Dexter Palmer

Ces poches d’air qui chez l’homme produisent pets et rots n’ont aucune importance, mais les espaces intérieurs du corps féminin: Dieu leur assigne une mission si noble que la propriété qu’en ont ces femmes ne peut être que provisoire. Ces espaces vides ne peuvent être laissés tels sans raison - ils sont là pour être pénétrés, envahis, farcis jusqu’à l’explosion. La règle des hommes: tout espace doit être rempli.

Parle-moi et nous échangerons des histoires : une à toi contre une à moi. Ne va pas imaginer que je ne sais rien de ton cher petit journal secret. Ça aurait quand même un peu plus de sens si tu me confiais tes pensées au lieu de les consigner dans un livre minable que personne ne lira à part toi, tu ne crois pas ? C’est tout ce qui différencie la masturbation de l’acte sexuel. Prononce ne serait-ce qu’un mot et nous serons mariés ; une phrase, et le mariage sera consommé ; une seule brève conversation sur le temps qu’il fait, et toi et moi vieillirons ensemble en orbite autour de la Terre dans notre petit monde calfeutré pour toujours pour toujours pour toujours…

Nous vivons dans notre petit univers à nous, elle et moi, or elle est folle, et je suis sain d’esprit. C’est la seule chose dont je sois certain. Prospero Taligent l’a poussée à la déraison : pendant trente ans elle a été sa fille et sa tête n’y a pas résisté ; pas question de connaître le même sort. Elle est folle et je suis sain d’esprit. Lui parler, lui dire ne serait-ce qu’un mot, serait reconnaître et accepter sa folie et je n’aurais plus le choix alors que de la suivre jusqu’au fond du gouffre, jusqu’à ce que nous nous retrouvions tous deux seuls sur ce navire dans les nuages, volant sans répit autour de la Terre, les hommes mécaniques subvenant aux moindres de nos besoins, hurlant à en perdre la voix et comptant les secondes qui s’écoulent avant la chute de la Lune.

Autrefois, je gagnais ma vie en écrivant des mots mais c’est la première fois que je raconte une histoire. Le monde désormais n’a plus d’histoires nouvelles ni de conteurs. Ne restent que des bribes de phrases qui signifiaient la narration : il était une fois, pourquoi, et puis, fin. Ces expressions ont perdu leur sens à force d’être répétées sans cesse, ainsi que toute chose en cette ère moderne et mécanique. En cet âge de la machine, les histoires n’ont pas leur place. De nos jours nous recherchons nos plaisirs en des instants isolés, fixés dans l’ambre, comme si nous n’avions aucun désir de lier l’avenir au passé. Des histoires ? Nous n’avons pas de temps à leur consacrer, nous n’en avons pas la patience.

Il a fichu ma vie en l’air. Tous les jours, je reçois un peu de morphine, gratis, dans un joli petit flacon en cristal qu’on laisse devant ma porte. Il n’y en a pas assez pour me tuer, juste pour me satisfaire. À midi, le flacon est vide et je le gage l’après-midi pour m’acheter de quoi tenir jusqu’au lendemain, jusqu’au prochain flacon. Je ne pense à rien d’autre. Écoutez-moi. C’est un criminel. De la centaine de filles et de garçons qui sont entrés dans la Tour il y a vingt ans, six sont morts à cause de ces cadeaux qu’il leur a faits. A-t-il exaucé votre vœu le plus cher ? Si la réponse est oui, alors c’est fini

Un mot de tes lèvres, c’est tout ce que je veux. Prononce-le et nous commencerons. Un nom, un rang, un numéro de série, les paroles d’une chanson populaire dont tu ne te souviens pas bien, n’importe quoi fera l’affaire. Et d’un pas lent et précautionneux nous pourrons alors passer à de douces joutes verbales, à des histoires déjà entendues, à la description des tréfonds abîmés, tréfonds les plus sombres de nos vieilles âmes usées. Je t’aimerai en retour, je te dirai des secrets…

Cette sortie du rêve est le pire moment. Elle dure toujours quelques secondes. Et c’est… comme si vous étiez nu sous l’eau, à court d’oxygène, bien au fond, là où il fait vraiment sombre, il faut absolument remonter. Vous puisez dans vos dernières précieuses ressources d’énergie pour atteindre la surface et respirer enfin et, à l’instant où votre tête émerge de l’eau, il vous revient – pensée horrible et trop tardive – que vous êtes un poisson.

Je ne suis pas né de la dernière pluie, vous devez vous en douter.
J’ai besoin d’aide. Je me suis levé du pied gauche, comme ça arrive parfois. Certains de mes rêves sont pires que d’autres. Celui-là n’est pas totalement affreux, mais j’ai quand même besoin de vos services.

Écrire, ce n’est pas du tout la même chose. Le mot sur la page a d’autres qualités, d’autres pouvoirs. Si le monde d’avant mon incarcération m’a appris quelque chose, c’est bien cela.