Je me souviens du dernier jour de classe, par un après-midi éblouissant de juin. Tous les élèves, garçons et filles, étaient réunis sous le préau pour un grand goûter ; les institutrices, les intituteurs et la directrice des deux écoles nous surveillaient. Nous buvions notre bol de lait, assis en tond par terre. La directrice a demandé à chacune des filles : " Qu'est-ce que vous voulez faire quand vous serez grande ? " Mes copines se sont précipitées pour répondre qui coiffeuse, qui postière, qui couturière. Lorsque mon tour est arrivé, j'ai dit : " Je veux être docteur. " La directrice a eu un sourire amusé. " Rien que cela ! Eh bien, mademoiselle, voilà qui n'est guère modeste ! " Mes copines ont éclaté de rire, trouvant sans doute l'idée saugrenue, heureuses de pouvoir marquer leur accord avec la directrice.
J'ai été blessée puisque je m'en souviens. Je vois encore précisément le fond de mon verre de lait. Je le fixais pendant que tout le monde souriait que je me disais " Pourquoi ne serais-je pas docteur ? "
Sentir , respirer , s'émouvoir et contempler les belles choses toutes simples dont on peut profiter tous les jours : le rire de jeunes gens qui papotent à une terrasse , le relief étrange d'un vieux mur de Paris qui semble dessiner des figures fantastiques.
Tuer l'être aimé , provoquer la fin d'une vie devenue insupportable est quelque chose qui entre rarement dans le cadre de la médecine légale , mais ces affaires sont particulièrement pénible.
Cette dame a du sang sur les mains; pas celui des autopsies, elle porte des gants, mais d'innocents envoyés en cour d'assisses, en prison, en gav en raison de ses erreurs et de sa propension à se prendre pour une enquêtrice et à interpréter faussement d'ailleurs, les erreurs qu'elle commet lors de ses autopsies. Par quel miracle est -elle arrivée à ce poste ? Des obligations de parité ?
La secrétaire me poursuit avec le carnet de rendez-vous : Vous avez plusieurs réunions , il faut caser après la garde .Je la laisse faire. Je me sens un peu heureuse d'avoir fait quelque chose d'utile grâce à l'autopsie rapide.
J'ai l'impression que tous ces crânes me regardent fixement comme pour dire : nous sommes encore là , notre présence en est le témoignage ; alors toi , dans cette horreur , que fais-tu ?
Je vis une grande partie de mes journées dans cette maison des morts.