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3.64/5 (sur 37 notes)

Nationalité : Haïti
Né(e) à : Corail , le 05/03/1980
Biographie :

Evains Wêche est né le 5 mars 1980 à Corail, dans la Grand’Anse, au sud-ouest d’Haïti. Dentiste départemental au ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP), il est aussi bibliothécaire et animateur culturel. Il organise des ateliers de lecture et des cliniques dentaires mobiles à Jérémie. Il a publié le recueil de nouvelles Le trou du voyeur (Henri Deschamps, 2013) qui lui a valu le Prix Henri Deschamps 2013 (Haïti). Il a publié deux nouvelles dans le recueil Je ne savais pas que la vie serait si longue après la mort, ouvrage collectif dirigé par Gary Victor (Mémoire d’encrier, 2012). Les brasseurs de la ville est son premier roman.

Source : memoiredencrier.com
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Quand je descends en ville, je suis toujours impressionnée. On n'explique pas Port-au-Prince. On vit Port-au-Prince. Je n'ai jamais vu quelqu'un s'habituer à cette ville, elle impressionne toujours. Pour moi, Port-au-Prince est un cri de douleur. L'accouchement de la vie y est un film d'horreur où les acteurs croient que tout est normal. Comment dire Port-au-Prince ?
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Le pasteur l'a toujours dit : "La route étroite est difficile, mais elle mène vers Dieu. Je vais vers Dieu, c'est mon salut. Quoi qu'il m'en coûte. Je continuerai à porter des marchandises venues d'un peu partout à travers le pays. Je porterai tous les sacs du monde, remplis de vies de gens que je ne connais pas, que je ne connaîtrai jamais et qui n'en ont rien à foutre. Et quand le chantier sera ouvert de nouveau, je serai là pour brasser le béton. Travailler, c'est ma liberté. Je ne veux pas de l'argent du bourreau de ma fille. Je ne saurais me nourrir du sang de mon enfant. Je veux continuer à vivre, c'est ce que je sais faire, ce que j'ai toujours fait. Travailler pour mériter le respect de mes fils, pour sentir que je suis encore un homme et non un légume, un irresponsable qui vend sa fille au diable pour son confort.
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"Je te conseille de te secouer un peu, jeune homme. Le travail, il faut le prendre et non le chercher.
- Comment ça ? s'étonne Duplessis.
- Tout le monde ici se débrouille, nous avons tous une famille à nourrir, des parents qui comptent sur nous, des proches dans la misère. Le soir, il faut rapporter un peu d'espoir et ce n'est pas en passant son temps à déposer des CV qu'on y arrive. Fais travailler ton intelligence, prends d'assaut un bureau d'Etat, ouvre un commerce, trouve-toi une femme riche ou une diaspora, vends ton âme, mais merde, grouille-toi, arrête de te plaindre ! Offre-toi du travail !
- Il faut être sans scrupule pour faire ça !" s'indigne Duplessis en grimaçant.
Les marchandes de la Croix-des-Bossales ne peuvent plus se retenir, elles laissent partir un long "Hé ! Heeeey !" en choeur pour se payer la tête du pauvre Duplessis. Tout le monde rigole. Même le vieux pépère, qui affirme :
"De mon temps, un jeune bien portant, avec autant de prestance et de connaissances que toi, était fait ministre par le gouvernement. Mais depuis qu'on a importé le chômage...
- Papy, ne parle pas de chômage, coupe le magouilleur. Je déteste ce mot. Le chômage est une institution fantôme ici, c'est une invention électorale. Si nous travaillons, nous n'aurions pas le temps de voter."
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Il n’y a aucun embouteillage, aujourd’hui. Cela tient du miracle. Le chauffeur file sur Martissant, gros bidonville de Port-au-Prince. Les vieux en parlent comme de l’ancienne Cité du Plaisir. C’était le lieu de villégiature préféré de la bourgeoisie à une époque. Les plages, les vues sur la mer, les bars, les night-clubs, les bordels, les filles, les artistes, la drogue, les affaires… On trouvait de tout à Martissant. Aujourd’hui, c’est un ensemble de blocs de ciment et de béton qui ont poussé comme des champignons. C’est la boue où semblent coller ces maisonnettes en escalier ; l’eau sale où s’assoient les marchandes de charbon de bois, de fruits et de légumes ; l’horreur appariée de la violence des jeunes gangsters de Grand’Ravine, aveuglés par la drogue, la faim et le désespoir.
Night Nurse à la radio. Une musique tendre qui donne la chair de poule, comme une caresse. Hier tu m’as fait l’amour et j’ai pleuré. Ton dos est malade de misère. Nous allons de mal en pis. A l’image de Port-au-Prince.
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Parfois, si je ne me donnais pas au voisin, la chaudière ne monterait pas le feu.
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Les lauréats en classe ne sont pas toujours les lauréats dans la vie. Il y a toujours la naissance. De quel côté de la vie as-tu poussé ton premier cri? Voilà la différence .
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Tu me remplis le sac de pain et de ce qui reste du bocal de manba. Tu y mets deux ou trois patates bouillies. Tu le fais volontiers si je suis un homme. Fais-le aussi sans rechigner si je suis une femme ; je crois que toute femme aimerait que son homme s’inquiète de ce qu’elle prendra au lunch. Je t’embrasse. J’ai encore envie de toi. Je touche ton sexe et le désir palpite sous mes doigts. On cherche un coin sombre dans la chambre, mais on sait déjà que chez nous, c’est trop petit, on n’a pas le luxe de se payer une intimité. Je te souris. Quelle idée d’attendre jusqu’à mon retour ! Dommage. Tu me serres. Plein de promesses pour ce soir.
Enjambant les enfants qui dorment à même le sol, je sors dans le matin. Un matin sans odeur. Ici ce n’est pas comme à la campagne, à Fond’Icaques. Dehors m’engloutit vite. Je suis quelque part dans cette foule qui attend sur le boulevard. Une masse de couleurs composée d’uniformes ; on dirait un enfant à ses premiers dessins : les chemises et corsages à carreaux correspondent aux écoliers ; les couleurs sombres vont au bureau ; les casques blancs, jaunes ou verts sont des ouvriers, maçons, camionneurs, électriciens, plombiers – les bleus, des militaires blancs ; les blue-jeans délavés, des étudiants ; les autres, la grande majorité multicolore, ont du blues dans les yeux. SDF. Sans destination fixe.
Tout ici est une question de couleur. Dis-moi quelle couleur tu portes, je te dirai qui tu es. Comme moi, les SDF tout couleur vont et viennent ici et là, brassant l’air de la ville. Et la couleur, c’est une question de famille. Ma mère, si ce n’est mon père, portait joyeusement une chemise trop large à grosses fleurs rouges sur une jupe longue à petites fleurs jaunes ou un pantalon vert. C’était le seul moyen de colorer sa vie. Depuis, nous sommes arcs-en-ciel.
Dans la rue, les heures se ressemblent. La ville vit à l’heure du brassage. Il y a le jour, il y a la nuit. Entre les deux, il n’y a que le sommeil. Du matin au soir, les camionnettes, les bus et les tap-taps transportent les brasseurs vers toutes les destinations. Express partout. Les haut-parleurs des tap-taps prennent la rue et font danser les couleurs. Celles des bus d’écoliers jaunes, fourre-tout où se jettent les passagers qui n’ont pas toujours de quoi payer le trajet ; des petits bus blancs ou gris où montent les fonctionnaires des bureaux et leurs enfants des beaux collèges ; des camionnettes, sortes d’anciens pick-up recréés par des fabricants de carrosseries en bois peint ; des tap-taps, version bus des camions Daihatsu, décorés par nos artistes fous de portraits de stars, et à bord desquels montent les jeunes désœuvrés, sans destination fixe, rêvant d’être Messi, Sweet Micky, Shakira…
À Port-au-Prince, c’est chaque jour le carnaval. (p. 9-10-11)
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Tout ici est une question de couleur. Dis-moi quelle couleur tu portes, je te dirai qui tu es. …. Ma mère portait joyeusement une chemise trop large à grosses fleurs rouges sur une jupe longue à petites fleurs jaunes ou un pantalon vert. C'était le seul moyen de colorer sa vie. Depuis, nous sommes arcs-en ciel.
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Ce brouhaha qui vient vers vous est un brouillon où se mêlent les humeurs, les blagues, les commérages, les marchandages, les pensées noires, les pensées grises, les expressions de joie, de peine, de doute ou de saisissement, les cris d’enfant, les chants religieux, les klaxons de voitures, les cliquetis de je ne sais quel métal, les plaintes amoureuses, les rots et les pets de toute une ville. La rumeur grossit à mesure que vous approchez, ça gonfle, ça s’enfle, comme une rivière en crue, ça gronde de tous bords et vous frappe en pleine visage avant de vous absorber. Alors là, vous êtes dans l’œil du cyclone. Curieusement, il n’y a plus de bruit. Vous êtes calme, à peine si vous entendez vos voisins. Vous êtes en plein marché Croix-des-Bossales. Au cœur de Port-au-Prince !
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Aujourd’hui, c’est tout le peuple qui se putanise. J’en sais quelque chose. Parfois, si je ne me donnais pas au voisin, la chaudière ne monterait pas le feu. Tu ne t’en doutes pas. Je t’aime trop ou pas assez pour te le dire. Quand tu demandes d’où vient ce qu’on mange, je mens. Je doute fort que tu saches la vérité au sujet de mon job de ménagère au magasin de M. Verneau, ou de repasseuse des messieurs célibataires du quartier. Tu rêves de te trouver une étrangère – une coopérante américaine ou un agent de l’armée des Blancs casques bleus – cherchant un mec en bonne santé pour s’envoyer en l’air et savonner sa nostalgie. Ta cousine a eu un mariage d’affaires avec un diaspora. Ta soeur Maculène s’est casée avec un vieux retraité de l’armée américaine. Argent contre services d’époux ou d’épouse sous la neige… Tu es encore bel homme et ce n’est pas ce travail qui te ferait débander. Je sais que ça te tente. J’aurais accepté, car je sais aussi que tu ne nous laisserais pas tomber. Tu nous enverrais des transferts d’argent par Western Union à chaque fin de mois. Quand le bateau Hamilton barre le Canal du Vent, le sexe est la voie la plus sûre pour quitter ce foutu pays. Les femmes et les hommes blancs qui nous font l’amour ne peuvent pas s’en passer puisque, là-bas, chez eux, ce n’est pas si simple, le plaisir ; les femmes et les hommes étrangers sont nos boat people. Alors, on se putanise. (p. 11)
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