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EAN : 9782848765068
190 pages
Philippe Rey (07/01/2016)
3.68/5   34 notes
Résumé :
Brasser la ville du matin au soir dans les bruits et les fureurs. Entre rêve américain et espoirs déçus, les voix se superposent et enflent la mémoire du pays perdu et du pays à venir. Une famille trébuche dans les corridors de la survie. Ne reste que ces rumeurs colportées de fenêtres en quartiers. Les rumeurs sont ce qui demeure quand les horizons sont absents. Le roman prend des allures de polar lorsque Babette, l'aînée de la famille, disparaît avec Monsieur Eric... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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Carrefour, quartier pauvre de Port-au-Prince. C'est là que j'ai posé mon barda, un vent de poussière en terre haïtienne. du bruit, des odeurs et des hommes et femmes qui brassent. Ils brassent du béton, ils brassent l'air, ils brassent la vie et la ville, du matin au coucher de soleil, ce rond d'un orange flamboyant qui plonge dans le bleu amer de la mer. Des bus colorés sur des routes déglinguées klaxonnent leur humeur, moi je rêve d'être brasseur. Eux, cette mère, ce père, ne prennent même plus le temps de rêver. A quoi ça leur servirait dans ce quartier ?

Tour à tour, ils prennent la parole, se faisant narrateurs de leur histoire, de leur ville, te fais pas de bile, je m'assois dans la poussière, chaleur humide et bibine tempérée. J'aperçois cette misère, qui rime peut-être avec bière. Je comprends ce dilemme, chargé d'une lourde peine. Ils ont l'impression de s'être trahis, dans la pauvreté de cette vie, d'avoir vendu leur âme au diable, alors que certains traversent la mer jusqu'à la côte où poussent des érables à la place des palmiers. Un cri de douleur envahit les ruelles sales et boueuses. le leur, celui d'une mère, celui d'un père, de tout un peuple devant l'impuissance de leur vie, devant la « lâcheté » de leur âme. Carrefour en reggae.

Une jeune fille sort de la voiture, au bras d'un monsieur presque trois fois son âge, blanc et ambassadeur, ou blanc et expatrié, riche touriste visitant les cocktails cinq étoiles des grands hôtels, un air de jazz qui somnole au bord de la piscine. Peu importe le type. Revenons à la fille, belle comme un top-modèle, ses seins généreux, son cul fiévreux, c'est ce qu'elle se dit. Son sourire de façade devant une coupe qui pétille, ils se sont rencontrés probablement dans un bar sombre au coin du Parc historique de la Canne à sucre. En échange, il lui offre un vrai lit, les plus belles robes du marché, et plus si affinité. Comme on dit. Ce plus, c'est permettre à toute la famille de vivre un peu mieux, de trouver de quoi à manger… D'où le dilemme de cette mère, de ce père, d'avoir le sentiment de « putaniser » leur fille Babette, une poupée Barbie au coeur de cette mélodie.

Je découvre ainsi à l'ombre d'un cocotier, l'ombre d'un nouvel écrivain, haïtien, son premier roman, à la mélopée mélancolique, ambiance jazz et caraïbes, sex on the beach et strings sur la plage. Deux voix qui se mêlent dans l'écriture, et dans ma tête, pour peindre en toile de fond un pays, Haïti, une ville, Port-au-Prince, un quartier misère, et des brasseurs qui brassent toute leur putain de journée, sous les sunlights des tropiques où l'amour se raconte en musique. Des percussions qui vibrent la nuit, mon coeur caresse ces fesses du regard, mon âme s'est fracassée contre son rivage.
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Une famille vie du coté de Carrefour , banlieue pauvre de la capitale Port au Prince, Haïti, pays pauvre parmi les pays pauvres que le séisme de 2010 a fini de couler.
Vivre est un bien grand mot. Survivre dans une pièce pour sept au milieu des rats, se demandant s'il y a un repas ce soir et s'il faudra écarter les cuisses à des hommes en manque , de tout mais surtout de morale, convient bien mieux. L'ainé de la fratrie , Babette, est très belle. Elle revient un jour avec un dénommé Erickson.

Très beau roman , légèrement déroutant dans son entame car on ne sait trop qui est le narrateur: le père, la mère. On s'en fiche finalement.Ils ne font qu'un dans la galère. On plonge dans Haïti avec les brasseurs, ces gens qui tournent dans la ville et brassent du vent.
On plonge dans une horreur quotidienne où la survie semble se décider à la naissance , selon si l'on nait du bon coté.
Et puis, il y a l'histoire, celle qui commence où je me suis arrêté (de raconter plus haut), ce conte de fées trop beau pour être vrai. Cet esclavage moderne finalement aussi terrible et dévastateur que celui contre lequel les masses se sont élevées. Terrible, sans retour, exploitant l'individu à travers la pauvreté de sa famille. Sans respect, sans droit. Une histoire qui malheureusement doit être quotidienne dans tous les pays du monde, où les vautours fondent sur leur proie sans scrupule ni danger finalement, la carte postale est trop belle et la faim trop prégnante.

Un petit mot sur l'écriture. Jazzée dit la 4ème de couverture.Pourquoi pas ? Originale en tous les cas, colorée, me rappelant les récents livres d'Afrique subsaharienne que j'ai lus.
Très belle découverte !
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Vivre à Port-au-Prince

Nous sommes à Port-au-Prince, ville qualifiée de "cri de douleur", dans le quartier Carrefour, le plus pauvre de la ville "Carrefour dans Port-au-Prince, c'est Haïti dans le monde".

Là vit ou plutôt survit une famille avec ses 5 enfants. le père est maçon à la petite semaine sur les chantiers, la mère est "brasseuse c'est à dire marchande ambulante de serviettes, parfois lessiveuse, parfois repasseuse", ils mènent une vie misérable et ont du mal à nourrir leurs enfants.
C'est un couple uni qui s'aime, rêve de se marier et fonde beaucoup d'espoir sur l'avenir de leur fille aînée Babette, belle et intelligente. Ils aimeraient bien lui trouver un bon parti.

L'auteur parvient dès les premières pages à nous plonger dans l'atmosphère grouillante de Port-au-Prince, on visualise d'emblée cette foule aux tenues bigarrées, ces "arcs en ciel", cette ville où "c'est chaque jour le carnaval", on entend les conversations dans les camionnettes où tout le monde s'entasse... Ils sont des milliers de personnes à brasser la ville (d'où le titre du roman) à s'agiter pour survivre dans une extrême misère, où souvent la seule solution de survie est la prostitution "tout le peuple se putanise". "Parfois, si je ne me donnais pas au voisin, la chaudière ne monterait pas le feu".

Un jour Erickson, un homme marié bien plus âgé que Babette l'aborde, la prend comme maîtresse et entretient toute la famille. Babette devient blonde et est surnommée la Barbie d'Erickson dans le nouveau quartier où la famille vit désormais loin de leur bidonville.

Cette nouvelle vie va bouleverser l'équilibre familial, les parents sont partagés entre la culpabilité, la honte, le remords et la colère.
"Je me hais de vivre dans un pays où la naissance d'un enfant est un crime contre ses frères et soeurs. Je déteste ce monde où les familles sont obligées de vendre leurs filles pour entretenir leur famille."

Ce sera l'éclatement de la famille lorsque le fils ainé qui adore sa soeur va quitter la maison. "Nos enfants ne nous pardonneront pas d'avoir donné leur soeur en pâture à un inconnu".

On pressent le drame qui va survenir, on sent que le noir va recouvrir le carnaval et les images bariolées...

Ce roman est une grande fresque sociale de Haïti, l'auteur y parsème aussi des critiques sur la communauté internationale, les ONG, le traitement de l'information et évoque la corruption de l'état.

Les brasseurs de la ville est un premier roman très réussi qui "brasse" le lecteur.
J'ai aimé le style de narration choisi, l'auteur mêle les voix du père et de la mère sans prévenir le lecteur comme s'ils ne faisaient qu'un. J'ai aimé l'écriture très visuelle qui touche tous les sens avec des couleurs, des odeurs, des bruits à chaque page, même si je m'attendais à une écriture encore plus imagée. Un livre fort, une plongée dans la vie et les tourments du peuple haïtien bien réussie.
Lien : http://leslivresdejoelle.blo..
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Lu dans le cadre du challenge 68premièresfois. Voici donc la lecture d'un premier roman, francophone, puisqu'il s'agit d'un auteur d'Haïti. Je suis une lectrice assidue de la littérature de ce « petit » pays francophone, suite à un très bel hommage à des auteurs de ce pays lors d'escales du Livre de Bordeaux ; je lis donc régulièrement les livres de Lyonel Trouillot et d'autres auteurs haïtiens (Dany Laffériere..) ou d'ouvrages sur l'histoire de ce pays (j'avais beaucoup apprécié la lecture de la trilogie sur Toussaint Louverture de l'auteur, Madison Smartt Bell). Ce premier roman nous parle de la vie d'une famille qui essaie de survivre. Roman polyphonique, l'histoire nous est racontée à plusieurs voix : celle de la mère et du père. Avec une écriture proche du réel et avec quelques envolées poétiques, l'auteur va nous décrire la vie difficile des habitants de quartiers périphériques et qui survivent grâce à des petits boulots. le père travaille sur les chantiers et la mère est « brasseuse » sur les marchés. Brasser signifie vendre des petits produits, du tissu, par exemple. Ils ont ensemble quitté leur village car leur amour n'était pas accepté par leurs parents. Ils vont tenter d'élever leurs cinq enfants. « Pourquoi enfanter nous condamne à la misère ? Un acte qui procure autant de joie aux parents. Pourquoi nos enfants doivent souffrir ? Pourquoi le monde n'est pas partout pareil ? Pourquoi utilise-t-il ce moyen atroce pour sauver ma famille du péché. » (p129). Babette, l'aînée, belle enfant et qui va à l'école, va être remarquée un jour au bord de la route par Monsieur Erickson. Celui-ci est le patron d'un grand magasin à Port au Prince, marié, il va installer la jeune fille dans un appartement. Les parents vont alors nous raconter la descente aux enfers de leur enfant, alors qu'au début, cela aurait pu être une belle histoire de « Cendrillon ». Nous allons alors en apprendre un peu plus sur la vie actuelle et passée de ce pays. Un pays occupé par les ONG, qui viennent pour « aider » la population, un pays grevé par la corruption politique et économique. Ce texte est très fort car il nous entraîne dans l'esprit de cette mère qui essaie de comprendre. Nous sommes à la fois dans la dure réalité et quelquefois dans des songes, des espoirs de vie meilleure. L'auteur nous décrit la vie quotidienne de cette famille mais aussi les espoirs et les espérances de ce pays, qui a été malmené et qui l'st encore par la nature (ouragan, tremblement de terre), mais aussi par un climat politique instable ( des dictatures, des espoirs de démocratie, des espérances d'aides internationales, attente des millions promis par les états Unis par exemple après le dernier tremblement de terre. Mais il nous parle tout de même d'espoir et d'amour. Un premier roman très noir mais un texte qui interpelle avec une belle écriture : nous nous retrouvons dans les rues de ce pays, dans les bars où le père passe ses soirées pour tenter de colorier sa triste vie, dans le taxi collectif que prend la mère pour rejoindre le marché des brasseurs. . Un premier roman difficile, rude mais dont j'ai apprécié la lecture, grâce à une écriture à la fois réaliste et poétique.
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1er roman faisant partie de la sélection des 68 premières fois


Ce roman, c'est le portrait type des inégalités sociales.


Nous partons pour Port au Prince en Haïti. A priori, la destination pourrait paraître séduisante mais c'est dans l'univers de la pauvreté que décide de nous plonger Evains WECHE. Un maître-pelle sur les chantiers et une couturière tentent de donner un avenir à leurs 5 enfants. Mais la vie est dure dans le bidonville. le logement est trop petit pour loger chacun décemment, alors on oublie l'intimité. Les ventres sont vides, impossible que chacun puisse manger à sa faim. Et puis, il y a la ville avec les bruits incessants et tous ces brasseurs :


Celles des bus d'écoliers jaunes, fourre-tout où se jettent les passagers qui n'ont pas toujours de quoi payer le trajet ; des petits bus blancs ou gris où montent les fonctionnaires des bureaux et leurs enfants des beaux collèges ; des camionnettes, sortes d'anciens pick-up recréés par des fabricants de carrosseries en bois peint ; des tap-taps, version bus des camions Daihatsu, décorés par nos artistes fous de portraits de stars, et à bord desquels montent les jeunes désoeuvrés sans destination fixe, rêve d'être Messi, Sweet Micky, Shakira... P. 11


Mais plus que tout, il y manque d'air.


Notre monnaie d'échange à Port-au-Prince, c'est l'air. Plus on en a, plus on est riche. P. 11


Alors, le destin des filles, des femmes, dans tout ça ? Quand il n'y a pas assez d'argent, la prostitution devient la solution, une fois de temps en temps ou bien à l'année pour satisfaire les désirs d'hommes riches qui consomment les filles comme des denrées périssables. Babette, l'aînée, mineure, va séduire un homme de cette trempe-là, pour le meilleur de la famille, ou pour le pire...


Ce roman est très dur, qu'on se le dise. le quotidien d'une famille pauvre y est décrit sans fioriture à l'image d'un récit de vie. C'est d'ailleurs peut-être ce qui lui donne cette puissance. Entre le roman et le récit de vie, mon coeur balance... et dans les 2 cas, il en ressort meurtri. Comment imaginer que cette vie soit possible ? que des femmes, des enfants, puissent vivre dans un tel environnement ? que les filles, les femmes soient à ce point maltraitées ? que les corps en soient réduits à un bien de consommation ?


Quand ce ne sont pas les hommes, le sexe fort dans toute sa splendeur, qui sont le fléau, ce sont les femmes, elles-mêmes, à l'image de la Miss de l'hôpital, sans enfant, qui adopterait bien Lizzie. Mais la mère se défend :


Les enfants sont notre bien. C'est l'avenir de la famille. On ne les donne pas comme ça. P. 58


Comme s'il n'était pas suffisant de culpabiliser sur l'état de santé pitoyable de son enfant, cette mère doit en plus se battre pour le garder à ses côtés vaille que vaille et conserver un peu de sa dignité, aussi fragile soit-elle.


Comment imaginer le futur dans ces conditions ? Les parents misent sur l'instruction de leurs enfants, le seul moyen selon eux de se sortir de la misère. Mais, rien n'est encore acquis !


Il y a toujours la naissance. de quel côté de la vie as-tu poussé ton premier cri ? Voilà la différence. On n'a pas eu la chance d'avoir le CEP, toi et moi, on est logiquement pauvres. P. 151


Tout dans ce roman nourrit un sentiment de colère. Les inégalités sociales y sont si criantes !


Alors, quand je lis une phrase un brin humoristique :


T'as peur de l'altitude, c'est peut-être pour cela que nous sommes encore au bas de l'échelle sociale. P. 155


je me laisse aller à un faible rictus.


Il faut dire que des phrases comme ça, il n'y en a pas des dizaines, je crois même que c'est la seule, alors, savourez-la à sa juste valeur !


Un roman puissant !
Lien : http://tlivrestarts.over-blo..
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critiques presse (1)
LeFigaro
12 février 2016
Derrière cette épopée familiale, l'auteur évoque en filigrane les maux de la société haïtienne.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
"Je te conseille de te secouer un peu, jeune homme. Le travail, il faut le prendre et non le chercher.
- Comment ça ? s'étonne Duplessis.
- Tout le monde ici se débrouille, nous avons tous une famille à nourrir, des parents qui comptent sur nous, des proches dans la misère. Le soir, il faut rapporter un peu d'espoir et ce n'est pas en passant son temps à déposer des CV qu'on y arrive. Fais travailler ton intelligence, prends d'assaut un bureau d'Etat, ouvre un commerce, trouve-toi une femme riche ou une diaspora, vends ton âme, mais merde, grouille-toi, arrête de te plaindre ! Offre-toi du travail !
- Il faut être sans scrupule pour faire ça !" s'indigne Duplessis en grimaçant.
Les marchandes de la Croix-des-Bossales ne peuvent plus se retenir, elles laissent partir un long "Hé ! Heeeey !" en choeur pour se payer la tête du pauvre Duplessis. Tout le monde rigole. Même le vieux pépère, qui affirme :
"De mon temps, un jeune bien portant, avec autant de prestance et de connaissances que toi, était fait ministre par le gouvernement. Mais depuis qu'on a importé le chômage...
- Papy, ne parle pas de chômage, coupe le magouilleur. Je déteste ce mot. Le chômage est une institution fantôme ici, c'est une invention électorale. Si nous travaillons, nous n'aurions pas le temps de voter."
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Le pasteur l'a toujours dit : "La route étroite est difficile, mais elle mène vers Dieu. Je vais vers Dieu, c'est mon salut. Quoi qu'il m'en coûte. Je continuerai à porter des marchandises venues d'un peu partout à travers le pays. Je porterai tous les sacs du monde, remplis de vies de gens que je ne connais pas, que je ne connaîtrai jamais et qui n'en ont rien à foutre. Et quand le chantier sera ouvert de nouveau, je serai là pour brasser le béton. Travailler, c'est ma liberté. Je ne veux pas de l'argent du bourreau de ma fille. Je ne saurais me nourrir du sang de mon enfant. Je veux continuer à vivre, c'est ce que je sais faire, ce que j'ai toujours fait. Travailler pour mériter le respect de mes fils, pour sentir que je suis encore un homme et non un légume, un irresponsable qui vend sa fille au diable pour son confort.
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Tu me remplis le sac de pain et de ce qui reste du bocal de manba. Tu y mets deux ou trois patates bouillies. Tu le fais volontiers si je suis un homme. Fais-le aussi sans rechigner si je suis une femme ; je crois que toute femme aimerait que son homme s’inquiète de ce qu’elle prendra au lunch. Je t’embrasse. J’ai encore envie de toi. Je touche ton sexe et le désir palpite sous mes doigts. On cherche un coin sombre dans la chambre, mais on sait déjà que chez nous, c’est trop petit, on n’a pas le luxe de se payer une intimité. Je te souris. Quelle idée d’attendre jusqu’à mon retour ! Dommage. Tu me serres. Plein de promesses pour ce soir.
Enjambant les enfants qui dorment à même le sol, je sors dans le matin. Un matin sans odeur. Ici ce n’est pas comme à la campagne, à Fond’Icaques. Dehors m’engloutit vite. Je suis quelque part dans cette foule qui attend sur le boulevard. Une masse de couleurs composée d’uniformes ; on dirait un enfant à ses premiers dessins : les chemises et corsages à carreaux correspondent aux écoliers ; les couleurs sombres vont au bureau ; les casques blancs, jaunes ou verts sont des ouvriers, maçons, camionneurs, électriciens, plombiers – les bleus, des militaires blancs ; les blue-jeans délavés, des étudiants ; les autres, la grande majorité multicolore, ont du blues dans les yeux. SDF. Sans destination fixe.
Tout ici est une question de couleur. Dis-moi quelle couleur tu portes, je te dirai qui tu es. Comme moi, les SDF tout couleur vont et viennent ici et là, brassant l’air de la ville. Et la couleur, c’est une question de famille. Ma mère, si ce n’est mon père, portait joyeusement une chemise trop large à grosses fleurs rouges sur une jupe longue à petites fleurs jaunes ou un pantalon vert. C’était le seul moyen de colorer sa vie. Depuis, nous sommes arcs-en-ciel.
Dans la rue, les heures se ressemblent. La ville vit à l’heure du brassage. Il y a le jour, il y a la nuit. Entre les deux, il n’y a que le sommeil. Du matin au soir, les camionnettes, les bus et les tap-taps transportent les brasseurs vers toutes les destinations. Express partout. Les haut-parleurs des tap-taps prennent la rue et font danser les couleurs. Celles des bus d’écoliers jaunes, fourre-tout où se jettent les passagers qui n’ont pas toujours de quoi payer le trajet ; des petits bus blancs ou gris où montent les fonctionnaires des bureaux et leurs enfants des beaux collèges ; des camionnettes, sortes d’anciens pick-up recréés par des fabricants de carrosseries en bois peint ; des tap-taps, version bus des camions Daihatsu, décorés par nos artistes fous de portraits de stars, et à bord desquels montent les jeunes désœuvrés, sans destination fixe, rêvant d’être Messi, Sweet Micky, Shakira…
À Port-au-Prince, c’est chaque jour le carnaval. (p. 9-10-11)
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Il n’y a aucun embouteillage, aujourd’hui. Cela tient du miracle. Le chauffeur file sur Martissant, gros bidonville de Port-au-Prince. Les vieux en parlent comme de l’ancienne Cité du Plaisir. C’était le lieu de villégiature préféré de la bourgeoisie à une époque. Les plages, les vues sur la mer, les bars, les night-clubs, les bordels, les filles, les artistes, la drogue, les affaires… On trouvait de tout à Martissant. Aujourd’hui, c’est un ensemble de blocs de ciment et de béton qui ont poussé comme des champignons. C’est la boue où semblent coller ces maisonnettes en escalier ; l’eau sale où s’assoient les marchandes de charbon de bois, de fruits et de légumes ; l’horreur appariée de la violence des jeunes gangsters de Grand’Ravine, aveuglés par la drogue, la faim et le désespoir.
Night Nurse à la radio. Une musique tendre qui donne la chair de poule, comme une caresse. Hier tu m’as fait l’amour et j’ai pleuré. Ton dos est malade de misère. Nous allons de mal en pis. A l’image de Port-au-Prince.
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Quand je descends en ville, je suis toujours impressionnée. On n'explique pas Port-au-Prince. On vit Port-au-Prince. Je n'ai jamais vu quelqu'un s'habituer à cette ville, elle impressionne toujours. Pour moi, Port-au-Prince est un cri de douleur. L'accouchement de la vie y est un film d'horreur où les acteurs croient que tout est normal. Comment dire Port-au-Prince ?
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