Napoléon avait ses propres convictions, mais il savait que l'Empire des sciences ne pouvait prospérer que dans le respect absolu de la liberté de penser, d'écrire, de polémiquer, bref des libertés académiques. Quand Gall vint s'installer à Paris en 1805, le ministre de la Police prévint Napoléon que son cours avait été interdit en Autriche. "Qu'importe, répondit l'Empereur, si c'est de la science, la France doit en profiter, si ce sont des inepties, l'Institut en fera justice."
Si la France est ainsi devenue un véritable Empire des sciences, ce n'est évidemment pas par hasard. Une grande part du mérite en revient au premier des Français, Premier consul, puis Consul à vie, puis Empereur. Aucun autre dirigeant politique n'a nourri une telle passion pour la science, n'a entretenu de liens aussi privilégiés avec les savants de son époque, n'a autant estimé et même aimé le monde scientifique. Il se voulut membre à part entière de la communauté scientifique, et celle-ci l'accepta comme tel. Napoléon, dont les dons pour les mathématiques furent reconnus dès sa jeunesse par les plus grands mathématiciens, dont Laplace, acquit une culture scientifique impressionnante qu'il entretint tout au long de sa vie.
Sophie Germain était une physicienne compétente et une mathématicienne brillante, bien que peu entrainée. Mais ses contemporains la considérèrent comme un phénomène, et non comme un étudiant sérieux, qui avait besoin d'apprendre et d'être guidé. Ce fut le problème que rencontrèrent bien d'autres femmes mathématiciennes.
Une autre espagnole de la Renaissance a laissé son nom dans l'histoire de la médecine, la comtesse Chinchon, femme du vice-roi du Pérou. Atteinte en 1683 d'un accès de malaria, lasse d'être soignée par les médecins espagnols sans autre effet qu'un affaiblissement généralisé qui l'emmenait surement vers la mort, elle demanda à être traitée par un remède indigène, l'écorce de quinquina. De retour en Espagne, elle se fit une propagandiste déterminée et efficace de la poudre de quinquina, qu'on appela couramment chez les droguistes poudre de la Comtesse, et à laquelle on donna son nom (quinquina se dit cincona en espagnol, cinchona en anglais)
Elle [Clara Immerwahr-Haber] constatait avec effarement, à l'approche de la guerre, la transformation de Fritz [son mari] en archétype d'officier prussien, presque en caricature, tant mentalement que physiquement, crâne chauve et monocle compris. Pacifiste, elle tenta de le dissuader de travailler sur les armes chimiques. Cette chimie dont elle rêvait pour le bonheur de l'humanité, qui devait assurer progrès, paix et prospérité, c'était son propre mari qui, le premier, la transformait en l'une des armes de guerre dont l'humanité aura le plus horreur.
Le Pr Bunsen, inventeur du célèbre bec à gaz qui porte son nom et découvreur du césium, misogyne invétéré, avait juré qu'aucune femme ne pénétrerait jamais dans son laboratoire. Sonia ne se laissa pas impressionner, alla le trouver et le convainquit d'accepter les deux jeunes Russes comme étudiantes. Bunsen prétendit plus tard que Sonia était une femme dangereuse qui l'avait ensorcelé !
A ceux qui craignaient que les femmes abusent de leur instructions, elles répondaient " qu'elles ne se comporteraient pas autrement que les hommes et qu'il était simpliste de vouloir interdire une chose bonne et nécessaire en raison de l'abus que l'on en craint... A ce compte, aucun homme ne devait plus recevoir d'instruction, et il faudrait interdire les boissons alcoolisées".
Ceci est le récit d'une histoire qui a vraiment été, et aurait pu et dû ne jamais être, et qui heureusement s'achève ; l'histoire de la longue exclusion des femmes de l'aventure scientifique et technique, de la recherche scientifique, de ce qui a constitué le destin caractéristique de l'Occident. Une histoire lamentable, cruelle et absurde qui a engendré une société hémiplégique.
L'historien moderne [Michelet] confirme bien que la lutte contre le royaume de Satan fut essentiellement une lutte contre les femmes, largement surreprésentées dans les procès et sur les bûcher (environ 80 pour cent des personnes traduites devant les tribunaux); et essentiellement aussi une lutte contre des femmes qui possédaient un savoir médical réel, des guérisseuses.
Injustement, elle n'obtint pas le prix Nobel, décerné à son élève Otto Hahn, qui à l'indignation de Niels Bohr, tenta de minimiser le rôle de Lise Meitner dans la découverte de la fission. Peut-être plus que Marie Curie, elle se heurta à un milieu scientifique entre trop misogyne.