J’ai lu ce livre avec intérêt car il permet de comprendre comment, historiquement, on en est arrivé à ce semblant de démocratie en raison de la mondialisation. Les propos sont plutôt clairs, même si je ne suis pas en accord avec toutes les analyses de l’auteur, ni avec certaines de ses réponses.
David Djaïz cherche à appuyer l’idée que l’Etat nation est la meilleure échelle pour sauver la démocratie et résoudre les problèmes liés à la mondialisation. Le contenu de ce livre amène donc, en plus d’une meilleure compréhension des mécanismes politiques et économiques à l’œuvre, un vrai débat sur la structuration de nos sociétés. C’est pourquoi j’évalue positivement ce livre (4/5) bien que je ne sois pas d’accord avec le fond du propos qui est de remettre en avant la notion de nation.
Pour être plus clair, je me dois de détailler ma critique.
(Sur un livre politique, il me sera difficile de faire une critique sans y adjoindre mon point de vue personnel sur les thèmes abordés dans le livre : mes idées sont entre parenthèses).
L’objectif de ce livre est clairement défini dans l’introduction : il s’agit de montrer que pour rééquilibrer le capitalisme et la démocratie, remettre l’économie en phase avec la justice sociale et environnementale, il est nécessaire de réhabiliter la nation. Cette idée me parait plutôt originale et plutôt en opposition avec ma pensée profonde, j’ai donc hâte de lire ce livre à la lecture de cette introduction.
Le livre est découpé en 3 parties, de qualité décroissante à mon gout.
- Dans la 1ere PARTIE, David Djaïz explique avec brio comment les néolibéraux ont historiquement mis en place des institutions indépendantes de l’Etat (donc non démocratiques) pour éviter le poids des groupes d’intérêts dans le contrôle des marchés : Autorités de régulation, FMI, banques centrales, OMC, etc.
Les parlementaires, pourtant élus démocratiquement, s’en remettent aux avis de ces institutions, dont les représentants ne sont pas élus démocratiquement et sans même que les citoyens ne s’en rendent vraiment compte. C’est toute la logique de la structuration actuelle de l’Europe où le libre-échange est érigé en valeur absolue.
Comment les démocraties ont-elles pu laisser faire ça et continuent-elles de l’alimenter ? C’est la question centrale qui est posée.
Résumé (simplifié) des propos de l’auteur pour l’expliquer :
Suite à la guerre du Vietnam, la dette publique américaine a explosé, le gouvernement a alors cherché à diminuer la valeur de l’argent pour diminuer la valeur de la dette publique) mais les pays pétroliers (impactés puisque l’économie était déjà très dépendante du pétrole) n’ont pas été contents et ont décidé de monter les prix, ce qui a provoqué un 1er choc pétrolier aux conséquences économiques et sociales désastreuses. Pour éviter que ce genre de choses ne se reproduise, les néolibéraux ont cherché à mettre en place des structures supranationales imposant des régulations pour éviter que les décisions d’un pays puissent impacter un autre. (Je considère que l’avenir leur donnera tort, puisqu’on voit bien aujourd’hui que c’est le néolibéralisme qui a explique qu’une crise comme celle de 2008 aux Etats-Unis a impacté le reste de la planète). Ces structures supranationales sont indépendantes des décisions démocratiques décidées par les citoyens ou leurs représentants.
L’auteur évoque également le triangle de Rodrick selon lequel un pays ne peut avoir que 2 objectifs sur les 3 suivants : état-nation fort, intégration économique mondiale, démocratie vivante. Selon l’auteur, l’objectif de l’état-nation ne peut être abandonné car les peuples s’identifient fortement à la nation au point qu’ils privilégient leur identité nationale à la démocratie, notamment au respect de l’état de droit (qui protège notamment les minorités). Djaïz en déduit qu’il est illusoire de vouloir réduire l’idée de nation. (C’est un point sur lequel, j’ai une véritable divergence d’analyse avec cet auteur. Pour moi, l’attachement à la nation est historique mais n’est ni indépassable, ni souhaitable. Le développement des technologies de communication facilitant les échanges de cultures, le développement de problématiques impliquant une réaction de solidarité internationale comme les problèmes environnementaux ou les périls de type pandémies sont de nature à privilégier le sentiment d’appartenance à une humanité commune sur l’appartenance à une nation).
David Djaïz souhaite un « moment constituant » impliquant une démocratie représentative et une démocratie directe – pour éviter que la 1ere empêche la seconde – (comme nous l’avons vu récemment avec l’échec du référendum d’initiative citoyenne sur la privatisation d’Aéroports De Paris) Il évoque notamment un traité de démocratisation de l’Europe qui permettrait de l sauver en la restructurant et en modifiant son fonctionnement.
Il est proposé notamment que
l’assemblée européenne soit constituée à 80% de parlementaires européens, -afin d’éviter la concurrence entre politique nationale et européenne- et que son budget soit de 1% du PIB des nations impliquées. Ces budgets étant placés sur des enjeux dont l’échelle supranationale est la plus judicieuse (recherche scientifique dans les domaines où l’Europe est dépassée par exemple).
- Dans la 2eme PARTIE, David Djaïz explique comment s’est fait l’effondrement des classes moyennes dans nos démocraties, suite à la robotisation et la délocalisation des emplois d’ouvriers qualifiés.
Il explique (avec toujours autant de brio) comment une séparation s’est faite dans les pays industrialisés entre travailleurs nomades – dont le métier peut s’exercer n’importe où – et les travailleurs sédentaires – dont lé métier est dépendant du lieu de travail. Les premiers profitant de la mondialisation alors que les seconds la subissent.
Alors que les nomades souhaitent un environnement à bas coût (éducation, santé, loyer, eau…) pour être compétitifs à l’échelle internationale, les sédentaires ont davantage besoin d’un environnement solidaire -avec des services publics- Les nomades n’ont pas d’intérêt à ce que les sédentaires s’enrichissent (sinon la compétitivité diminuerait avec la disparition d’un environnement à bas coût). Leurs intérêts divergent. (Désolé, si je ne suis pas très clair, Djaïz explique cela bien mieux que moi !!!)
L’auteur évoque également une expérience de pensée de Paul Collier pour expliquer l’opposition qui peut être faite entre une identification à son travail et une identification à sa nation. (On comprend alors que les gens qui ont un salaire peu gratifiant se rabattent sur le nationalisme - Le sentiment d’appartenance à une nation étant, pour eux, plus gratifiant).
Djaïz propose donc des solutions intéressantes (mais à mon avis loin d’être suffisantes) pour y remédier
1) Développement d’un service civique mélangeant les classes sociales et permettant de développer le sentiment d’appartenance national (à considérer que ce soit une bonne chose, ce que pense Djaïz.) et de renforcer les liens entre classes sociales différentes -notamment entre nomades et sédentaires-
2) Remettre au gout du jour les colonies de vacances généralistes, subventionnées en fonction des taux de mixité sociale. Pour éviter les colonies de riches les colonies de pauvres, comme c’est le cas aujourd’hui.
3) Elargir les cartes scolaires. Comme une habitation dépendrait de plusieurs établissements, le choix d’affectation se ferait en fonction de critères positifs dans le profil des établissements (il y aurait des collèges de musiciens, des collèges de sportifs, des collèges de geeks, etc… au lieu de collège de pauvres ou de riches comme c’est le cas aujourd’hui)
4) Renforcer les sentiments de solidarité réciproque en faisant de la pédagogie – les chiffres montrent qu’une personne ayant bénéficié d’une aide de l’Etat n’en a pas conscience. (Personnellement, j’ajouterai qu’une éducation civique ventant l’intérêt de l’impôt, ne ferait pas de mal)
5) Favoriser l’actionnariat populaire en créant une fiscalité avantageuse pour les petits prote-feuilles.
6) Accorder une dotation initiale en capital à chaque citoyen – pour être indépendant des parents à la majorité – financé par un impôt sur les hauts patrimoines et les successions. (Idée peu convaincante à mon avis : les enfants de riches seront toujours plus favorisés que les enfants de pauvres)
- Dans la 3eme PARTIE (très décevante), David Djaïz explique comment une redistribution territoriale à l’intérieur des nations a permis jusque là, de compenser les inégalités économiques d’une région à l’autre. Il explique comment ce phénomène s’est fait moins prégnant depuis la crise de 2008, sauf en France où la solidarité nationale a résisté pour des raisons historiques.
Face aux néolibéraux qui somment de faire évoluer les institutions et structure démocratiques vers des échelles de décisions plus adaptées à la mondialisation- c'est-à-dire vers des structures supranationales. Djaïz indique qu’il n’y a que 3 échelles possibles : la tribu, la nation ou l’empire. Pour lui, la première (il prend l’exemple très douteux du djihadisme pour définir la tribu) et la dernière (il évoque le passé des empires pour en discréditer la notion de structures de gouvernance démocratique supranationale, là encore, c’est discutable) sont obligatoirement des instances aux décisions verticales -autoritaires et non démocratiques-. (Je considère que son argumentation est très pauvre et donc peu convaincante. Il oublie les dégâts historiques liés aux identifications nationales des citoyens. Il oublie également une échelle sans doute plus judicieuse et qui va dans le sens de l’histoire : l’échelle mondiale – même si je suis bien conscient, que ce niveau de décision est encore à ses balbutiements. On ne peut pas se baser sur le fait que la nation est l’échelle à laquelle se raccroche le plus de citoyen pour en déduire que ce sera toujours le cas et qu’il ne vaut pas la peine d’essayer de le dépasser. Sans cela, nous en serions encore à l’époque des tribus.)
Pour renforcer la nation, l’auteur fait des propositions afin de l’équilibrer :
Au niveau national :
1) Redistribuer les impôts fonciers en les calant sur les prix immobiliers et développer la capture fiscale de rentes
2) Installer les fonctionnaires des grandes administrations d’Etat dans les zones sinistrées économiquement pour recréer de l’emploi
Au niveau local (Si j’ai bien compris, c’est ce que Djaïz appelle SLOW DEMOCRATIE. Oui, il faut attendre les dernières pages du livre pour qu’il en parle !)
3) Réorganiser les institutions décisionnaires locales pour permettre des adaptations aux besoins locaux -monnaie locale, mise à disposition des agriculteurs de terrains à loyer modique, faciliter la création de coopératives…-.
4) Développer les artisanats locaux d’excellence dont les nomades pourraient profiter et qui les inciteraient à ne pas partir.
5) Faciliter la rénovation des bâtiments pour créer des emplois locaux.
6) Favoriser la consommation de produits locaux..
7) Développer des conseils participatifs (maisons citoyennes) adossés aux conseils municipaux (ou communautaires).
Le SLOW DEMOCRATIE est (si j’ai bien compris) la mise en place de structures communautaires permettant de protéger les territoires de la course que représente la mondialisation.
Lien :
http://millefaces.free.fr