En m’associant à John et à Greg, j’avais donc souscrit aux règles suivantes : accepter de porter le chapeau plutôt que de dénoncer un associé ; soutenir mordicus qu’il dit la vérité, même lorsqu’on sait pertinemment qu’il ment ; et ne jamais mettre le nez dans les affaires d’autrui, conformément à l’adage des vieux barmen : « Sourd au boulot, muet au repos. »
Il y a longtemps que j’avais compris qu’aux yeux d’un homme adulte pareils principes ne tiennent pas debout. Mais à l’époque, j’y avais adhéré sans sourciller. J’étais persuadé que mes potes me suivraient au cimetière plutôt que de me laisser y aller tout seul.
À chaque coin de rue, des arnaqueurs de tout poil traquaient d’éventuelles proies en attendant que le jeu soit légalisé, la grandeur passée de la ville restaurée et leur compte en banque renfloué. Ma situation n’était pas brillante non plus. Pendant des années, j’avais fait le chauffeur de taxi en essayant de percer au théâtre et de sauver mon mariage. Ma femme était persuadée que je ne deviendrais jamais acteur et d’ailleurs elle s’en fichait. Elle a fini par en avoir par-dessus la tête des auditions, des rôles interminables qu’il faut apprendre par cœur et du reste : elle m’a fichu à la porte.
Il n’avait pas besoin de son insigne de policier pour s’imposer, car, comme je le constatais pour la seconde fois ce jour-là, il possédait une qualité que l’on ne rencontre pas si souvent : l’autorité naturelle.
Comme au bon vieux temps, j’étais l’éternel second violon, celui qui ignore les dessous de l’affaire. Et comme au bon vieux temps, j’étais censé écouter et me montrer obéissant.
J’avais beau savoir que c’était nul, j’ai commencé à me prendre au sérieux dès que j’ai eu confirmation que j’étais potentiellement responsable de bar. J’avais envie de faire la leçon au type qui nous servait : il me semblait qu’il avait mis une seconde de trop à remarquer que nos verres étaient vides. Peut-être fallait-il que je lui rappelle, sur un ton cordial mais ferme, la nécessité de rester vigilant.