche, ses rayons frôlent encore une fois la surface des jardins avant d’aller ailleurs éclairer d’autres mondes, d’autres vies. Bientôt les voix, les pas se seront dissous, le silence s’installera dedans et dehors. Les lumières électriques clignotent, elles diminuent, deviennent de minuscules phares dans ces pièces vides où parfois, une silhouette noire, furtive, glisse sur le parquet.
Elle regarde, toujours à la même hauteur et surtout elle écoute. Le grain de poussière, dans le coin de la grande pièce, remué, peut-être, par un insecte microscopique ; Le soupir du silence frôlant les banquettes et les portes closes. Point de fenêtres, juste une grande verrière opaque, opalescente, luisante comme une lune laiteuse. Elle se décide enfin à tourner la tête et lève les yeux sur cette surface blanche, non transparente, d’où s’échappe une faible lumière. Son regard reste accroché, perplexe, à la verrière, puis s’échappe sur les murs couleur bleu-nuit. Elle se sent dans un océan feutré. Elle a soudain envie de rire ; Alors, lentement, elle décroise ses mains et dans un bond léger comme une bulle de savon, ses pieds effleurent le sol. Elle fait quelques tours sur elle-même, ses cheveux virevoltent sur ses épaules : elle a envie de danser.
Elle passe devant l’homme brun au visage un peu sévère, lui envoie un baiser très léger du bout des doigts et quitte la pièce en courant. Lui baisse les yeux sur sa main gantée, son médaillon oscille doucement, mais elle ne le voit pas. Elle parcourt les salles, les enfilades de couloir, sylphide évanescente ; Elle court presque, fantôme brumeux que personne ne perçoit.
Elle est dehors, enfin. Elle regarde le ciel sans étoile, toutes ces lumières autour d’elle, ces lucioles électriques. Elle étend les bras pour toucher la voûte céleste. L’air est doux. Elle tourne lentement sur elle-même ; Son regard englobe les pierres, les statues, le verre, la poussière, les arbres, l’eau, alors elle rit : d’étonnement, de peur.
Elle n’ose pas encore parler à haute voix. Ses lèvres forment une phrase, lentement, pesamment ; Ses lèvres scellées depuis longtemps prononcent silencieusement : « je suis libre ».
Elle s’enfuit sans réfléchir sur l’esplanade, traversant la chaussée déserte sans hésitation et silhouette gracile disparaît entre les arbres, tel un esprit de la nuit.
Maintenant les lumières sont plus vives, les couleurs et les bruits très présents. Elle marche sur le trottoir d’une grande avenue ; Les passants la croisent, la bousculent un peu ; Ils marchent vite, parfois quelqu’un lui jette un coup d’œil furtif, légèrement indifférent. Elle avance, buvant les images qui se bousculent dans sa tête ; Tout va vite autour d’elle, les odeurs, les voix, les bruits, les lumières, mais elle n’est pas effrayée, elle se laisse porter. Elle se dit que si elle se mettait à chanter à tue tête, à rire aux éclats personne ne ferait attention. Elle s’arrête devant une grande vitrine, son reflet presque transparent face à elle ; Le voile sur ses cheveux s’est défait, elle le retire et le passe à son cou comme un petit foulard ; Elle n’a pas encore envie de le jeter. Elle ne regarde même pas ce qu’il y a dans la vitrine. Il y a trop de choses, brillantes, colorées, lustrées. Elle a tout le temps pour apprendre.
— « Eh ! Toi ! Eh oh ! Toi ! »
Elle tourne la tête, est-ce qu’on l’appelle ? Dans ce brouhaha, est-ce elle qu’on appelle ?
Ils sont assis sur des marches. Ils sont jeunes, l’air rétif comme des chiens hargneux et faméliques, qui couchent dehors. Ils font des gestes dans sa direction alors elle s’approche.
Un garçon lui demande abruptement —« t’as une cigarette ? ». Elle le fixe deux secondes. Il a des cheveux très courts. Ils forment un casque roux sur sa tête.
—« Non » répond-t-elle, surprise par sa voix claire. Elle les regarde : deux filles et deux garçons. Une des filles, blonde, pâle, les cheveux remontés en chignon lui lance :
—«T’as une robe marrante ! Tu fais quoi comme ça ? » 
Elle hausse les épaules en souriant doucement.
Celui qui lui a demandé la cigarette réplique —« elle traîne, elle fait comme nous... »
L’autre fille, les cheveux noirs, très maquillée, dit d’un ton maussade —« j’en ai marre d’être dehors ».
L’autre garçon qui n’a encore rien dit se lève vivement —« on bouge, Lal a raison, on va en boite ». Sa tête décolorée dodeline légèrement dans la direction de la blonde filiforme —« Thyle, amène-toi ! »
Puis il s’adresse à elle après deux secondes de réflexion —« tu viens ? »
Thyle se lève, prête à bondir sur le trottoir. Soudain elle s’arrête —«on n’a rien pour payer ! ».
Le garçon roux fouille ses poches et en sort quelques billets qu’il défroisse entre ses doigts —« ça doit suffire, vous les filles vous payez pas ».
Thyle regarde l’argent légèrement dégoûtée —« tu pouvais acheter des clopes alors… » Le garçon hausse les épaules, remet les billets dans sa poche et s’éloigne à grandes enjambées. Ils le suivent, se bousculant comme des chiots désordonnés, l’entraînant avec eux.
Ils marchent d’un pas vif, conquérant ; Ils parlent tous en même temps, elle écoute à peine, enivrée de mots, de bruits, de mouvements ; Elle se sent bien, dans une grande lessiveuse de l’esprit.
Lal la tient par la main et son flot de parole coule sur elle, parfois elle hoche la tête pour montrer qu’elle écoute, mais elle n’entend pas grand-chose sauf le bruit de son cœur à nouveau solide et conquérant.
Ils sont descendus sous terre, les lumières piquent sa peau, les silhouettes sont nombreuses et peu distinctes. Elle se sent dans un grand chaudron brûlant : Le chaudron du Diable ? Quelqu’un lui attrape son foulard autour du cou et le jette en l’air. Elle le regarde voler dans l’atmosphère saturée de bruits et de couleurs ; Le tissu en apesanteur dans l’obscurité humide retombe dans la foule. Elle ne le cherche pas, elle sait qu’il fait partie de son passé. Elle n’a pas peur. Elle est saoulée de cette musique et ces paroles qu’elle ne comprend pas mais elle n’a pas peur.
Ils courent sur un parvis désert, cernés d’immeubles immenses. Le soleil se lève, rasant l’horizon.
—« T’es drôle toi ! Tu souris tout le temps, tu parles pas beaucoup mais t’es sympa. On va faire plein de trucs ensemble. Tous les cinq ! Hein les garçons ? Des trucs de dingues ! »
—« Tu as raison Lal ! Moi j’ai plein d’idées ! » Le garçon à la tête platine cligne de l’œil.
—« Joao est fou ! Répond Thyle. Il a des idées de dément ! »
Thyle passe son bras autour de ses épaules, elle le trouve léger comme une plume. Elle rit. C’est la première fois et des fleurs explosent dans sa bouche.
Joao claironne « Les rois du monde, c’est nous ! Hein Pierre ! »
Pierre la prend par les épaules, il la regarde bien en face et lui dit d’un air sérieux et impérieux.
—« On va bouffer le monde ! Tu es avec nous ? On va tout refaire ! Tout changer ! On peut le faire tu sais ! » 
Lal monte sur un plot en béton, les bras écartés, levés au ciel, elle crie —« personne ne peut nous arrêter ! Nous les enfants de rien ! Les sans noms ! Les enfants de nulle part ! Nous aussi on a de grandes idées ! Nous aussi on veut notre place au soleil ! Nous aussi !» 
Lal saute à terre. Ils font un demi cercle autour d’elle en sifflant et applaudissant. Même elle, elle tape dans ses mains. Elle ne connaît plus son âge, ni sa naissance, mais elle est là dans un Nouveau Monde. Joao la prend par la main et la fait monter sur le plot. Ils l’encerclent comme une divinité nouvelle.
Joao lui crie —« tu seras notre muse ! Tu sera notre mascotte ! Hein les filles ! Vous êtes d’accord ? Et toi Pierre ? Ok ? »
Ils acquiescent tous, pour un peu ils tendraient les mains vers elle.
Pierre lui demande —« On connaît même pas ton nom ? Tu t’appelles comment ? »
Elle regarde le soleil qui étend ses rayons sur son visage.
—« Je m’appelle Mona Lisa et c’est ma Renaissance.»
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Le jour est long, le jour est tenace, quand viendra la nuit ? Quand rentrerais-je dans la nuit ? Elle seule peut me prendre et me dissocier. Quand trouverais-je le chemin qui mène à la nuit profonde et douce ?
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Corinne Dufosset
Il n'a pas vu les grandes baleines naviguer en-dessous de lui. Carlingue lustrée au kérosène, reste dans ton couloir d'air. Le décalage horaire, c'est le couloir du temps ; A rebours rien n'y fait. Le dos de l'Atlantique est hérissé de bleu. Il a besoin de partir. II a besoin de respirer une odeur inconnue. La grandeur et la splendeur n'y feront rien. S'installer et dormir. Écouter d'une oreille distraite la voix de l'hôtesse de l'air et rêver des baleines bleues chevauchant l’océan, cavalerie marine. Les abysses ce ne sont pas les grandes failles de l'océan mais c'est la vertigineuse mémoire de l'absence et de l’interrogation. Reste dans le poing du titan Atlas, n'essaie pas de comprendre, laisse-toi bercer par le ronronnement de l'avion. Ferme les yeux. Il part. Peut-être qu'au loin le chant des sirènes l'attacherat tel Ulysse à son mât ; fermé à l'esquisse d'une réponse. L'avion glisse sur des courants contraires. Aucun signe, aucune corne de brume. Son avion n'est pas le Hollandais Volant. Disparu.
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Corinne Dufosset
Tout est tombé. Tout est léger. A long Island, il faut tout quitter ; L’Est et le vent de l'Atlantique. Il faut quitter le port des embrumés et aller vers le désert. Se laisser glisser, se laisser aller. C'est un voyage impossible. Une quête insensée. Il faut pourtant poursuivre. Se risquer à devenir un autre, une marionnette, une bulle de savon dans l'air glacé de Long Island. Il quitte la déesse de pierre. Il quitte son costume de voyageur itinérant. L'innocence s'est enfuie sur les autoroutes. Tout est miné. Il enfile son costume d'écriture et se risque à faire le voyage au pays des étoiles filantes et des failles sismiques.
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Corinne Dufosset
Si je jette mon carnet, quelqu'un me le rapportera. Du fond du Pacifique, d'une décharge à ciel ouvert, des égouts de Los Angeles, enterré dans le sable de China Beach, enfermé dans une cellule d'Alcatraz, quelqu'un me le redonnera. Si j'en arrache les pages et que je les brûle à tous les feux de joie de la Californie, la poste de Nob Hill me les déposera devant la porte de ma chambre d'hôtel. Un groupe d'enfants me regarde. Hier, j'ai croisé une vieille idole qui marchait dans la rue, les yeux au sol. Personne ne faisait attention. Les montagnes russes des rues fatiguent mes souvenirs. Je n'ose plus me perdre. Quand la nuit tombe, j'attends le brouillard, j'attends.
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Corinne Dufosset
Il colle des affichettes sur les palissades, Big Sur luit. Sur le papier griffonné au stylo, un numéro de téléphone. Les voitures ne s'arrêtent pas, les badauds passent, tout ce mouvement absurde.... Il n'est pas allé à Parker Central déposer une demande de recherche, coller une photo. Dans le tramway montant au ciel, il sait. Les affichettes arrachées par le vent volettent dans l'atmosphère. Big Sur luit. Quand il remonte dans les collines, il attend. L'appel du 911, le coup de fil ultime pouvant lui donner raison. Mais il sait. Il pleut. L'eau de la piscine se crible. Les palmiers se plissent. Les affichettes s'effacent. Parker Center s'agite. Enfermé dans la chambre, allongé sur le lit, il écoute les gouttes de pluie taper sur les baies vitrées. Le Ciel est bas, le soleil solitaire, l'eau ruisselle sur les dalles des villas cachées. Big Sur luit.
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Pour ceux qui n'ont rien, qui ne font rien, les minutes devenaient élastiques, pièges à souffrances, à bêtises. Ronron mortifère du temps qui passe et s'embourbe dans le sable mouvant de l'esprit.
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Corinne Dufosset
.....Quelques particules de marbre s'effritent dans l'air doux de la nuit. Les animaux nocturnes s'agitent. L'arc de pierre plie tellement sous son propre poids qu'on pourrait penser qu'il va tomber. La grande digitale pourpre se balance lentement. Le granit est entièrement recouvert de mousse et d'herbe, à peine si on distingue un dessin. Le ciel constellé d'étoiles, luit. Un nuage crève quelque part dans la campagne. L'odeur de la pluie arrive et s'éparpillé sur le sol. Un vent léger agite les plus hautes feuilles des arbres. Il descend sur les ruines, s'enroule autour de la colonne. Son doux murmure s'élève dans la forêt et se mêle aux premières gouttes d'eau. Il pleut.
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