François Ansermet

Si la complexité des hommes, leur noirceur, leurs ambivalences, n'ont plus droit de cité dans l'espace médiatique qui, comme en tout temps de crise, tend au manichéisme, celles-ci demeurent présentes en littérature - dernier espace qui les accueille, quoique... Aux Etats-Unis, des rewriters sont engagés pour purifier les textes jugés offensants, les normes morales prennent le pouvoir sur les écrits. Néanmoins, le roman - s'il n'est pas formaté pour un usage sans risque et sans dommage - est bien le dernier refuge de la complexité, car les personnages ont intérêt à ne pas ressembler aux archétypes. Les bons sentiments sont ébréchés par d'autres logiques, plus vivantes, plus humaines, plus "réelles". La langue elle-même se réfléchit dans et par son inventivité ; la réalité se retrouve dans la seule fiction, rejetée de son champ ordinaire de conflit : la politique.
Mazarine Pingeot

Comment caractériser la "crise du masculin" qui serait spécifique à notre modernité, puisque, d'une certaine façon, la virilité est en crise depuis toujours? Ivan Jablonka rappelle que, dès l'Antiquité, la littérature gréco-latine foisonne d'épisodes "où le masculin est menacé de l'intérieur par le féminin". Aussi y a-t-il une tension intrinsèque entre les virilités plurielles et la norme mâle (au singulier) dominante, une inquiétude structurelle au masculin lui-même : "l'homme doit sans cesse prouver qu'il en est un", et se montrer sans relâche à la hauteur des idéaux de virilité de son temps, des signifiants-maîtres de son époque, qui varient historiquement avec le discours du maître.
Aurélie Pfauwadel

On est tous un peu ratés, on est tous différents par rapport à la norme : on est paradoxalement tous des anormaux...(...) Sans cette anormalité propre à chacun, il n'y aurait d'ailleurs pas de norme.
François Ansermet - Au-delà de la norme

La nature est, à juste titre, source de méfiance, lorsqu'elle semble brandie comme une référence indiscutable qui entend normer un comportement ou une manière de vivre, et imposer au sujet un carcan indépendant de son désir et de sa volonté. Sans être dénuée d'ambiguïté, la référence à la nature a cependant pour fonction première, dans l'oeuvre de Jean-Jacques Rousseau, de déjouer les évidences, les normes et l'ordre établi, afin d'ouvrir un autre possible pour la constitution du sujet et de son rapport au monde et aux autres.
Johanna Lenne-Cornuez

En aucun cas ce que les enfants donnent à voir à l'école ou à la maison ne doit être interprété comme les comportements d'un être "déviant" ou "malade". Et pourquoi? Tout simplement parce qu'il n'y a pas de déviation sans norme et que le parlêtre n'est assujetti à aucune normativité naturelle. Il ne faut pas confondre les défauts de calcul, les fausses connaissances, les raisonnements hâtifs et les idées plus ou moins délirantes avec les déviations de la pensée d'un cerveau. Aucun cerveau ne pense, tout comme il n'y a pas une façon normale pour le parlêtre de se penser ou de se dire. Entre la pensée et la vie organique qui, en le soutenant, lui impose aussi une limite, le rapport est celui d'un combat à mort, mais jamais d'une causalité.
Léandro de Lajonquière

Qu'est-ce qu'une norme? D'où vient son usage si répandu, comme s'il s'agissait d'une évidence? D'ailleurs, est-ce vraiment le cas? On est passé de l'idée d'une norme, qu'on imaginait être la même pour tous, à la revendication par chacun de sa propre norme. A chacun sa norme : le registre de la norme pour tous a laissé place à la multiplicité des normes, selon un mouvement qui va aujourd'hui vers l'exigence d'un hors-norme pour tous.
(François Ansermet - Au-delà de la norme)

La dialectique homme/femme ne tourne jamais rond, car toujours s'interpose une troisième terme entre homme et femme, qu'il soit désigné comme désir, phallus ou libido, et qui fait obstacle.
Daniel Roy

Toute position de norme n'est-elle pas solidaire d'une possibilité tenue pour normale de la subvertir? C'est cette question à laquelle nous souhaiterions donner sens en affirmant, à titre d'hypothèse, qu'une norme qui n'est pas subversible - si nous pouvons employer ce néologisme pour désigner son caractère submersible lié à la possibilité de la subvertir - cesse d'être une norme pour devenir une règle, voire une loi.

Aujourd'hui, nous sommes à une époque où se vérifie que trop d'informations tue l'information. Nous sommes au temps de l'infox et de la post-vérité.
Philippe La Sagna - L'impossible solitude du sujet moderne.

Mais il n'y a pas que l'origine et la mort. Il y a le devenir. Et le devenir peut changer ce que l'origine change. On peut inventer une histoire différente que celle que semble vouloir dicter l'origine.