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Critiques de Edgar Lee Masters (11)
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Des voix sous les pierres

Avant d’être écrivain et poète, Edgar Lee Masters était un brillant avocat. En 1915, il publie

« Des voix sous les pierres, les épitaphes de Spoon River » qui propose 242 poèmes en vers libres, chacun étant l’épitaphe d’un défunt imaginaire dans le tout autant imaginaire cimetière de Spoon River.

On découvre ainsi, à travers ces épitaphes, très courts pour certains, l’humeur et le caractère de ces habitants allongés là pour l’éternité. Certains ressassent leur amertume ou leur haine, comme Amanda Barker, morte en couches et qui accuse son mari de sa mort. Il y en a de cocasses comme celle de cet homme solitaire enterré avec son chien Nig

« Son crâne repose sous ma mâchoire

Et notre histoire se perd dans le silence. Passe, monde fou ! »

Certaines se répondent comme celle du voleur de cochons et de la femme adultère.

Il y a ceux qui parlent de leur mort naturelle et les autres dont le décès est accidentel, une chute ou la morsure d’un crotale. Mais certains morts préfèrent évoquer un souvenir de leur vie passée et c’est parfois touchant.

J’ai trouvé certaines épitaphes sans intérêt et j’avoue avoir préféré les textes bucoliques ou teintés de mélancolie, comme l’épitaphe de Jonathan Houghton :

« Un vieil homme s’est endormi sous un arbre

Une vieille femme traverse la route,

Venant du verger avec un panier de mûres,

Un enfant est couché dans l’herbe »

La dernière épitaphe porte le nom véritable du poète, Webster Ford, elle est d’un lyrisme tragique.



Chacun de ces textes raconte dans des styles différents, des fragments de vie avec des regrets ou des haines encore vivaces. C’est un véritable concentré des comportements humains et qui redonne vie à tout un village. C’est si animé qu’on en oublierait presque que ces gens sont bel et bien morts et enterrés !



Des photos en noir et blanc de Mario Giacomelli illustrent le recueil. Elles sont très sombres, assez étranges et on a l’impression de voir surgir des fantômes.



On peut ne pas aimer tous les textes mais ce recueil peut se feuilleter et se picorer selon l’envie et chaque lecteur peut y trouver son plaisir.



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Des voix sous les pierres

Je lis très peu de poésie, ce n'est pas un genre avec lequel je suis très à l'aise. Alors pourquoi avoir sélectionné ce recueil de poèmes parmi tant de livres proposés lors de la dernière masse critique ?

C'est en partie pour le titre, très beau, qui m'a interpellée, comme une voix d'outre-tombe qui m'aurait appelée.

C'est aussi pour cette couverture végétale aux reflets mordorés, tout en relief, magnifique d'élégance et de simplicité.

Mais c'est avant tout pour l'extrait d'un des poèmes au dos de la couverture :



« Tu as levé les yeux et vu Jupiter

Trônant à la cime du pin géant.

Et puis tu as baissé les yeux et vu

Mon fauteuil vide se balancer au vent sous le porche solitaire.

Courage, mon amour »



« Des voix sous les pierres » est une très belle réédition du recueil de poèmes « Spoon River » d'Edgar Lee Masters qui a connu un succès commercial immédiat lors de sa publication en 1915, mais qui est depuis tombé dans l'oubli.

Ce livre est assez déroutant. Ces poèmes, parfois très courts, de forme libre, sont comme des historiettes, des épitaphes, souvent porteurs de messages ou d'une morale.



C'est par cette entrée que j'ai fait connaissance avec les 244 habitants du cimetière de la petite ville rurale Spoon River dans l'Illinois. Leur identité sert de titre à chaque poème.



*

Aux heures entre chien et loup,

Le ciel d'une couleur fantomatique s'éteint

dans une lumière mélancolique et funeste.

Un silence glacial règne,

seulement brisé par des rafales de vent.

Je suis parcourue d'un long frisson.



Je m'avance, solitaire, dans les allées ensommeillées

du cimetière de Spoon River.

Tous dorment, ici, sur la colline, près de la rivière.



Je m'arrête devant une tombe.

Des mots ont été gravés.

Je commence à lire la citation,

des paroles creuses et trompeuses, vides de sens.

Je m'en détourne

et continue à déambuler parmi les tombes.



Et puis, je m'arrête à nouveau,

sur le qui-vive cette fois,

alertée par un souffle d'air

d'une imperceptible légèreté

qui m'enlace de son manteau hivernal.



Balayés par cette bise caressante,

Les épitaphes des tombes s'effacent alors

une à une

Ne laissant que des pierres nues.



Saisie par ce prodige,

je ne sais si je dois hurler ou me sauver.

Et c'est à ce moment-là qu'au bruissement du vent,

Se mêlent des mots doucement murmurés.

Les sens en alerte, je tends l'oreille,

attentive à la moindre parole.



Ce sont les défunts qui me soufflent une autre histoire.

Ils réécrivent avec plus de justesse,

leur propre épitaphe, leur propre vérité,

Révélant par la même occasion leur vraie nature.

Ames vipérines, purulentes, méprisables, blessées.

Peu sont pures, généreuses et altruistes.





« Parfois la vie d'un homme devient un cancer

A force d'être meurtrie, meurtrie sans cesse

Et se transforme en tumeur pourpre

Comme on en voit sur les tiges de blé. »



Aucun ne me veut du mal.

Ils veulent seulement trouver une oreille attentive, compatissante.

Et je reste là, à les écouter,

rassurée par leur présence inoffensive.

Je suis calme,

Seulement troublée par leurs sombres pensées.



Des fragments de vie me sont révélés.

Les épreuves et les drames qui ont jalonné leur vie.

Les circonstances de leur mort.

Leurs relations les uns avec les autres.

Leurs secrets les plus inavouables.



Chaque parole soupirée dépose sur mon visage

un voile de douleur, de tristesse

qui s'insinue en moi.

Car ces messages d'outre-tombe expriment tour à tour,

leurs peines, leurs erreurs, leur colère,

leurs espoirs déçus, leurs regrets,

leurs trahisons, leurs mensonges ou leur malveillance.



« Mais les rats ont rongé mon coeur

Et un serpent a fait de mon crâne son nid. »



Des voix se cherchent et se répondent dans la mort,

Ne me laissant d'autre choix que d'être spectatrice,

à la fois impuissante et muette.

Ces paroles ventées grondent,

dénonçant les injustices passées,

revendiquant le respect de leurs droits,

tentant de blesser à nouveau, de détruire,

de soulager leur conscience

ou de trouver le repos après une vie de souffrance.



D'autres voix m'enveloppent et m'émeuvent,

plus douces, presque diaphanes,

comme celle de Pauline Barrett.



« Nous avons marché ensemble dans la forêt

Dans le silence d'un sentier d'herbes et de mousses,

Mais je n'ai pas osé te regarder dans les yeux.

Et tu n'as pas osé regarder dans les miens,

Tellement nous étions tristes – toi, tes premiers cheveux gris,

Et moi, l'ombre de moi-même. »



*

Je trouve dans l'écriture d'Edgar Lee Masters beaucoup de profondeur et de justesse.

Les images qu'il évoque pour parler de la vie sont saisissantes. Chaque texte éclate en un kaléidoscope d'émotions, allant de la haine à la tristesse, en passant par la consternation, la résignation, la colère, ou la joie.



« Je sentais le battement de leurs coeurs sur le mien,

comme les ailes de mille papillons.

Je fermais les yeux, et je sentais leurs coeurs vibrer. »



De nombreux passages du recueil sont tristes, amers, acerbes, témoignant de la dureté de la vie à cette époque. Mais quelques-uns se détachent de l'ensemble des poèmes par leur lumière, leur joie simple.

Et ce qui est particulièrement intéressant, c'est de voir qu'un même évènement est vécu et interprété différemment suivant les points de vue de chacun.



*

« Des voix sous les pierres » est un recueil qui mérite d'être lu lentement, picoré deci-delà. C'est aussi une lecture qui mérite que l'on y revienne, car chaque nouvelle relecture s'enrichit de nouvelles nuances, résonne différemment suivant notre état d'esprit.

Tous les poèmes ne m'ont pas parlé, mais beaucoup d'entre eux sont magnifiques.

Une expérience de lecture originale que je vous invite à découvrir.



Un grand merci à Babelio pour leur envoi et aux éditions "Les belles lettres" pour leur excellent travail d'édition.
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Spoon River

C'est consécutivement à la lecture en 1909 des épigrammes de l'Anthologie grecque, qu'Edgar Lee Masters eut l'idée de composer cet ouvrage étrange et vénéneux, paru en 1915 et mettant en scène les habitants disparus de Spoon River, village issu de la fusion imaginaire de Lewistown et de Petersburg, bourgades de l'Illinois. On retrouve dans le ton étrange de ces épitaphes les influences conjointes de Poe et de Whitman. L'Anthologie de Spoon River surprend par son mélange d'ironie et d'humanité, mettant en lumière les contradictions entre la moralité officielle affichée de leur vivant par les villageois décédés et leurs véritables aspirations. L'amertume et la frustration, le regret du non-vécu et les espoirs déçus qui sont exprimés ici, donnent à cet ouvrage une sonorité étonnamment critique de l'hypocrisie constitutive du puritanisme "à l'américaine". Mais c'est tout le talent d'Edgar Lee Masters d'avoir pour se faire, trouvé une forme poétique, adéquate à ces discours « d’outre-tombe » empreints de mélancolie.

Une œuvre remarquable qui reste pourtant fâcheusement méconnue en France.
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Des voix sous les pierres

Grâce à masse critique et à l’éditeur « Les belles Lettres » qu’ils en soient remerciés ! j’ai entre les mains un très beau livre. Matériellement par la qualité du carton de couverture, de l’orchidée solidaire échappée d’un herbier qui s’y trouve incrustée, par la qualité du papier et par l’intégration d’ une bonne dizaine de photographies noir et blanc superbes et mystérieuses qui illustrent un des poèmes du recueil. Cette réédition, en habit de lumière, contient une préface retraçant avec sobriété la vie de l’auteur Edgar Lee Masters. Ce poète et avocat qui deviendra un écrivain prolixe et compulsif, très peu publié malheureusement pour lui après son coup de maître, Sponn-River anthology best-seller dès sa parution en 1915 et toujours réédité aux USA depuis.

Le recueil est constitué de 244 poèmes, en vers libres qui sont les 244 épitaphes d’habitants de Spoon River, unis dans la mort, après avoir fortement été désunis dans la vie, à quelques exceptions remarquables près ! Ces voix sous les pierres, forme un ensemble très original, et nous laissent un fort goût d’inachevé , de gâchis, d’amertume, d’ironie, d’amour aussi. C’est à la fois triste et pénétrant, bien que totalement daté comme ces vies, qui en nous plongeant dans le Nouveau Monde, ses valeurs, son écosystème, nous offre aussi quelque chose d’universel sur la condition humaine et les ressorts bons ou mauvais de notre humanité. Un exploit d’écriture que cette courte anthologie gisant en ce cimetière de Spoon River !

Pour terminer mon propos, voici deux extraits de poèmes pour vous donner une idée du large spectre utilisé par Lee :

Du très concret et matériel :

Perry Zoll

« Merci, amis de la société savante du comté

Pour ce modeste bloc

Et cette plaque de bronze. Deux fois, j’ai tenté

De rejoindre votre illustre compagnie

Mais sans succès.

Et quand ma petite brochure

Sur l’intelligence des plantes a commencé

A me valoir quelque renom,

Vous m’avez presque élu de force.

Après, je n’ai plus eu besoin de vous

Ni de votre caution.

Cependant, je ne récuse pas votre stèle

Car en l’acceptant je vous prive

De vous honorer vous-mêmes ».



Au plus transcendant :

Judson Stoddard

« Au sommet d’un montagne dominant les nuages

Qui s’étalent comme une mer au-dessous de moi,

Je dis que ce pic est la pensée du Bouddha,

Celui-ci la prière de Jésus,

Celui-là le rêve de Platon

Et ce troisième le chant de Dante;

Voici Kant et voici Newton,

Voici Milton et voilà Shakespeare,

Ici est l’espoir de notre sainte mère l’Eglise,

Là… Tous ces pics sont des poèmes,

Des poèmes et des prières qui percent les nuages,

Et l’ai dit : « Que fait Dieu de ces montagnes

Qui s’élèvent presque jusqu’au ciel ? »



Une belle découverte que de recueil, à inscrire dans votre PAL heureux ami ou lecteur Babelio que l’algorithme de Babelio a conduit jusqu’ici, ou à offrir un amateur de poésie ou de encore de promeneurs fascinés par les cimetières …













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Spoon River

Deux cent quarante quatre ombres d’éternité qui savent que courtes et tristes sont les vies - les leurs - les nôtres -

dites en quelques vers de rhétorique creuse sur des pierres tombales.

Dans le cimetière Madame Pantier parle à Ruben Pantier qui s’adresse à Emily Sparks, sa vieille fille d’institutrice qui l’aimait comme un Jésus Christ de L’Illinois;

et tous ils se racontent,

et ils/nous ont si peu à dire, que cela nécessite peu de place et beaucoup de talent - et il en a Edgar Lee…

tous, ils se racontent les juges, les assassins, les cocus assassinés, le chinois confucéen - une âme que l’on veut ramener au dieu des chrétiens - des illuminés…de toutes sortes, panthéistes, bouddhistes, chrétiens…et même un athée;

il y a aussi un banquier qui a mis sur la paille les épargnants de la ville quand son fils s‘est fourvoyé dans des opérations financières incontrôlées,

un juge qui regrette d’avoir condamné un assassin à l’âme plus innocente que la sienne,

Hod Putt, the murderer,

Hanged by my sentence,

Was innocent in soul compared with me.

et l’on se prend à imaginer la Duse qui déclamerait ces épitaphes,

qui dirait mieux qu’elle les vers sur la tombe d’Hamlet Mircure ?

Et pourquoi écrire plus quand on peut tout dire en un seul vers, en un seul mot ?

dans cette ville où un homme vêtu de noir - qui ressemble à Euripide comme un frère - est venu pendant une nuit - qui était peut être de décembre - parler du désespoir et de la vanité de demander des comptes à Dieu comme un Job qui n’aurait pas tout compris, lui aussi;

nostalgie, humanité, méchanceté, espoir,

nos vies en totalité, nos vies dans les vers d’Edgar Lee Masters,

ses vers libres - eux - au contraire de ces vies, de nos vies, convenues prévues, enchaînées…



usqu'à Robert Seethaler (Le champ) – nombreux sont les écrivains qui ont tenté de retrouver cette veine, mais sans jamais atteindre ce niveau de perfection, d'humour et d'humanité.





On peut lire Spoon River Anthology comme une histoire qui raconte des histoires entrecoupées, on en a recensé dix neuf et les habitants se répondent, on peut aussi les lire séparément ces textes,

c’est presque aussi intéressant que les vies des people…

avec tous ces morts nous boirons une eau de vie dans un cimetière ou à côté..





On trouvera pêle-mêle ici La Sagesse de Salomon, Cassius Hueffer, Flossie Cabanis, the circuit Judge, John Horace Burleson, Hamlet Mircure, John Ballard,

Mon édition de ce livre: Macmillan en 1962, préface de May Swenson


Lien : http://holophernes.over-blog..
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Spoon River

J’ai oublié d’où je tiens le nom de Edgar Lee Masters : sans aucun doute d’un autre livre où j’ai lu son nom au passage ; quant à savoir lequel… Ce nom figurait sur une de mes fiches comme une référence curieuse : j’ai parcouru la liste de ses ouvrages disponibles en français, et je n’ai trouvé que Spoon River, alors j’ai acheté, sans savoir au juste de quoi il s’agissait.



Voilà donc : des poèmes américains traduits, sans texte original en vis-à-vis. Vraiment, mon recueil de critiques semble condamné à ne commencer environ que par des exceptions, car enfin, comme je l’ai déjà écrit, généralement je ne lis pas de poésie uniquement traduite, à plus forte raison quand les vers sont libres : je n’entends presque rien aux règles de versification étrangères et je déteste à peu près toutes les « licences poétiques ».



Enfin ! on ne me reprochera pas cette fois-ci, comme c’est arrivé, de cultiver des préjugés par une attitude de fermeture, de sectarisme, d’obstination butée : je m’intéresse à tout, quoi qu’on me reproche, en voici la preuve, et je me moque qu’on critique mes avis car ils sont sincères et sans a priori. Ne serais-je pas réellement le dernier imbécile si je m’importunais à passer de longues heures dans un ouvrage au seul plaisir anticipé de le démonter ensuite ?



Masters : 1868-1950 – situation chronologique. Spoon River Anthology, en version originale – ce n’était pourquoi guère difficile à traduire… L’idée de ce recueil, je dois dire, est astucieuse et fascinante : Spoon River est le nom d’un village américain probablement imaginaire. Là, sous une colline qu’on appelle un cimetière, les morts du siècle précédent livrent en vers leurs ultimes leçons de vie, récitant à l’infini leurs dernière sagesses, tout ce qu’ils croient avoir appris de nécessaire sur l’existence et qu’ils ressassent outre-tombe, le plus souvent avec amertume et remords. C’est ainsi que chaque poème, exprimé en général en moins d’une page, est intitulé du nom du défunt.



Ce qu’il y a de prodigieusement inventif dans cette idée simple en apparence, c’est que tous ces personnages, issus des milieux les plus divers, ayant exercé les professions les plus opposées, chargés des tendances les plus incompatibles, compositement se connaissent et se répondent, se contredisent et se critiquent, fourmillent de maintes anecdotes entrecroisées, racontant leurs morts, exposant leurs idéaux, chacun dans son langage et suivant son caractère, au point que, d’épitaphe en épitaphe, c’est tout le peuple d’un hameau ancien qui se déploie avec ses turpitudes et ses rumeurs, avec ses aspirations et son mode de vie, avec sa jalousie et son histoire ; et toutes ces paroles disparates, se rejoignant en une vaste communauté d’âmes dont l’humanité est ce qui transparaît le mieux, forment ensemble un portrait collectif de n’importe quel groupement d’individus isolés, sans préconception ni idéalisme naïfs. On découvre ainsi qu’il y a des morts qui se détestent, les enterrements ne transfigurant personne, que tout est demeuré figé dans des synthèses de rancune et d’hypocrisie larvées, que des enfants et des hommes et des femmes et des vieillards ont vécu et sont morts insatisfaits, que l’argent et la politique et le travail et la croyance et la poésie ont bâti tout le passé inextricable de Spoon River ; et, pour le lecteur, c’est une réjouissance et un défoulement que tout ce qu’il y avait de plus secret, de plus rentré, de plus ignoblement ou superbement tu, soit enfin révélé comme par indiscrétion d’âmes et comme s’il était lui-même le descendant de cette foule enfouie.



C’est ce jaillissement-là, cette exhumation des vérités après l’inhumation des corps, qui produit un sentiment d’éblouissante honnêteté, ainsi qu’au bain direct d’esprits humains, même d’esprits médiocres ou vicieux, qui ont en commun l’abandon de la pudeur et la perte de toute nécessité des usages et des faux-semblants.



Et je songe qu’il a fallu un homme d’une singulière trempe et d’une observation bien vaste pour oser produire tant de témoignages fictifs et hétérogènes sur la religion, sur le pouvoir, sur les milieux sociaux et sur l’Amérique même, sans pourtant en faire un ressort systématique ou pamphlétaire qui serait réducteur et partisan, et en embrassant, en somme, un cosmopolisme de points de vue crédibles, comme s’il avait été possible à cet auteur d’immiscer et de rendre compte à peu près des pensées achevées ou inaccomplies d’une génération entière.



Alors, parmi toutes ces correspondances singulières ou symboliques, on discerne, mais au gré seulement de ce qu’on préfère entendre, je veux dire à la suite uniquement de ceux des morts qu’on élit, des bribes de réflexions fugitives et édifiantes, des incitations à vivre de telle manière, de véritables pensées éloquentes, qui prônent tantôt la contemplation de la nature, le goût des amitiés, les joies et douleurs de la famille, les combats et les injustices politiques, la poursuite vaine ou épanouissante des biens acquis et de l’argent, ou encore les asservissements et libertés de toutes sortes – le tout étonnamment détaché des conventions notamment religieuses propres encore aux mentalités anglo-saxonnes de 1916 où l’ouvrage fut publié. Cette variété de maximes explicites ou induites qu’on doit supposer les conclusions morales d’existences tangibles, inévitablement finit par « parler » au lecteur quel qu’il soit, et, sans de cette influence pesante qui imprègne toute fable un peu appuyée, on ressent tôt ou tard quelque adhésion et même quelque amitié profonde – admiration ou pitié – pour l’un de ces personnages qui résument, avec tant de générosité et de verve, tout le lot d’une vie, comme un cadeau d’existence à apposer à la nôtre.



Avec cela, une expression généralement ample, colorée, minutieuse et imagée, certes un peu difficile quelquefois en première lecture – il faut, à mon avis, lire immédiatement chaque poème au moins deux fois – mais traduisant efficacement, même en français, les subtilités de chaque âme ainsi dépeinte et offerte.



On trouve forcément, dans le lot, des poèmes moins forts, vite oubliés, évidemment secondaires, où la réflexion est plus lâche – voire absconse – et le style plus consensuel, et je regrette que le recueil s’oriente peu à peu vers des méditations de plus en plus abstraites au point que les personnages ne sont plus, dans le dernier quart ou cinquième du livre, que des émanations sans tempérament, de purs esprits auxquels l’auteur a ajouté un nom. Je préfère, et de loin, ces poèmes où les « Spoon Riverains » racontent quelque anecdote d’importance et par exemple la façon significative dont ils ont fini leur vie : ces pièces-là, dans leur réalisme cru et terminées comme des chutes, trainent après elles une émotion sincère, plus brute mais souvent déchirante, au lieu de cet éther un peu artificiel dont on fabrique de la morale détachée et qui sent excessivement la chaire, sans parler de l’ampoule et de la déconnexion.



Un dernier mot enfin, sur cette couverture superbe d’un certain Harry Clarke de 1919, où l’on voit, par une sorte de transparence, un cadavre dans son cercueil, exorbité, une main déployée et la bouche ouverte comme prête à crier, côtoyant les racines étendues d’un vieil arbre poussant à la surface, en un style qui m’évoque Aubrey Beardsley que j’avais découvert en illustration d’une pièce d’Oscar Wilde. Cette gravure inspirée est sinistre peut-être mais évocatrice de l’enfermement où se sentent pris morts et autrefois vivants dans l’œuvre elle-même : elle témoigne d’une époque plus élevée que la nôtre où l’artiste lisait le livre qu’il se proposait d’illustrer, et où on ne confiait pas ce rôle esthétique à des studios qui en réalisent aujourd’hui quinze par jour en apposant des photos idiotes sur des romans classiques aussi bien que contemporainement superficiels. Il n’y a rien de plus à dire là-dessus, sinon qu’il faudra convenir un jour que si les éditeurs ambitionnent de continuer longtemps à vendre des livres au format papier, il faudra qu’ils fassent de cet objet quelque chose de plus attentivement soigné que ces malheureux poches qu’ils nous imposent, faute d’avoir voulu employer les gens qu’il faut et qui, peut-être, leur auraient réclamé seulement quatre ou cinq centimes de plus par livre produit.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Des voix sous les pierres

Un avocat de Chicago, Edgar Lee Masters, publie en 1916 un recueil qu’il intitule Spoon river. Avec ses 242 pièces poétiques de longueurs et de tonalités variées, il retranscrit les épitaphes inscrites sur les tombes du cimetière de Spoon River, petit village imaginaire. Chacune des inscriptions que constituent les poèmes forment des témoignages sur les personnages de ce petit bourg. Avec une acuité de chirurgien de mœurs, le poète dissèque les âmes des habitants. Il écrit ainsi un véritable traité de sociologie et n’hésite pas à adopter un ton acerbe. Dans la forme, les épitaphes sont écrites en vers livres qui donnent l’impression de lire de petits récits. Edgar Lee Masters se rapproche souvent de l’oraison funèbre. Sa poésie est sombre et évoque le blues de la société américaine.
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Des voix sous les pierres

Original et étrange que ce roman-recueil poétique que m'a conseillé @maldoror.books du @furetdunord ! Un grand merci à toi pour la découverte !

Véritable ovni littéraire qui raconte à travers de cours textes, une page à chaque fois et par personnage, ce qui est arrivé à chaque habitant durant son existence.

Cimetière situé au bord d'une rivière à Spoone River dans l'état de l'Illinois, 244 tombes, 244 morts se racontent.

Chacun leur tour, les habitants prennent voix, qui pour se plaindre, cracher sa hargne, chanter son amour, se venger, se souvenir avec amertume, ou joie ou lassitude de ce qu'il a été et surtout de ce qu'on lui a fait subir.

C'est déstabilisant, drôle par endroit, pathétique à d'autres. Mais poétique et fascinant. Une première traduction de 1915, a paru pour la 1ère fois en 1976 puis en 2000 sous le titre Des voix sous les pierres . Il y a quelques photographies étranges dans le livre...

.
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Spoon River

Quel beau recueil de poèmes ! À lire à petites doses et à relire pour mieux remarquer les détails et le sens profond.

Et pourtant je dirais que ces poèmes grincent et trahissent vague à l'âme, œil sans concession sur les défauts des uns et des autres et où la mort est omniprésente.

Bref j'ai aimé l'ensemble et bien sûr le tout premier : "la colline", celui "Georges Gray" p. 47, "Madame Sibley p. 82
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Spoon River

Un régal...



Un souffle qui murmure à vos oreilles...



Entendez-vous, dans nos campagnes...souffrir ces pauvres âmes qui pleurent jusqu'en dans nos bras leurs femmes et leurs enfants..



A Spoon River un étendard sanglant s'est levé...

Un chant impur abreuve les sillons du cimetière..



A Spoon River, on rentre dans cette carrière quand nos aînés n'y sont plus... On y trouve leur poussière et la trace de leur vertus.

Bien moins jaloux que de leur survivre que de partager leur cercueil, nous aurons le sublime orgueil de les venger ou de les suivre...





Amour sacré de la nuit, soutiens ces bras vengeurs. Liberté, liberté cherie, combats avec tes défenseurs.



Spoon River est un hymne national.



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Des voix sous les pierres

Des voix sous les pierres de Edgar Lee Masters



Nous avons déjà eu le plaisir de vous présenter Paris de Hope Mirrlees issu de cette magnifique collection Poésie magique de la maison d'édition @lesbelleslettreseditions. À présent c'est au tour de ce recueil d'Edgar Lee Master plus connu sous son nom original de Spoon River.



L'auteur est très connu pour ses nombreuses biographies (dont celles d'Abraham Lincoln et de Mark Twain). Et ses textes, ses vers sont très étudiés aux États-Unis, puisqu'il porte l'histoire de l'Amérique aux yeux de tous avec rimes et métaphores.



J'ai tout de même eu la chance d'étudier quelques vers au lycée, j'espère que ce fut également votre cas. Sinon c'est vraiment l'occasion de découvrir ou redécouvrir cet auteur et son Œuvre. Tout en finesse il dépeint la société par la voix des habitants de l'au-delà. Ces personnes mortes qui auraient / ont encore tant à dire. Qui existaient / existent encore pour quelqu'un.



Un de mes poèmes favoris de ce magnifique recueil :



Anne Rutledge

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