Le souverain Millet, Kao Yao, Yi Yin, le duc Tan de Tcheou, Espoir-Du-Duc, Kouan Tchong, Hsi P'eng, Po-li Hsi, Kien Tchong, Pang T'ong, Houa Teng, tous les quinze furent des ministres admirables. Tôt levés et tard couchés, ils se dévouèrent corps et âmes à la loi, cherchant à rendre claire la législation pénale et à mettre de l'ordre dans l'administration. Ils servirent le prince d'un coeur pur et sans arrière-pensées. Ils émirent de avis judicieux, ils diffusèrent les principes de gouvernement tout en restant modeste ; ils accomplirent leur oeuvres et réalisèrent leurs entreprises sans jamais se prévaloir de leurs travaux. Ils n'hésitèrent pas à sacrifier leurs familles sur l'autel de l'intérêt supérieur de la nation ; ils se montrèrent prêts à offrir leur vie pour assurer la sécurité de leur prince ; ils plaçaient leur souverain plus haut que T'ai Chan, mais vivaient eux-mêmes plus bas que la boue des caniveaux. Et tandis qu'ils travaillaient à la gloire de leur maître, dont le renom resplendissait dans toutes les provinces, ils se ravalaient plus bas que terre. De tels serviteurs sont capables d'apporter le succès à des princes égarés et brouillons, je laisse à penser de souverains éclairés et perspicaces.
Ce sont là les aides des hégémons et des rois !
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Han Fei et son temps
Dans l'univers antique, toute conduite était attendue parce que les actes des hommes obéissaient à un code moral assignant à chacun un comportement ritualisé, en sorte que le futur était prévisible sans recours à une opération intellectuelle. A partir du VIème siècle, les guerres incessantes, les bouleversements sociaux rendent le futur aléatoire. Le temps s'échappant du carcan du ritualisme devient matière à prévision. S'ouvrent alors les beaux jours de l'intelligence prévoyante.
Le Tao du Prince est le trésor de toutes les ruses et de toutes les félonies, il fournit le plus hallucinant catalogue de l'abjection humaine; il fait paraître l'histoire universelle de l'infamie de Jorge Borges comme un recueil de contes pour enfants. C'est un monde de bruit, de fureur et de meurtres; Han Fei égrène le long chapelet des victimes du pouvoir -- " du lourd poids du pouvoir ", comme il dit; du pouvoir d'autrui, bien entendu, mais aussi de son propre pouvoir.
Le Han-Fei-tse, en dehors de son intérêt proprement philosophique, est aussi fondamental pour l'histoire littéraire de la chine; il fournit une palette complète de toutes les formes d'écritures en prose --parfois rimée -- qui ont eu cours à l'époque ancienne.