Eli Flory - La barbe d'Olympe de Gouges et autres objets de scandale
Dans cet appartement aucune pièce ne donnait à Barbie l'envie d'y demeurer. Dans la cuisine, dans la buanderie, dans cette pièce commune où l'on passait ses journées, dans toutes ces chambres, il manquait à Barbie l'essentiel : un miroir. Les femmes vivaient là, agglutinées au visage des autres, sans moyen de se voir. De se voir elle seule. Sur tous les emballages, sur tous les magazines où un visage de femme apparaissait, il était badigeonné de feutre noir. Si tous ces vêtements n'avaient pas été si lourds et si poisseux, on aurait pu croire que les corps n'étaient aussi qu'aplat de peinture noire
A propos du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) :
Le principe de l'égalité des sexes a beau être inscrit dans le préambule de la Constitution depuis 1946, toutes ces sœurs Anne ne voient rien venir.
A propos de Christine de Suède :
les libelles la déclarent vierge, catin, lesbienne, femme, homme, amazone ou hermaphrodite. Ebauchée par la nature en femme et terminée en homme, selon l'un de ses détracteurs, elle n'a de féminin que le sexe, à se fier aux portraits faits d'elle.
[La reine Catherine de Russie] collectionne les hommes dont les noms riment et les caresses se répondent. Pour l'occasion, la reine a fait aménagé dans ses appartements privés du palais de Tsarkoïé-Sélo un drôle de cabinet de travail. Tapissé de godemichés, il est meublé d'un ensemble de tables et de fauteuils aux sculptures acrobatiques. [...] Le plateau d'un guéridon s'érige aux bouts de quatre phallus qui prennent leur pied dans des mamelons testiculaires, les accoudoirs d'un fauteuil se tordent de corps lascifs. C'est qu'une fois la reine assise sur son trône de velours rouge, il s'en passe dans son dos. Une nymphe fellationnant répond à un Priape cunnilinguant, les boiseries se creusent de sexes et de fessiers féminins.
C'est que Rosa [Bonheur] a obtenu auprès de la préfecture de la Seine la permission de porter la vêture masculine, autorisation obligatoire depuis l'ordonnance promulguée par Bonaparte en 1800 qui interdit aux femmes de se "travestir en homme". Ainsi accoutrée, elle peut aller peindre dans les abattoirs et dans les foires aux bestiaux [...].
L'intéressée ne se soucie guère que l'on se moque de sa dégaine. La nature n'a-t-elle pas donné deux jambes à tous les humains, sans distinction de sexe ?
Destinée terrible souvent qui fait que les plus grands cœurs sont ceux qui saignent le plus et qu'aux plus grandes âmes sont réservées les plus cruelles épreuves. Malheur à ceux qui ne sont point alors soutenus par le sentiment du devoir à accomplir ou qui ne sont pas réconfortés par une croyance.
Les yeux sont le miroir de l'âme. Tout le monde le sait. Tant pis si, parmi ce monde, les trois quarts sont bien infoutus de dire ce qu'est l'âme. Barbie était de ces gens-là. L'âme sonnait creux à ses oreilles. En revanche, elle en était sûre à présent, on pouvait bien obliger Puppa, Koukla, Bebek à cacher leurs visages sous un lourd tissu d'impassibilité, à dissimuler leurs traits, leurs rides, leurs rougeurs, les saillies de leurs muscles sous des grillages de voiles, personne ne pouvait gommer ce qu'il s'écrivait dans leurs yeux. Barbie ne savait rien de leur âme. Mais elle connaissait les effets sur leur regard de la fatigue, de la peur, du ressentiment, de la haine, de tous ces états transitoires, rarement définitifs, qui s'évanouissent si on leur oppose un sourire, une parole, une douceur.
Parmi les douze articles qui accusent Jeanne d’Arc d’hérésie, le grief de se « vestir en masle » tombe sous le coup d’une interdiction canonique. Un sacrilège sanctionné de la même peine que « le crime de somodie ». C’est le bûcher.
Le cœur n'a pas de rides.
A Boisrobert, son premier amant, elle - [Ninon de Lenclos] - écrit : Les hommes jouissent de mille libertés que les femmes ne goûtent pas. Je me fais donc homme.