À l'époque où les fillettes étaient des bébés, leur image avait été associée à des marques de savon ou de lait en poudre ; maintenant, on se servait d'elles pour promouvoir l'engagement du Canada dans un conflit mondial. Peut-être cette cause était-elle juste, mais de quel droit utilisait-on ces enfants ? N'était-ce pas une terrible façon de les endoctriner, de les priver de toute possibilité de développer leur libre arbitre ?
- N'était-ce pas un charmant spectacle ? lança Miss Darmon à sa classe réunie.
- Oui, Miss Darmon, c'est fascinant comme ces cinq petites filles se ressemblent, répondit une élève.
- Quel dommage qu'on ne puisse pas leur lancer des cacahuètes ! grommela Edith.
Pour Noël, si on te donnait le choix entre commander cinq nouveaux jeux et permettre à cinq enfants qui vivent dans un pays en guerre d’avoir de l’eau potable pendant un an, tu choisirais quoi ? L’eau pour les enfants, a fait Hugo en regardant le goudron de la cour entre ses pieds. Bravo. Ca, c’est le progrès.
Dans le contexte de crise économique qui frappait durement le continent tout entier, cette affluence de visiteurs représentait une véritable aubaine pour l'hôtellerie locale. Le gouvernement pria l'équipe des tuteurs d'organiser l'accueil des touristes à la pouponnière. Toutes ces personnes qui venaient de loin ne devaient à aucun prix être déçues et il convenait, dans la mesure du possible, de leur permettre de voir les prodigieux bébés dans de bonnes conditions. On aménagea donc, dans le hall d'entrée de la pouponnière, une fenêtre vitrée donnant sur la salle de jeux où l'on installait les fillettes lorsqu'elles ne dormaient pas.
C'est sûr, nous, les pruniculteurs, on est quand même bien placé pour observer les oiseaux… Et oui, parce qu'ils se posent sur les branches des pruniers ! Sans compter que beaucoup d'entre nous sont membres de la Société de chasse... Mais attention, il y a chasseur et chasseur ! Nous, on pratique la chasse durable et responsable, on fait ça surtout pour rendre service. Et puis on a des missions : aménagement de nos territoires ruraux, actions éducatives d'éducation des écoliers, protection de Dame Nature... Destruction des nuisibles... Les chasseurs savent faire rimer biodiversité avec respect… et avec convivialité !
Ce qu'il retenait de la conversation, c'est que la fascination que les quintuplées exerçaient sur le public tenait uniquement dans l'apparence identique des cinq fillettes. Les visiteurs se moquaient bien de savoir si les petites étaient heureuses du moment qu'on les leur présentait comme cinq copies conformes, cinq exemplaires d'un même bébé, cinq êtres vivants monstrueusement semblables.
- L'attitude du gouvernement est scandaleuse, je me battrai pour retrouver mon autorité paternelle ! Tout ça parce que nous sommes des Canadiens français ! Si nous étions anglophones, les choses ne se passeraient pas de la même manière... C'est toujours la même histoire : plus les gens sont pauvres et opprimés, plus on cherche à les enfoncer.
D'ici-là il fallait les protéger, limiter autant que possible les conséquences désastreuses de cette vie de bête de foire qui se dessinait pour elles. Et puisqu'elles paraissaient condamnées à être des monstres aux yeux du public, c'était à lui, Dafoe, que revenait la responsabilité de diriger ce cirque. (p.104)
Le docteur Defoe, inquiet pour la tranquillité des jumelles, ramena à deux le nombre de shows quotidiens.
Au pied du mur, à côté d'un bol plein d'eau, une écuelle en plastique que je n'avais jamais vue contenait de drôles de boulettes. Je m'approchai : cela sentait plutôt bon. J'en goûtais une : ça croquait sous la dent, c'était délicieux, salé, sucré, piquant, joyeux, tout cela à la fois, et ça glissait dans la gorge en grattant un peu. Sous la table, le monstre poilu gémit doucement en agitant sa queue : je compris que cette nourriture était la sienne et qu'il me suppliait de ne pas tout dévorer.