Je me brossais les dents dans la salle de bains quand c'est arrivé. Une décharge de kalachnikov en pleine matinée, comme un con j'en ai pas cru mes oreilles.
Dans la glace, je me suis demandé si j'étais bien là où je pensais. Si des fois j'étais pas encore de service à Pristina [Kosovo]. Putain j'y étais pas. Pas de sang qui me tombe de la gueule ni de pendus aux portes des maisons. (...)
Trois, quatre, cinq corps à terre, et tout le tremblement que peut provoquer une décharge de kalachnikov au milieu d'un carrefour. Les badauds qui gueulent sur les blessés, les sacs éventrés, les vitres des magasins brisées, les bagnoles embouties, d'autres qui klaxonnent à l'arrêt et les sirènes qui rappliquent à fond de train sur les artères.
Oh, c'était pas Pristina, loin de là. Mais peut-être bien que toutes les guerres commençaient comme ça. Allez savoir, j'avais toujours raté le début.
(p. 135-136)
A un moment, j'ai tendu l'oreille parce que ça parlait de chiffres [sur France Info] mais ce n'était pas la Bourse comme je croyais, il s'agissait d'espérance de vie, comme quoi nous les hommes on allait vivre jusqu'à soixante-dix-neuf ans et que notre espérance de vie allait augmenter d'un an tous les quatre ans.
Et là, bêtement, ma main s'est mise à s'agiter sur ma calculette. En moins de deux j'ai calculé mon espérance de vie personnalisée et un quart de seconde plus tard, je savais que le milieu de ma vie se situerait à trente-neuf ans et demi exactement. 39,6.
Je n'ai jamais oublié ce nombre. Ce jour-là il s'est inscrit dans mon esprit aussi sûrement que ma date de naissance. Le problème, c'est que j'ai commencé à y penser n'importe quand. De plus en plus souvent. A en devenir malade.
(p. 10-11)
« Ça te dirait, toi, de coucher avec un thanatopracteur ? » m'avait[-il] demandé au début de notre relation, au sujet d'un ami à lui qui l'était et dont aucune femme ne voulait.
- Quelle horreur !
La fin du mois se passa comme dans un tunnel. C'était la dernière ligne droite, je fonçais au radar.
Elle n'est pas du genre à feindre la migraine, ni même à l'avoir quand elle l'a. Le truc est si répandu dans la bouche des femmes qu'elle soupçonne le mot 'migraine' de provoquer un effet aphrodisiaque sur les hommes.