Mais au cours de toutes ces années il n'avait jamais pu s'expliquer l'apparente bonne foi de ceux qui croyaient réellement être innocents. Ils donnaient et prenaient de l'argent, recommandaient des gens et se faisaient recommander, dinaient avec n'importe qui, s'associaient avec n'importe qui, truquaient les concours, vendaient des voix, cultivaient des amitiés immondes, ne prenaient jamais de distance et tout cela durant toute une vie, sans jamais se poser de questions, sans jamais avoir de doute.
Puis, lorsqu'ils arrivaient devant un juge d'instruction, comme ils n'avaient jamais tué, violé ou volé à main armée, ils se déclaraient innocents. "Je comprends votre point de vue disait le juge Martinez mais ceux qui sont innocents... comment dire?... Ces innocents sont faits d'un autre bois."
(à propos d'un journaliste qui préfère prendre des notes plutôt qu'enregistrer la conversation)
Quelqu'un d'autre aurait utilisé un magnétophone mais ce journaliste n'était pas intéressé par les mots exacts, plutôt par ce que disait l'interviewé et par l'opinion qu'il s'en formait lui-même. Comme la plupart des éditorialistes de sa classe, il finissait en fait par s'interviewer lui-même, plus attentif à la formulation de ses questions qu'au contenu des réponses.
Le stylo témoignait seulement de l'idée exagérée qu'il se faisait de lui-même, de son hédonisme, de son anachronisme intellectuel et surtout de la surabondance de ses loisirs.