François Buot

Pour la première fois de sa vie, Nancy s'incline. Elle vient de perdre cet ultime combat. En jetant l'alumette dans sa chambre, elle tire un trait sur sa vie, ses mots, ses poèmes, ses lettres. Elle n'écrira plus! Elle peut alors tomber n'importe où, qu'importe.

Guibert peut-il être, à défaut d’une consolation, un dénominateur commun pour tous les autres malades, ceux qui ne connaissent pas, eux, le charme et la puissance des mots pour en faire leur tombeau ?

Pierre Combescot

Le WHK (comité humanitaire et scientifique) est une véritable organisation de combat dirigée par le docteur Magnus Hirschfeld. Proche de la puissante sociale démocratie allemande, le mouvement mobilise les intellectuels, lance des campagnes d’information, organise des débats, y compris au Reichstag.

Crevel est l’un des rares surréalistes à évoquer publiquement sa bisexualité et son attirance pour les garçons. Il ne se gêne pas d’ailleurs pour dénoncer l’hypocrisie des écrivains homosexuels qui transforment dans leurs écrits les hommes en femmes comme un certain Marcel Proust qui fait de son Albert… une Albertine.

Contrairement à Gide, Cocteau […] refuse d’aborder publiquement le sujet. L’étalage de sa vie privée, ce n’est pas son genre.

Pour certaines « stars » de la haute société parisienne, il est inutile de prendre la moindre précaution. Leur préférence pour les femmes n’est plus un secret pour personne. Les interdits de la société bourgeoise ne les concernent plus. Elles sont ailleurs. Le lesbianisme n’est pas une simple mode, mais un véritable phénomène de société. Dans le microcosme parisien qui bruisse de rumeurs, et qui raffole de provocation délicatement sulfureuses, le saphisme est un atout. La jolie « courtisane » Liane de Pougy, l’extravagante, Sarah Bernhardt, la scandaleuse, marquise de Belbeuf ou la précieuse duchesse de Clermont-Tonnerre, en savent quelque chose.

[Francis] Carco n’invente rien. […] Ses premiers romans d’apache, ont tous les ingrédients du genre : la nuit, la fête triste, la fatalité du destin, les filles de joie, le crime sordide. Le style classique, rapide et direct relève du grand reportage. Le regard est lucide, presque détaché. Carco compatit mais ne juge pas. Le sexe est suggéré, jamais montré, restant un ingrédient efficace pour corser le récit et exciter la curiosité du lecteur. Le succès populaire est donc au rendez-vous. […] Ses livres se vendent à des dizaines de milliers d’exemplaires.

La grande crise économique de 1929 est un tournant décisif […] les mouvements d’extrême-droite recrutent […] En 1933, pour la première fois, des incidents éclatent aux portes du Magic City […] la police cible les bars, les bains vapeurs, les bals et les garnis. Les rapports se multiplient à partir de 1935, et ils se terminent tous par le compte-rendu de la rafle [..] la mesure la plus spectaculaire concerne les promenoirs. Les directeurs de théâtre et de music-halls reçoivent l’ordre d’éclairer tous les coins sombres. […] En Angleterre, les propriétaires de pubs n’ont plus le droit de servir les homosexuels, les vals travestis sont interdits […] En Allemagne […] quand René Crevel arrive à Munich en août [1933], il comprend assez vite que la situation est devenue dramatique. […] À Paris, si la fête continue, elle est en sursis. [..] Cette embellie de Juin 36 est une formidable victoire mais aussi une grande illusion […] L’effondrement de Juin 40 et l’effroyable exode marqueront définitivement la fin d’une époque et d’un style. […] En 2013 […] Paris […] cultive son âge d’or pour attirer les visiteurs du monde entier […]l a réalité est que le pays a subi, pendant de longues années, un lavage de cerveau suivi d’une répression sans limite pour se prolonger par l’épuration morale des années d’après-guerre.

Le style [de la Garçonne de Victor Marguerite] est médiocre, l’histoire un peu grossière, mais tous les ingrédients du scandale sont réunis. […] La succès en librairie est considérable […] le plys amusant dans cette histoire est sue cet ancien combattant […] poursuivi par des pères la pudeur pour faire l’apologie de la sexualité […] voulait faire tout le contraire !

Le mouvement des garçonnes est curieusement parti d’Angleterre juste après la guerre.

Deux jeunes garçons décident de créer la première revue française spécifiquement gay, Inversions. Nous sommes en 1924. […] ils connaissent les revues publiées outre-rhin et sont persuadés qu’il existe un public potentiel en France. Ce sont aussi des passionnés de littérature. Ils ont sans doute lu Proust et surtout Gide. Ils sont fascinés par Corydon qui vient juste de sortir en librairie. […] Pour le reste […] leurs références restent classiques, voire franchement vieillottes. Au plan scientifique, ils connaissent les thèses d’Hirschfeld sur le troisième sexe et celles de Friedlander sur les tendances sexuelles. […] la seule originalité tient aux petites annonces assez discrètes mais explicites.

Berlin possède le premier institut de sexologie au monde, dirigé par le fameux docteur Hirschfeld. C’est lui qui a bousculé le vieux monde médical en expliquant sue l’homosexualité n’est pas une maladie.

Dans les kiosques [allemands], on peut trouver la première revue homosexuelle régulière au monde, Der Eigene […] une sorte de NRF gay dirigée par l’anarchiste (de droite) Adolf Brand. Plusieurs autres revues gay à grand tirage sont également en vente libre. Die Freundschaft ou Die Freundin sont de véritables magazines illustrés avec des reportages, des interviews et des petites annonces.

… les sujets de sa gracieuse majesté ne sont pas les seuls à être attirés par la force, la santé éclatante et la grande désinvolture de ces jeunes Allemands [de Berlin]. Ce pays est bien le seul où l’homosexualité se vit tout à fait naturellement.

Avec Paris, Berlin représente l’autre phare de la nuit homosexuelle.

En réalité, les surréalistes trop occupés à sublimer la femme, ont bien du mal à faire des hommes un égal objet de désir ! Dans ce groupe de jeunes gens qui s’adorent et se déchirent, l’homosexualité est à fleur de peau, mis largement refoulée. […] Mais chassez le naturel, il revient au galop. L’homosexualité refait surface en contrebande dans certains textes. Aragon, le plus flexible en la matière, est passé maître dans l’art du double jeu.

Dans toutes les grandes salles de music-hall et les théâtres, les fauteuils d’orchestre sont réservés et chers, les étages supérieurs d’un accès beaucoup plus facile. C’est une joyeuse cohue qui fait partie de la fête parisienne. On s’y donne rendez-vous, on drague, et quand les lumières s’éteignent on y fait l’amour à deux ou à plusieurs.

Gide brise le silence sur l’homosexualité. […] Quel culot et quel courage d’affirmer publiquement son homosexualité ! Même au milieu des années vingt, avouer ses penchants homosexuels peut s’attirer de graves ennuis. […] Les lois assez tolérantes et une certaines passivité des autorités ne doivent pas faire illusion.

« Dans un poste de secours, un blessé qui défaille se précipite sur le premier brancardier qu’il rencontre et qu’il n’avait jamais vu … « Embrasse-moi, je veux mourir avec toi » »
Journal de tranchées Poil et Plumes, 1916.

La guerre n’entraîne pas de changement radical dans les comportements, puisque nous avons déjà constaté l’absence de préjugés anti-homosexuels dans les classes populaires. Elle accentue simplement le mélange des genres. Ds liens affectifs intenses peuvent ainsi exister entre hommes, à partir d’une sexualité partagée. Dans l’épreuve du feu se développe une forme nouvelle de sociabilité masculine à grande échelle…