Pressés de vivre leurs vaines vies où tout semble s’acheter et rien ne semble se déguster dans la lenteur du plaisir. Ne pas supporter le temps perdu, ineptie de morts-vivants rendus toxicomanes à l’agitation stérile qui remplit artificiellement leurs veines. Les immeubles sont gris comme les visages. Elle a envie d’arbres, de sourires, de démarches lentes et gracieuses, de calme.
- Tout est toujours plus complexe qu'on ne le pense. Tu vois, je ne me sens pas heureuse ici mais je n'étais pas bien dans mon pays non plus, encore moins bien. Tu ne peux savoir ce qu'est de vivre sous une dictature. Encore aujourd'hui, je n'arrive à parler librement. Je surveille encore mes mots comme si une partie de moi était restée là-bas et puis tout à coup ils s'échappent à toute allure et en désordre quand je me sens rassurée. Les gens ne semblent pas savoir ici la chance qu'ils ont de pouvoir s'exprimer, ou d'avoir des avocats pour les défendre même si tout est loin d'être parfait.
Je m'étais penché ces derniers temps sur les causes profondes des névroses et psychoses avec un vague désir d'introduire une petite révolution au sein de la communauté psychanalytique qui se perdait de plus en plus en discours abscons dont la complexité linguistique me paraissait inversement proportionnelle à la pauvreté du fond et du ressenti de la souffrance et aussi de la violence humaines.
En revenant de sa journée très dure hier, elle avait vu près de chez elle tout un groupe de parents attendant leurs enfants encore très jeunes qui arrivaient en car. Ce devait être le retour de leur premier voyage. Ils étaient tous aux fenêtres, très agités, cherchant des yeux leurs pères et mères et ceux-ci, sur le trottoir, scrutaient aussi le car avec impatience et joie. Et ce spectacle l’avait effondrée. Impression de vanité. Personne ne l’a attendue, personne ne l’attend, personne ne l’attendra. Quand elle avait fait faire ses papiers en arrivant en France, l’employé un peu narquois lui avait dit : « Eh, oui, seule la date de naissance ne change pas. » Elle avait quitté son pays où rien ni personne ne semblaient la retenir, par amour, du moins le croyait-elle.
Les modes de vie trépidants, le vacarme de la ville, les ordinateurs et les téléphones branchés en permanence, empêchaient-ils les êtres de dormir vraiment et de recevoir la pluie fécondante de la nuit ?
Un phénomène étrange semble surgir de concert des cinq continents. La production de cérumen augmente chaque jour qui passe un peu plus chez les humains.