- J'ai entendu dire qu'au petit-déjeuner, les clients boivent de l'or liquide dans des flûtes à champagne, lança une pensionnaire au fond.
- Il paraît que les oreillers ne sont pas garnis de plumes, mais de nuages, ajouta une autre.
- Et que l'hôtel fait trois fois le tour du monde toutes les nuits ! (...)
Malheureusement , il était impossible de savoir si les rumeurs disaient vrai. Les clients s'engageaient par contrat à tout oublier de leur séjour. Hormis leurs bagages, la seule chose qu'ils rapportaient était un sentiment de bonheur dévastateur.
On raconte que les fenêtres discutent entre elles pour décider du plus beau panorama sur Ailleurs, puis que chacune reproduit ce paysage, précisa Béatrice.
Son sourire imperturbable ressemblait aux rictus trop parfaits des marionnettes.
Préparez vos bagages pour ailleurs. Départ prévu à minuit.
- Le buffet a encore changé de place ! soupira Béatrice. Mais comment je fais, moi, pour m'y retrouver ?
- Tu veux dire que les pièces se déplacent au hasard dans l'hôtel ?
- Rien n'est dû au hasard. Chaque pièce apparaît lorsqu'on a besoin d'elle. Les salles de jeux, par exemple, ne sont là qu'en cas de mauvais temps. Elles renferment les divertissements les plus incroyables, qui existent. Ou encore, certaines salles de bal surgissent lorsqu'un client souhaite donner une fête.
Personne ne garde nos portraits dans son salon, personne n'espère nous voir arriver par surprise pour le thé, personne ne pleure en pensant à nous. En fait, personne ne pense jamais à nous. A l'extérieur de l'hôtel, nous ne sommes pas même un souvenir. Nous n'existons pas.
L’hôtel semblait se trouver là depuis toujours, coincé dans l’étroite ruelle, entre l’apothicaire Richelieu et la Maison du thé. Sa façade recouverte de bardeaux était percée de seulement cinq fenêtres, qui s’élevaient en colonne au-dessus de l’entrée sur autant d’étages. Il ne pouvait pas y avoir plus de dix chambres exiguës, là-dedans. Au-dessus de la porte pendait une enseigne trop ouvragée pour un édifice aussi miteux. Des perles incrustées formaient deux mots entrelacés : HÔTEL MAGNIFIQUE.
– Quel endroit bizarre, m’étonnai-je, un peu déçue.
Je finis par arriver dans un couloir éclairé par des bougies, au premier étage, où étaient alignés de superbes parapluies suspendus au plafond. Ils étaient ouverts et il pleuvait SOUS chacun d'entre eux.
Je n'en revenais pas, nous ne valions pas mieux que des spectres condamnés à errer à travers le monde. Tout bien considéré, même ça s'était faux, car les gens se souvenaient des fantômes. Hors de l'hôtel, nos existences n'avaient aucune permanence, aucun sens, aucun pouvoir.
Personne ne garde nos portraits dans son salon, personne n'espère nous voir arriver par surprise pour le thé, personne ne pleure en pensant à nous. En fait, personne ne pense jamais à nous. A l'extérieur de l'hôtel, nous ne sommes pas même un souvenir. Nous n'existons pas.