J'avais aussi appris quelque chose : que rien n'était jamais acquis, que l'on pouvait s'éveiller un matin en croyant que tout était normal, et s'endormir le même soir dans un monde en ruine.
Mon enfance a-t-elle été heureuse ? Comme souvent avec les souvenirs d'enfance, la nostalgie ne permet pas toujours une parfaite objectivité.
Je n'étais pas toujours heureuse - l'est-on jamais ? -, mais c'était moi qui choisissais ma façon de vivre.
Elle était de ces gens qui mènent leur vie sans jamais paraître se référer aux normes habituelles de comportement.
Il est étonnant de voir combien de gens, lorsque la fin est proche, semblent capables de décider de l’instant de leur mort. Certains, attendent l’arrivée d’une personne particulière pour lâcher prise. D’autres, au contraire, attendent qu’une personne chère soit rentrée chez elle, ou même qu’elle ait quitté la chambre pour quelques minutes, et épargnent ainsi à leurs proches leurs derniers instants. A moins qu’ils ne cherchent simplement, en préservant le caractère privé de leur mort, à revendiquer le dernier privilège qui leur appartienne encore, car on meurt souvent seul, mais parfois aussi sans grande dignité.
En réalité... Je ne sais pas trop ce que j'étais censée être.
Je n'avais jamais envisagé ma vie comme si différente de celle des autres, et je ne la trouvais certainement pas pire.
Le cerveau en question était venu illustrer un cours sur le système nerveux. Gris et macéré, il paraissait terriblement mort, et pourtant, en le regardant, je ne pensais qu'à une seule chose: ce cerveau représentait la totalité d'un individu. Toute sa vie, ses pensées et ses souvenirs étaient là, dans ce bocal, mais aussi toutes ses facultés, ses joies, ses peines, ses victoires. Si on y réfléchissait bien, seul notre cerveau nous définissait vraiment; en comparaison de cet organe étonnant, les autres parties du corps n'étaient que des accessoires.
Je n’avais jamais envisagé ma vie comme si différente de celle des autres, et je ne la trouvais certainement pas pire.
En me levant ce matin-là, j'étais une enfant ordinaire ( pour autant que cela fût possible chez nous), et, en me couchant le soir, j'étais devenue quelqu'un d'autre.