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Critiques de Frédéric Lordon (55)
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Capitalisme, désir et servitude

Salut les mecs.



Alors j'ai un peu honte. Je connais pas trop Frédéric Lordon mais j'apprends ici qu'il est à la mode depuis quelques années. Voilà qui commence bien pour moi. J'ai bien regardé quelques émissions de lui en un an (genre une ou deux histoire de remplir mon quota), mais il ne me semblait pas si branchouille que ça. Heureusement, je connais un peu mieux Marx, et un peu plus encore Spinoza, ce qui est la moindre des choses puisque dans ce bouquin, Frédéric se propose de creuser un peu notre compréhension de Marx en l'abordant par le biais de la philosophie de Spino.



J'ai lu de ci de là plusieurs critiques adressées au sieur Lordon en personne. Les critiques, parfois, étaient même adressées au bouquin dont nous proposons de causer ici. En voici quelques-unes :



- Frédéric est un looser. Ce que je réponds : je n'en sais rien, peut-être qu'il passe un peu trop à la télé ces derniers temps c'est vrai.



- Frédéric n'a rien compris à Spinoza. Ce que je réponds : sachant que les plus grands spécialistes de Spino ne s'accordent pas entre eux, on ne va jouer ici à touche-pipi pour savoir qui lance le plus loin. Dans l'ensemble, Frédéric reste cohérent et utilise de manière appropriée les concepts de l'affect, du conatus et de la liberté (même s'il ne distingue peut-être pas assez la liberté philosophique de la liberté politique, entendu que dans cet ouvrage, c'est de la seconde uniquement dont il devrait être question).



- Frédéric veut nous hypnotiser. Genre, il peut nous manipuler en nous faisant croire que si nous n'avons pas le sentiment d'être exploités, c'est justement le signe que nous avons été parfaitement aliénés. C'est un peu comme avec l'inconscient de la psychanalyse. Et du coup, les gens sont tristes de ne pas pouvoir se défendre là-contre. Ce que je réponds : Avec son explication concernant les mécanismes qui nous font accepter l'exploitation, Frédéric n'émet pas de jugement de valeur. Nous n'avons donc pas à nous brusquer et à bouder dans notre coin en disant « non, c'est pas vrai, je m'ai pas fait manipuler ! ». Nous ferions mieux au contraire de vérifier jusqu'à quel point cette théorie est vraie en la confrontant à la pratique quotidienne de nos actes et en nous demandant : suis-je sûr que c'est absolument MOI qui veux cela ? Et si non, quelle est la part d'autre qui me dirige ?





Bien sûr, en racontant que nous sommes peut-être agis par des puissances extérieures que nous ne maîtrisons pas, Frédéric ne se fait pas que des potes. Mais en cela, il se montre fidèle à Spinoza, qu'on a déjà bien maltraité pour avoir affirmé que le libre-arbitre n'existe pas. Alors moi, je m'en fous de savoir qui a raison entre le groupe de ceux qui jouent les gros pleins de libre-arbitre et ceux qui trouvent ça vachement provoc d'affirmer que le libre-arbitre est une illusion. Au niveau des conséquences, on remarque juste que ceux qui reconnaissent la possibilité d'une inexistence du libre-arbitre se montrent un peu plus vigilants et font preuve d'un esprit critique un peu plus acéré que ceux qui croient pouvoir être les seuls maîtres à bord de leur placenta cérébral. Alors les mecs, faut déstresser. le Frédéric, il n'en sait pas plus que nous sur le libre-arbitre et le Spino, même galère. Ils ne sont pas là pour nous prendre la main dans le sac d'une jouissance qui n'est pas la nôtre et pour nous dire que c'est pas bien. Ils sont juste là pour nous demander, au passage : au fait, t'es sûr que c'est bien ton manche que tu astiques, et pas celui de ton chef ? Vaut mieux être sûr de ça tout de suite, hein.





Mon Dieu, si j'utilise cette analogie sexuelle un peu foireuse, c'est parce que Spinoza et Frédéric nous rappellent que nous avons facilement tendance à fermer les yeux sur notre exploitation lorsque celle-ci s'accompagne d'affects joyeux. Quand on est content, on réfléchit rarement pour savoir si la joie provient de sources respectables. C'est tellement rare qu'on la gobe d'un coup, miam. Où est le mal ? C'est que l'entreprise néolibérale, selon Frédéric, elle le fait exprès de produire des « affects joyeux extrinsèques ». Même que pour se la péter il appelle ça « l'épitumogénie néolibérale ». Mouais, ça fait quand même longtemps qu'on est avertis sur le danger des plaisirs consommatoires périssables. Plus insidieux toutefois serait la volonté des dominants de nous faire croire que nous allons au travail pour notre plaisir (exemple de l'entreprise Google ?) ou pour accomplir notre réalisation personnelle (talent, prestige, voyages, putes). Plus seulement désir médiat des biens mais désir intrinsèque de l'activité elle-même. Ouais, ça peut se défendre.





« L'entreprise d'aujourd'hui voudrait idéalement des oranges mécaniques, c'est-à-dire des sujets qui d'eux-mêmes s'efforcent selon ses normes, et comme elle est (néo)libérale, elle les voudrait libres en plus de mécaniques –mécaniques pour la certitude fonctionnelle, et libres à la fois pour la beauté idéologique de la chose mais aussi considérant que le libre-arbitre est en définitive le plus sûr principe de l'action sans réserve, c'est-à-dire de la puissance d'agir livrée entièrement. »





Vous remarquerez que j'ai beaucoup causé de Spinoza. C'est normal, je l'aime bien ce mec. Marx vient après, et dans le bouquin aussi. On l'invoque pour actualiser sa définition de la domination et de la lutte des classes, histoire qu'elles collent un peu mieux avec notre société actuelle. le concept générique n'a pas perdu de sa pertinence, en revanche il doit se fondre dans de nouvelles formes. Ainsi, la domination aujourd'hui ne représente plus seulement l'asservissement au désir d'un maître, elle représente aussi l'enfermement des dominés dans un domaine restreint de jouissance. Aux millionnaires, un champ infini du désirable ; aux smicards un champ restreint au contenu des rayonnages du leader price (sauf à la fin du mois). Les dominants se réservent les désirs majeurs et font croire aux dominés que les désirs mineurs sont ceux qu'il faut rechercher en priorité. Là encore, si on n'aime pas cette idée, il faudra revenir taper sur Michel Foucault (Histoire de la sexualité, Tome 1 : La volonté de savoir : « Ne pas croire qu'en disant oui au sexe, on dit non au pouvoir ; on suit au contraire le fil du dispositif général de sexualité ») ou Pierre Bourdieu (pour une petite extension sur la domination des dominants). Finalement, force est de reconnaître que Frédéric ne propose rien de neuf mais il encourage l'accouplement d'un tas de conceptions qui n'attendaient que son entremise pour se frotter les unes aux autres.





Autre forme de domination induite par la division de la reconnaissance : « Les enrôlés sont […] voués à des contributions parcellaires, dont la totalisation n'est opérée que par le désir-maître ». N'importe qui doit pouvoir comprendre ça. T'as oeuvré comme un chien, mais le mérite est pour le grand manitou.





Frédéric désigne le grand ennemi : aujourd'hui, c'est l'entreprise néolibérale qui peut se permettre de cumuler toutes ces formes de domination à la fois. Elle excelle en faisant croire aux dominés qu'ils servent avant tout leur désir individuel avant de servir celui du maître. Là, d'accord, on se demande pourquoi ce serait tout de la faute à l'entreprise néolibérale. La responsabilité se partage sans doute de façon plus subtile, et le choix de l'ennemi est un peu facile.





Comme ça fait un peu con de parler de politique et de ne rien proposer de concret, Frédéric se croit obligé, pour finir, de lancer l'idée folle d‘une récommune. Déjà, le nom est moche, croisement bâtard entre république et communisme. Ensuite, ça ne marchera que sur le papier. le principe de la récommune consisterait en effet à réunir des associés autour d'une proposition de désir dans lequel ils auraient reconnu le leur. Genre, maintenant nous savons tous que nous devons nous montrer méfiants quant à la possibilité d'être vraiment propriétaire d'un désir en propre, et le Frédéric nous fait croire qu'un désir pur pourrait vraiment exister ? En fait, ce que Frédéric insinue par-là c'est que ce désir ne devra provenir ni des réquisits-menaces de la reproduction matérielle ni de l'induction d'un désir-maître. Mais je ne suis pas sûre que les désirs provenant de l'influence d'autres tendances ne soient pas aussi pourris que ceux-ci. Autre principe : ce qui affecte tous doit être l'objet de tous. Mais quelle peut être la nature de cette égalité qui s'accompagne fatalement d'une inégalité des contributions et des situations ? le plan de la récommune tombe là, Frédéric n'en cause plus. Ouf.





C'est à ce moment-là qu'il nous ressort sa théorie sur l'angle alpha. J'avoue, c'est de la pure violence symbolique : « L'angle α c'est le clinamen du conatus individuel, son désalignement spontané d'avec les finalités de l'entreprise, son hétérogénéité persistante au désir-maître, et son sinus […] la mesure de ce qui ne se laissera pas capturer ». Ça sert à impressionner ceux qui aiment se faire cramer la cervelle pour rien. J'aurais pourtant bien aimé que ma mémé puisse lire et comprendre ça, même si elle a dû arrêter l'école après le brevet de 13 ans. En gros, si on se contente de regarder le schéma, la domination c'est de suivre le désir-maître (le dominé suit le mouvement du dominant : la parallèle) et la sédition c'est de s'opposer au désir-maître (le dominé affirme de nouvelles directions pour le désir : la perpendiculaire). Pas besoin d'en venir aux vecteurs pour ça. C'est vrai qu'il nous emmerde le Frédéric avec ses discours pompeux. C'est comme s'il avait besoin de prouver tout le temps qu'il a fait des études. Sans doute un complexe de classe, encore. Autre exemple, le gros baratin sur le conatus de Spinoza n'était vraiment pas utile quand on remarque qu'il l'utilise seulement pour parler du mouvement incontrôlable qui pousse l'individu à désirer et à agir pour accomplir son désir.





Finalement, on en arrive à un hybride marxo-spinoziste qui permet à la limite de comprendre un peu mieux le premier par le second, et vice-versa. Marx s'était gouré en croyant que l'exploitation pourrait se résoudre, que les classes pourraient disparaître et que la fin de l'histoire sonnerait tonitruante. Spinoza nous a montré que la force des affects engendre la permanente et universelle servitude passionnelle. le pire ennemi est en nous-mêmes, c'est la force incontrôlable du désir et des passions. L'entreprise néolibérale (ou tout autre dominant) ne parviendrait pas à nous faire désirer des trucs absurdes si nous étions des pierres sans âme. La fin de l'histoire n'existe pas baby. Et hop, ni une ni deux, Spinoza se propose carrément de redéfinir le communisme. Nous nageons en plein anachronisme, mais ça dilate les pupilles. Voici donc : le communisme véritable c'est la fin de l'exploitation passionnelle, lorsque les hommes sauront diriger leurs désirs communs et former entreprise vers des objets que chacun peut désirer équitablement. Ce n'est pas du pain ni du vin, cet objet-là, c'est la raison, rien que ça. Et si la raison devient l'objet du désir vers lequel chacun doit se tourner et tendre la main, autant dire qu'on est dans la merde.
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Capitalisme, désir et servitude

Partant de l’observation que les décisions en économie et dans le monde de l’entreprise, comme toute action humaine, sont sous l’emprise des passions humaines, Frédéric Lordon propose ici une nouvelle lecture du capitalisme et de la pensée de Marx en l’éclairant de la théorie des passions.



Et c’est un livre effectivement passionnant même s’il est un peu difficile d’y entrer, car il faut bousculer ses certitudes (si ce n’est pas déjà fait) et s’ajuster au vocabulaire et aux concepts employés par Frédéric Lordon. Si l’on admet, en suivant Spinoza, que l’aliénation est notre condition la plus ordinaire et la plus irrémissible car la servitude passionnelle est universelle, et que la notion de libre arbitre est infondée, cette relecture fascine et questionne, mais (hélas), par sa lucidité, n’est pas source d’optimisme pour l’avenir.



La question fondamentale posée est comment impliquer des puissances tierces dans la réalisation de ses propres désirs, ce que l’auteur nomme le rapport d’enrôlement, analysé ici dans sa déclinaison contemporaine, le travail salarié. L’enrôlement, et la mobilisation de l’énergie des salariés, est affaire d’alignement de leur désir sur le désir-maître, celui de l’employeur.



Depuis le développement de l’économie marchande à travail divisé, où pourvoir à ses besoins passe forcément par le salariat et donc par l’argent pour le plus grand nombre, les salariés ont d’abord accepté le rapport d’enrôlement salarial pour ne pas dépérir (se nourrir, se vêtir, se loger), puis avec le développement du fordisme, pour profiter et être réjoui de la consommation de biens matériels.



Mais dans la période contemporaine néolibérale, ceci ne suffit plus, du fait du changement d’ambition du capitalisme lié au relèvement constant des objectifs de rentabilité financière, lié à des rapports de concurrence, de violence et de puissance entre travail et capital modifiés du tout au tout avec la déréglementation et la globalisation des marchés, et à un développement du secteur tertiaire où les tâches à accomplir ont un contour plus flou, et où l’adhésion et le contrôle des salariés ne peuvent plus se réaliser uniquement par la coercition.



L’objectif du capitalisme est donc maintenant d’obtenir l’alignement parfait du désir et de l’énergie des salariés avec le désir-maître, c'est-à-dire une mobilisation TOTALE des individus au service de l’entreprise : développer un désir intrinsèque de l’activité pour elle-même par l’ «épanouissement», la «réalisation de soi» et la «reconnaissance». Cette soumission entière, corps et âme, qui équivaut à remodeler de l’intérieur les désirs des salariés pour qu’ils soient conformes à ceux de l’employeur, est en quelque sorte un refaçonnage des individus - fabriquer un homme nouveau et joyeux de son sort salarial – et elle s’apparente donc à une forme de totalitarisme, d’où la citation de Gilles Deleuze en exergue de ce livre :

"On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde."



Pourquoi cet enrôlement complet est-il donc un problème si les salariés sont joyeux et «épanouis» ? Tout d’abord car très peu se coulent dans cette domination sans la moindre réserve, car le désir et la puissance d’agir du salarié sont réduits à un champ qui est restreint, car la menace, une violence coercitive (de plus en plus libérée) est toujours présente en arrière-plan, et car si tout s’effondre pour le salarié avec son licenciement, puisque la promesse de la vie salariale et de la vie tout court de plus en plus se confondent, la fin du salariat peut conduire à des conséquences extrêmes (dépression et suicide).



"Comme bon nombre de salariés ne cessent de l'expérimenter, tous les "plans" successifs que le rapport salarial capitaliste a su monter pour enrichir son décor, plans des intérêts plus raffinés au travail - avancement, socialisation, "épanouissement", etc. - peuvent à tout instant s'effondrer pour ne laisser seul debout que l'arrière-plan indestructible de la dépendance matérielle, fond brut de menace jetée sur la vie à nouveau nue."



Un livre d’une grande lucidité qui conclut logiquement que le dépassement du capitalisme ne nous libèrerait pas de la servitude passionnelle, puisque le désir et la violence qui l’accompagne sont l’essence même de l’homme. Peut-on se libérer de la captation du désir d’agir et donc de la domination lorsqu’il y a une action collective ? La manière de le faire reste à inventer.
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Capitalisme, désir et servitude

Avec «Capitalisme, désir et servitude » incontestablement des portes et des fenêtres s'ouvrent. Notre vision du monde social après cette lecture n'est plus vraiment la même. Cette expérience est utile, heureuse, bien plus profonde que celle de se cultiver, elle élargi sensiblement notre « espace intérieur ». Certes, des auteurs aussi différents que le bourdieusien Alain Accardo avec « le petit-bourgeois gentilhomme », que le marxiste Moishe Postone avec « Temps, travail et domination sociale » ou bien que l'écologiste Hervé Kempf avec « Comment les riches détruisent la planète», ont déjà souligné les enjeux d'une réappropriation de notre propre subjectivité. Mais ce que Frédéric Lordon met à jour ce sont les mécanismes mêmes de la spoliation.





Il signe un essai précis et d'une grande honnêteté intellectuelle. Il fait preuve de beaucoup de pédagogie. Les chapitres de son livre sont courts et l'exposé de sa pensée progressif. Il aborde, avec le fonctionnement passionnel du capitalisme, l'impensé économique. Il croise pour cela de façon tout à fait convaincante et utile, les pensées de Marx et de Spinoza. La très ardue « Ethique » spinozienne est certes mobilisée mais les concepts utilisés sont toujours très clairement définis par l'auteur. le lecteur ignorant apprendra aussi beaucoup de choses sur cette grande philosophie.





Frédéric Lordon introduit dans la pensée économique marxiste une vision de l'homme, une anthropologie qui lui font partiellement défaut. le capitalisme impose le travail salarié et s'empare indubitablement de la plus-value mais l'échange entre force de travail et salaire n'est pas déterminé en toute connaissance de cause – qu'on consente ou qu'on conteste cette appropriation. La domination n'est pas non plus bipolaire, il existe un gradient continu de la servitude. Il serait possible d'introduire là la pensée de Pierre Bourdieu qui permet de dépasser la dichotomie entre déterminé et agissant et qui introduit le continuum de tous les agents qui sont tour à tour dominants et dominés. Spinoza ne dit pas autre chose. Sans doute notre force de désir, notre puissance d'agir nous appartient elle entièrement. Mais elle doit tout aux interpellations des choses, c'est-à-dire au dehors des rencontres quand il s'agit de savoir où et comment elle se dirige. de cette façon, nous dit Frédéric Lordon, le capitalisme s'approprie l'énergie du désir qui oriente notre force d'exister (Conatus). Les désirs sont déterminés du dehors (affectations). L'affect – triste ou joyeux – n'est que l'effet en soi de faire quelque chose qui s'en suit. L'auteur insiste, il n'y a pas de servitude volontaire, pas d'aliénation au sens classique mais une servitude passionnelle hétérogène. Consentement et contrainte sont déterminés de l'extérieur. le patronat fonctionne au désir. Il fait faire, s'empare de la puissance d'agir des enrôlés (impose son désir maître) et s'approprie ensuite les produits de l'activité commune (capture). Il s'approprie le produit matériel mais aussi le bénéfice symbolique de l'oeuvre collective des enrôlés. Entendons-nous bien, il ne détermine pas chacun de nos gestes. Les affectations et les affects qui en ont résulté laissent en nous des traces remobilisables. Ils peuvent ainsi tout à fait passer d'un objet à un autre, circuler entre les individus qui entre eux s'induisent sans autre intervention. Ce travail, le plus souvent, est inassignable, la société toute entière travaillant par auto affection.





Concrètement et en quelques lignes seulement, comment le capital produit-il ces désirs, cette servitude passionnelle ? Qu'elles sont donc les ingénieries successives (épithumogénies) des affects qu'il a mis en place (obsequium de l'amour et de la peur du maître)? L'affect joyeux de l'espoir (obtenir) qu'il propose est toujours accompagné de l'affect triste de la crainte (manquer). La division du travail et la généralisation du salariat, nous dit Frédéric Lordon, ont imposé, comme premier désir et seul moyen de survivre, l'argent. Cette nécessité absolue de la reproduction a généré chez les salariés des affects intrinsèques tristes tout à fait efficients, incontournables et permanents. le fordisme quant à lui a accentué encore la mobilisation à son profit. Il a permis aux salariés d'acquérir les objets qui réjouissent et qui génèrent des affects extrinsèques joyeux. Enfin, le choc actionnarial des dernières décennies, c'est-à-dire l'exigence de dégager une rentabilité des capitaux sans précédent, a nécessité d'imposer plus encore les désirs maîtres. le régime libéral a pour cela entrepris de produire des affects joyeux et intrinsèques. Totalitarisme confondant la vie de travail et la vie tout court, il a imposé dernièrement à tous la réalisation de soi dans et par le travail. Les exemples de fabrications contemporaines à base d' «enrichissement du travail», de «management participatif », d' «autonomisation des tâches » et autres programmes de « réalisation de soi » choisis par un Frédéric Lordon persifleur sont à ce sujet tout à fait éclairants.





S'il fallait refermer là «Capitalisme, désir et servitude », nous aurions le sentiment un peu triste – comme à la lecture d'un excellent nième article du « Monde Diplomatique » – d'en savoir plus mais d'être ma foi assez désarmé. le désir n'est certes jamais de soi mais il est cependant toujours à soi (le c'est moi qui désir est incontestable). Pour n'être en rien des sujets autonomes, les salariés ne s'en croient pas moins tels. Il s'en suit que dans nos sociétés consuméristes – nous pouvons nous servir nous-même – des conjonctions tout à fait réussies du désir maître et du désir de l'enrôlé sont réalisées . Il est certain aussi que le champ de nos désirs ne cesse de s'élargir et qu'ils s'accompagnent d'affects joyeux (sentiment d'appartenance, gains symboliques et monétaires de l'avancement, reconnaissance et amour). Alors tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes néolibéral possible? Non car il y a dans nos sociétés une division sociale des désirs tout à fait inacceptable. le désir des enrôlés est fixé arbitrairement à un nombre très restreint d'objets à l'exclusion d'autres. La violence symbolique des dominants (concept bourdieusien) consiste à la production d'un imaginaire double : imaginaire du comblement pour faire paraître bien suffisantes les petites joies auxquelles sont assignés les dominés ; imaginaire de l'impuissance pour les faire renoncer aux grandes auxquelles ils pourraient aspirer. Très heureusement, à la fin de son ouvrage, Frédéric Lordon fait des propositions tout à fait passionnantes et raisonnables. Il faut une « dé fixation » du désir. Ce qui affecte tous doit être l'objet de tous. Il faut rompre avec les affects tenaces et permettre aux esprits, remplis de trop peu de choses mais entièrement, de se redéployer. le travail ainsi ne saurait absorber dans une société plus juste toutes les possibilités d'affectations de la puissance d'agir… Mais je vous laisse découvrir tous ces possibles. Une vie humaine, qui suppose des hommes, non sous l'emprise de la passion mais conduits par la raison, n'est-il pas un bel idéal ?

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Capitalisme, désir et servitude

Ce fut épique. Ce fut long, laborieux parfois. Des retours en arrière, des lectures à voix haute pour mieux entrer dans l’écrit, ne pas lâcher. Des moments de plaisir aussi lorsque, de l’incompréhension, on accède à l’entendement.

Je ne suis pas un experte en philosophie, encore moins en ce qui concerne Spinoza. Je ne suis pas plus compétente en matière d’économie, et totalement ignorante des écrits de Marx. Alors, paradoxalement peut-être, j’ai voulu lire Capitalisme, désir et servitude, Marx et Spinoza de Frédéric Lordon.

Le coût d’entrée est indéniable mais ce livre fera partie de mes livres de chevet. Parce que je n’en ai pas tiré toute son essence, forcément, au vu ce que j’ai avoué quelques lignes plus tôt, mais surtout parce qu’il a réussi à changer mon angle de vue sur mon rapport au travail et à mon statut de salarié. Rien que ça ;)

La néophyte que je suis ne saurai produire une critique du niveau de l’ouvrage, incapable de vous traduire une pensée et un raisonnement que je n’ai pour l’instant saisi qu’au niveau intuitif. Et pourtant, croyez-le, ce livre ne m’est jamais apparu rébarbatif, repoussant ou décourageant, loin de là. Frédéric Lordon a fait le choix de produire des chapitres courts, où il nous conduit patiemment au fil de sa pensée et en toute pédagogie. Vous n’ignorerez plus rien du « conatus », du « désir-maitre », ou de la « récommune » après une lecture attentive et assidue.

J’avais déjà abordé la notion de servitude volontaire au travers notamment de travaux en psychologie sociale. De l’aborder sous cet angle nouveau pour moi a été incroyablement enrichissant et m’a ouvert tout un nouvel éventail de possibilités d’approfondissement. Un œil neuf donc, ou plutôt transformé, plus ouvert certainement, pour observer comment (et pourquoi) le « capitalisme » fait marcher les salariés, ses salariés, tout en jouant sur leurs consentements. Comment le capitalisme néolibéral tenterait de jouer sur nos désirs pour pouvoir se reposer sur des salariés contents. « Merci patron ! » ;)

Frédéric Lordon ne cache rien de la violence sociale que ces comportements engendre, de la maltraitance de beaucoup de salariés. J’ai été moi-même surprise de mon propre « aveuglement » et de la force de mon déni sur le sujet. Comment oublier que nous sommes si souvent mus par la peur, celle de perdre notre travail, ou la reconnaissance d’autrui, ou les moyens de subvenir à nos besoins ; et qu’au-delà, notre nature humaine nous fera percevoir le fardeau moins lourd en le vivant joyeusement et comme si ce n’était qu’effort de volonté, la notre, au service de nos désirs propres. Douces illusions…



Me restent le trouble, des interrogations. D’autres lectures viendront certainement pour moi sur ces sujets. Au-delà de Frédéric Lordon…

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D'un retournement l'autre

Comme dans mes billets récents j'évoquais les affres subies par Nicolas Fouquet victime de l'ire de son cruel souverain acoquiné au perfide Colbert, il me revient en mémoire la pièce jubilatoire au style très maîtrisé, en alexandrins s'il vous plaît, de Fréderic Lordon : "D'un retournement l'autre", lue à sa sortie, c'est-à-dire au presque lendemain de la crise des subprimes, celle-ci restant d'actualité puisque les soubresauts financiers se faisaient encore sentir 3 ans plus tard.



Compte tenu que nos illustres banquiers n'avaient point vu le vent mauvais venir, et avides de profits rapides, pour ne pas dire expéditifs, se sont rués pour acheter ces fameux produits dérivés toxiques, (vous me pardonnerez l'oxymore). de fil en aiguilles ou de charybdes en scylla, nos éminences grises de la finance, se sont laissées berner en plaçant leurs actifs au mépris des règles prudentielles, c'est-à-dire celles visant à se protéger contre les risques mettant en péril leur santé financière. On parle de titrisation des crédits immobiliers, (les subprimes), vendus sous forme de produits dont on ne pouvait plus tracer l'origine, dits toxiques parce qu'ils n'ont plus aucune valeur quand les créanciers souhaitent les vendre.



Alors j'en arrive à la pièce de F. Lordon, économiste hétérodoxe assumé et philosophe, qui a eu l'excellente inspiration d'écrire cette pièce de théâtre pour moquer les acteurs de cette crise fâcheuse qui pourtant défendaient « l'efficience des marchés financiers ». Je vous laisse méditer ce terme hautement symbolique « efficience », qui signifie plus qu'efficace !



Cette « Comédie sérieuse » est une véritable réussite, drôle et savamment écrite, le choix de l'alexandrin renforce la satire, pour notre plus grand plaisir.



Alors pourquoi tout ce papotage ? Et quel rapport avec Fouquet ?



D'abord parce que lorsque j'enseignais l'économie en BTS et terminale, il a été fort difficile d'expliquer et faire comprendre aux élèves et étudiants le mécanisme des subprimes à l'origine de ce désastre financier.



Quant à l'analogie avec Nicolas Fouquet, il se trouve que le système financier complexe qui régnait à l'époque possède quelques similitudes puisque l'endettement de l'Etat était déjà inévitable, vu son train de vie exorbitant aggravé des coûts liés aux guerres.

Et les prêteurs appliquaient des taux d'intérêt parfois prohibitifs, le surintendant était loin d'être le seul à accabler, il a surtout servi de fusible pour épargner certains protégés.



Alors si vous souhaitez vous détendre à la lecture du comique de situation accompli par Frédéric Lordon avec talent, je vous encourage fortement à le lire.

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Capitalisme, désir et servitude

Lordon montre à merveille comment Spinoza décrit l'homme comme un automate passionnel, mû tant par l'ordre fortuit des rencontres que par les lois de la vie affective au travers desquelles ces rencontres produisent leurs effets. Cette hétéronomie radicale est à l'inverse de la conception du libre arbitre comme contrôle souverain de soi, décrit par ce que Lordon nomme "la pensée individualiste-subjectiviste". Autrement dit, le mécanisme d'aliénation proposé par Spinoza, à l'encontre de la servitude volontaire de La Boétie, montre que les véritables chaînes sont celles de nos affects et de nos désirs.



La servitude volontaire n'existe pas. Il n'y a que la servitude passionnelle. Mais elle est universelle.



On ne peut qu'être frappé par la distinction que fait Spinoza entre d'une part la connaissance "par expérience vague" i.e. spontanément formée au voisinage des affects et dans l'ignorance des causes véritables, et d'autre part la connaissance des choses du point de vue de l'objectivité génétique.



Lordon illustre la relation subtile du couple consentement/contrainte, faite de similarité (tous deux sont des produits de l'exodétermination) et d'opposition (états de polarités opposées, joyeuse ou triste), par l'exemple de l'utilisation du terme "joug": asservissement tyrannique ("être sous le joug de...") vs. acquiescement enchanté ("être subjugué"). Brillant !



Parmi de nombreuses joliesses langagières qui font de ce bouquin un régal de lecture : "libre investissement axiogénique", "épithumogénies d'institution" c'est-à-dire- constructivismes du désir, procès atélique d'autoaffection collective (autrement dit processus sans but délibéré de réorienter les désirs des individus). En cela Lordon imite son maître, qui se rendit à la nécessité d'inventer une nouvelle langue pour marquer justement la rupture entre les deux types de connaissance décrits ci-dessus. Par exemple, le consentement est une forme de contrainte, car tous deux sont des formes vécues de la détermination. Seulement la contrainte est triste, le consentement est un affect joyeux.



Selon Spinoza, la valeur des choses n'est pas une propriété intrinsèque des objets, antérieure au désir et sur laquelle ce dernier n'aurait plus qu'à se régler, et notre désir n'est pas un simple effort d'orientation dans un monde de désirables objectivement déjà là. La valeur est à l'inverse une production par le désir, dont les investissements sont fondamentalement au principe de la valorisation des choses.



Lordon nous rend limpide la pensée a priori très systémique de Spinoza, laquelle offre en retour un arsenal de méthodes d'analyse où piocher allégrement et en toutes circonstances.
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Capitalisme, désir et servitude

"Tu as l'air de mauvaise humeur. Serait-ce parce que j'ai fait mourir ton fils ?"

Cette intervention théâtrale de Caligula est juste là pour donner l'ambiance, nous sommes au chapitre « Tyrannie et terreur ». La violence dans l'entreprise néolibérale atteint son paroxysme lorsque la liquidité devient le « fantasme du désir-maitre capitaliste ».



Un jour un collègue de travail m'a dit « mais tout ça n'est qu'un jeu ! » pour justifier le rôle des cadres qui devraient relayer la violence de haut en bas, sans état d'âme. Mais d'où vient cette servitude volontaire, d'un salarié qui se croit libre lorsque qu'il fait siens les désirs du patron ?



Frédéric Lordon choisit Spinoza pour éclairer la question.

« Les hommes se trompent quand ils se croient libre: car cette opinion consiste en cela seul qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes qui les déterminent (Ethique II 35 scolie) »

Comment se libérer des affects qui nous enchaînent, regarder en face « la production imaginaire du désirable » ? La question me rappelle ma dernière lecture d'Henri Bergson où on trouve l'origine de la religion close dans la « fonction fabulatrice » de l'intelligence activée par un « instinct virtuel » en réaction au découragement.



Le salarié « co-linéarisé » ajouterait joyeusement qu'il n'y a pas mort d'homme, et que celui qui n'est pas content peut librement quitter l'entreprise. Mais dehors la société de consommation a déjà rendu servile le nouveau candidat au chômage qui a maintenant la gorge sèche.



La fable du grand soir de l'émancipation continuera ainsi à gagner tu terrain. C'est ici que ce livre doit montrer comment « le réalisme spinozien » est utile à « l'utopie marxienne ». On trouvera comment la philosophie de Spinoza débouche naturellement sur le meilleur des régimes, la démocratie.

Mais il y a un monde entre la vie humaine, fraternelle, et la chose publique (res-publica) ou l'entreprise commune auto-gérée (re-commune). Pour cela on suivra d'abord avec l'Ethique de Spinoza, le chemin escarpé qui va de la raison à la pure joie de la conscience de soi.
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La malfaçon

Frédéric Lordon a plusieurs vies de chercheur : d'abord économiste, il appartient désormais au département philosophie du CNRS mais, dans son cas, on aurait tort de cloisonner ces deux disciplines. Chez lui, la frontière a toujours été poreuse et les sciences humaines et sociales ont toujours irrigué ses travaux d'économiste, qu'ils portent sur les crises financières ou, naturellement, sur son programme de recherche spinoziste en économie. Pour celles et ceux qui voudraient en savoir plus, nous recommandons la lecture de son précédent livre "Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza" et/ou l'excellente interview réalisée par Judith Bernard pour "D@ns le texte" (une émission du site Arrêt sur images).



Alors que se profilent les élections européennes, "La Malfaçon" de Frédéric Lordon tombe à point nommé. Si vous ne lisez pas son blog, vous serez peut-être surpris par la radicalité des propositions (par exemple, en finir avec l'Euro) comme de la forme. Volontiers pamphlétaire, Frédéric Lordon n'y va pas avec le dos de la cuillère. Et il ne rate pas la cible : les européïstes béats de "la droite complexée" (le PS, en l'occurrence) comme ceux de la gauche alternative (économistes atterrés, Attac, etc). Pour ceux qui se disent de gauche et apportent encore du crédit à l'Europe sociale (qui ne viendra jamais) ou pire au parti socialiste (de droite), il faudra donc accepter de s'en prendre plein la figure...



Mais c'est bien à eux que ce livre s'adresse. Et le projet est bien celui d'un dessillement : faire voir l'impasse dans laquelle l'Europe sociale se trouve aujourd'hui, impasse au demeurant voulue, dûment inscrite dans les traités et surtout incompatible avec l'hégémonie allemande dont les intérêts et les lubies monétaires sont à mille lieux des nôtres. Dans ces conditions, Lordon refuse de s'interdire la sortie de l'Euro ! Car pendant qu'on nous promet l'Europe sociale, les peuples souffrent, et à long terme, on sera tous morts. L'auteur ne cache pas qu'une sortie de l'Euro créera des remous mais, n'y voit pas pour autant, une catastrophe, ni un repli nationaliste. Sur ce dernier point, il est remarquablement convaincant et mérite assurément d'être lu dans un monde ou l'alternative semble se résumer à la mondialisation ou bien la Corée du Nord.



Au delà des critiques, Lordon évoque la possibilité d'une monnaie commune entre certains pays et réaffirme le concept de "souveraineté populaire", indissociable selon lui de la démocratie et antidote aux récupérations par le FN des thèses de la gauche radicale (critique de la mondialisation, de la financiarisation de l'économie, etc.).



A la manière d'un Jacques Sapir, Lordon propose une sortie par la gauche de la crise européenne et tente de convaincre les électeurs de gauche encore attachés au rêve européen. Un livre aussi percutant que salutaire à l'heure où l'extrême droite progresse partout en Europe...
Lien : http://lecoutecoeur.wordpres..
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La société des affects

Avouons-le d’emblée : l’intelligence de Lordon nous paralyse. L’homme a réponse à tout, du moins est-ce ainsi que nous le lisons, sans oser discuter ses thèses, de peur de les déformer. Quelles sont-elles, ces thèses ? Tout repose sur Spinoza et sur sa théorie des affects comme mouvements : nos passions et donc nos actions sont mues par des structures qui nous échappent – structure économiques, politiques, mentales mêmes – et nos désirs sont déterminés par ces affects, recherche du bonheur, peur du malheur, etc. Bref, la liberté n’est qu’un leurre, et l’individu croit vouloir quand en fait il est forcé par la société à désirer ceci ou cela. Le pouvoir serait alors – si j’ai bien compris – le fait de parvenir à faire croire aux hommes qu’il est le pouvoir. Rien de transcendant dans le pouvoir, puis qu’un pouvoir n’a d’autorité que si ceux sur qui il s’exerce admettent cette autorité et s’y soumettent – volontairement ? peut-être pas, structurellement peut-être – tout en ignorant – l’enjeu de ce livre serait de nous faire sortir de cette ignorance – qu’ils ne font qu’obéir, alors qu’ils croient n’être motivé que par leurs propres désirs. La réussite du néolibéralisme – son miracle ou/et son arnaque – c’est d’être parvenu à s’accaparer les désirs des salariés, qui ne travaillent plus simplement pour éviter le pire – la pauvreté, le déclassement social, la faim – mais qui travaillent par envie de s’épanouir dans des activités qui, si on les regarde sans œillères, n’ont rien d’épanouissement. Bref, on se fait avoir, nous dit Lordon, en le simplifiant à l’extrême, faute de se sentir – quel affect nous pousse à éprouver ceci ? – capable de saisir toutes les nuances d’une pensée complexe.
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Capitalisme, désir et servitude

Une lecture jubilatoire et éclairante sur la motivation du salarié dans l'entreprise néo-libérale.

Comme souvent avec Lordon, le style est intense, exigeant et riche tout en restant accessible à l'analyse par celui qui s'en donne la peine.

Ce livre est à recommander chaudement pour prendre le recul nécessaire sur sa propre condition de travailleur inconscient des moteurs de sa motivation à l'ouvrage. Il est de nature à changer profondément votre regard sur la vie et le monde.



Pourquoi "Marx et Spinoza" ?

En deux mots selon l’auteur même, il s'agit de "compléter le structuralisme marxien des rapports par une anthropologie spinoziste de la puissance et des passions".



Qu'est-ce à dire ?

¤ Le structuralisme marxien, pour schématiser à outrance, analyse les rapport entre individus et groupes d'individus au sein des sociétés (capitalistes, évidemment). C'est une analyse des structures sociales et des rapports de forces qu'elles implémentent qui cerne du coup l'individu par son extériorité. ->De son extériorité vers l'individu.

¤ L'anthropologie spinoziste s’attache à cerner les ressorts internes de l'individu (affects, passions, désirs...) qui conditionnent ses comportements extérieurs, sociaux. C'est une analyse des motivations internes profondes (alias : conatus chez Spinoza, volonté de puissance chez le moustachu, frustration fondamentale pour moi...) qui cerne donc l'individu par son intériorité. -> De l'intériorité de l'individu vers son extériorité.



On voit donc assez bien comment les deux approches peuvent se compléter pour aboutir à une sorte de "théorie unifiée" de l'analyse psycho-sociologique.



(la suite : suivez le lien de la critique)
Lien : http://antimediocratie.org/?..
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D'un retournement l'autre

Publié en mai 2011 aux éditions du Seuil, cette "Comédie sérieuse sur la crise financière en quatre actes et en alexandrins" est à première vue un étrange animal.



Pourquoi donc utiliser l’alexandrin pour décrire les péripéties de la crise financière ?

Décrire un enchaînement aux conséquences tragiques,

Sous forme de vaudeville sans rien de théorique.

Avec raffinement, bouffonnerie et jouissance,

Du capitalisme dévoiler l’indécence,

Et des banques révéler le coût du sauvetage,

Suivi de leur aplomb pour nous prendre en otage.

L’enchaînement des causes est tout à fait limpide,

Dans ce capitalisme à l’essence putride.

Il n’y a rien de vieillot dans ces vers de douze pieds,

Mais un surplus d’affect qui leur donne plus d’effet.



Pour reprendre les mots de Fréderic Lordon dans son texte de conclusion "Surréalisation de la crise", suivant la théorie des passions qui lui est chère, «on pourra analyser la crise financière sous toutes ses coutures, raffiner l’argument autant qu’on veut, démonter les systèmes, exposer les rouages, tout ça ne vaudra jamais une image bien choisie qui fait bouillir les sangs».



Comme Mathieu Larnaudie l’a fait avec "Les effondrés" dans un tout autre registre, "D’un retournement l’autre" est une dénonciation indispensable, et jubilatoire, des mécanismes de la crise et, au-delà, du capitalisme libéral et financier, à partager largement.



[Extrait] Le nouveau deuxième conseiller (au Président)

«Voulez-vous à son comble porter l’ironie :

Demandez-vous pourquoi la banque resplendit.

C’est que vos chers amis qui empruntent gratis

Vous reprêtent aussitôt, délicieuse malice,

À ces taux usuraires qui font les belles marges.

Grand merci de leur part de prendre à votre charge

Plus que leur sauvetage : leur bonheur, leur fortune

- Décidément les banques savent l’art de la thune.

Vous les avez sauvées mais c’est sur votre dos

Qu’elles se rétablissent avant, c’est le plus beau,

De vous morigéner, de vous faire la leçon,

Puis vous administrer une vraie correction.

Car ce sont elles qui, souscrivant tous vos titres,

De votre discipline se déclarent l’arbitre.

Avez-vous remarqué cet étonnant toupet

Qui les aura conduites à faire les roquets

De la sainte rigueur et de l’austérité,

- et pourquoi pas de la «responsabilité» !

Or contre vous, messieurs, les voilà qui spéculent,

À moins qu’il ne faille dire un autre mot en «ule»

Quand à vos propres frais vous êtes massacrés

Par celles qu’on croyait être vos obligées.»
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D'un retournement l'autre

"Il n'y a pas de force intrinsèque des idées vraies, il n'y a pas de conversion purement intellectuelles des idées qui n'ont jamais rien mené sauf à être accompagnées d'affects."

C'est la raison pour laquelle Frédéric Lordon quitte dans ce livre le domaine de l'analyse socio-économique abstraite pour rejoindre celui de l'expression artistique plus apte à démultiplier les idées pures dans le réel en les rendant intelligible par les affects.

Cet ouvrage, par son fond et par sa forme, est juste brillant !
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D'un retournement l'autre

La pièce « D’un retournement l’autre » est passionnante et pleine d’humour, elle se lit d’une traite. L’auteur de théâtre que l’on y découvre est pétillant et cultivé. Il semble, avec beaucoup de gentillesse, appliquer à son lecteur le fameux « principe de charité », en sa compagnie on a vraiment le sentiment d’être plus intelligent. Et pourtant, il est question dans cette pièce d’économie et plus particulièrement de la dernière crise financière. Et pourtant, Frédéric Lordon est un chercheur qui travaille au développement d’une économie politique spinoziste, un économiste qui étudie les logiques du capitalisme actionnarial, les marchés financiers et leurs crises. Nous ne sommes pas habitués à cela. Bien au contraire, le langage économique est le plus souvent abscons et l’envie de qualifier certains économistes médiatiques avec un mot encore plus court est aussi le plus souvent très vive.



Dans une très intéressante postface, Frédéric Lordon s’explique. En bon spinosiste, il pense qu’il y a une impossibilité de conversion purement intellectuelle. Il n’y a pas, nous dit-il, de force intrinsèque des idées. Elles doivent être accompagnées d’affect et c’est un des rôles possible de la littérature. Sa pièce est un mélange de vocabulaire très contemporains et de tournures grand siècle. Le président de la République, les ministres, les conseillers, les banquiers manient l’alexandrin. Les protagonistes, hormis un personnage de petite taille à l’ego surdéveloppé, sont désincarnés, sans psychologie particulière. Ce parti-pris perturbe notre perception passive et rompt avec beaucoup d’efficacité le pacte tacite de la croyance que nous avons habituellement en la religion économique et ses grands prêtres. Il s’oppose à toute identification et cette distanciation toute brechtienne dépersonnalise avec beaucoup de bonheur notre perception de la chose économique.



La crise s’éternise et en trois années nous avons oublié bien des choses. On ne fait, il faut bien le dire, rien pour nous rafraichir la mémoire. Le temps s’étirant éloigne les causes des effets et rend plus incompréhensible encore le monde dans lequel nous vivons. Les médias dans ce domaine ne font pas non plus œuvre de pédagogie. Le théâtre à l’avantage du temps ramassé.

En 2008, les fameuses subprimes faisaient une entrée fracassante dans notre univers. Des prêts immobiliers sans principe, sans aucune traçabilité possible, s’avéraient irremboursables. Les banquiers, qui avaient fait le choix de ces capitaux à risques et du jeu en bourse au détriment du fonctionnement bancaire ordinaire, se retrouvaient sans fonds propres. Les prêts entre banques qui auraient permis d’amortir cette crise, dans un climat de suspicion généralisé, n’étaient plus possibles. Il était donc fait appel à l’état honnit du système libéral et bancaire pour sauver le dit système. L’état qui a la responsabilité de l’économie qui sans prêt, sans investissement, sans consommation donc, s’effondre, ne pouvait qu’obtempérait. La banque centrale éditait la monnaie nécessaire pour sauver les banques et leur octroyait des prêts sans intérêt. Un fond de garantie pour que les banques se refassent crédit était créé.

Que croyez-vous qu’il advint après quelques déclarations sur la moralisation du capitalisme et un sauvetage des banques sans contrepartie ? Les crédits si généreusement octroyés aux banques étaient réinvestis aussitôt en bourse et non prêtés. Six mois plus tard la bourse caracolait et on redistribuait des dividendes aux actionnaires, des bonus aux traders ! La non-réouverture du crédit avait les conséquences que l’on sait sur l’investissement, la croissance, la consommation et les recettes de l’état.

Que croyez-vous qu’il advint après la remise en selle du petit monde de la bourse ? Pensez donc, après avoir soulagé les banques de leurs dettes, après la dégringolade de la croissance, le budget de l’état était en faillite. Il ne fallait pas compter sur une reconnaissance en retour du monde de la finance. L’insolvabilité des états étaient instantanément dénoncée par les banques qui attaquaient ses titres et renchérissait son crédit ? Aujourd’hui, c’est donc l’infernale boucle de la rigueur et de la récession qui mène le bal.



Elle nous fait tourner la tête, son manège à elle (la crise) c’est nous…Bonne lecture.

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D'un retournement l'autre

Sous la forme d'une pièce de théâtre écrite en alexandrin, Frederic Lordon, dresse un constat accablant et destructeur du monde de la finance, démontre la logique mortifère d'un monde capitaliste qui n'est soit disant "libéral" et faisant confiance aux marchés que lorsque le système est gagnant. Il souligne la totale manipulation des politiques par les financiers et leur total désintérêt pour les "autres", le peuple, les perdants !

Rien de bien nouveau dans le constat du désastre humain, sociologique, économique qu'entraîne le système libéral.

L'intérêt de ce recueil, repose sur le choix de l'auteur de prendre le parti pris de l'art, au travers du théâtre et de la versification, pour appuyer sa démonstration et sa pensée, d'affect, de sensibilité, pour faire réagir. Le livre est conclut par un post-scriptum de l'auteur qui explique très clairement sa pensée et ce choix.

Autre intérêt de ce petit livre qui se lit très facilement est de se remémorer le fil des évènements de cette crise de 2008, de ré-entendre les arguments des élites financières, des experts économiques et des conseillers économiques qu'ils nous ont déversé à longueur d'antenne sur cette crise, ses coupables, les seules solutions possibles sinon nous courions à l'apocalypse !

On pardonnera à Frederic Lodron les quelques petits écarts à la rime et à la versification, le texte est très drôle à lire, fait réfléchir et est un bon condensé d'analyse économique et politique.

A la veille des élections nationales, à lire pour se déciller les yeux !
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Capitalisme, désir et servitude

Nous vivons dans la servitude volontaire, déclare Lordon. Pourquoi ? Parce que le capitalisme parvient à nous faire désirer ce qu'il veut que nous désirions. Alors que le salariat fait que notre force de travail est soumise à l'intérêt des autres, le capitalisme parvient à nous faire croire que nous travaillons pour nous-mêmes, pour notre propre bonheur, pour notre propre joie. Afin qu'ils profitent mieux de ce qu'ils attendent de nous, il est nécessaire que nous croyions que c'est par nour-mêmes, pour notre propre intérêt, que nous travaillons. le désir-serviteur doit s'aligner au désir-maître et tout le monde sera content.

Pourtant, ce désir exhaussé n'est pas le nôtre, il est une nouvelle forme de l'aliénation dont nous ne pouvons nous échapper qu'en nous réappropriant notre propre désir, c'est-à-dire les fruits de notre travail. En alliant la pensée sociale de Marx et l'analyse des affects de Spinoza, ce livre nous permet de comprendre un peu mieux les délires des prisonniers heureux que nous sommes devenus et d'imaginer une société où les désirs de tous ne seraient plus manipulés dans l'intérêt de quelques-uns.


Lien : http://www.lie-tes-ratures.c..
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La société des affects

Rhapsode de textes pour la plupart parus dans des revues ou lors de colloque, La société des affects de Frédéric Lordon propose un paradigme révolutionnaire et iconoclaste sur la conception de l'homme, de la politique et de la société.



Pour ce faire, l'auteur, économiste de formation et chercheur au CNRS, commence par réconcilier la sociologie et la philosophie, l'une consistant à étudier des objets sans conceptualisation et l'autre à conceptualiser sans s'intéresser aux objets. Il a principalement recours à Spinoza, mais aussi au "plus philosophe des sociologues", Pierre Bourdieu. Souvent pensées en opposition, ces deux disciplines, une fois réunies, s'avèrent fécondes et offrent une nouvelle compréhension du monde politique.



A titre d'exemple, en sociologie, la domination des institutions dépend en partie de sa légitimité, c'est-à-dire de la reconnaissance par les institués de la domination de l'institution comme légitime, naturelle, allant de soi. Or, avec Spinoza, la légitimité est une notion inutile pour comprendre les institutions. Lordon explique d'une part que le concept de légitimité est introuvable et d'autre part que "si les institutions sont des agencements de puissances et d'affects, alors la légitimité n'est rien", c'est-à-dire que "si dans le monde institutionnel et social il n'y a que le jeu des puissances et des affects, alors la légitimité n'existe pas. Il n'y a que l'état des forces - pour autant qu'on sache voir leur diversité, bien au-delà des forces de domination brute : forces impersonnelles inscrites dans des structures, mais aussi forces intimes des affects à l'oeuvre jusque dans les productions de l'imaginaire (le "sens") - tel qu'il détermine des rapports à durer ou à se défaire." Avec ce décalage paradigmatique, l'institution légitime en sociologie devient ici l'institution qui créé chez les dominés un affect de joie ou de tristesse pour dominer. La légitimité n'est finalement, pour l'auteur, que l'appellation "supplémentaire, mais superfétatoire, ajoutée au simple fait de l'existence d'une institution".



Toute cette socio-philosophie aux applications bien pratiques s'attache à déconstruire un par un les piliers de la doctrine humaniste. Premier pilier : le libre arbitre n'existe pas. Second pilier : la légitimité institutionnelle n'existe pas. Troisième pilier : on ne décide pas la révolution, elle est provoquée lorsque les institutions se rendent suffisamment odieuses pour la provoquer. Toute la pensée de l'auteur consiste en la réactualisation et en la réhabilitation du précieux système spinoziste.



Lordon ne fait ainsi que répéter ce que Spinoza expliquait déjà à son époque : "L'homme n'est pas dans la nature comme un empire dans un empire". On ne change pas le monde "si on le veut". Tous les discours militants, écologiques, de responsabilisations individuelles rencontrent trois objections aux yeux de l'auteur : une objection théorique, empirique et sociologique. Par exemple, par quoi sont déterminés les comportements individuels ? "On voudrait que ce soit par la vertu - la vertu des individus à vouloir le bien (l'équité dans le café, la solidarité dans la microfinance et les robinets bien fermés). Mais cela est supposé la nativité de la vertu, hypothèse extrêmement aventureuse, vouée le plus souvent à ne soutenir que des paris perdus. Même Kant n'avait pas manqué de voir que dans le monde sensible régi par la causalité phénoménale, il n'y a de moralité qu'à concurrence des intérêts (passionnels) à la moralité."



En définitive, cet ouvrage est passionnant et fascinant. Il est passionnant car Frédéric Lordon prend le temps de développer ses points de vue, les explique de plusieurs façons, y revient à plusieurs reprises dans des termes différents. L'ensemble est d'une pédagogie et d'une cohérence exemplaires. Il est fascinant, car il est aux antipodes de la pensée humaniste néolibérale qui réside en chacun de nous de façon axiomatique. L'écrit laisse derrière lui des certitudes en miettes, de nouveaux savoirs et une interrogation...



Cette interrogation est la suivante : Frédéric Lordon a-t-il raison de postuler avec autant de virulence l'inexistence du libre-arbitre ? Il est vrai que neurologues, sociologues, philosophes et autres s'accordent de plus en plus à rejeter l'humanisme cartésien et à donner raison au déterminisme spinoziste. Des expériences scientifiques vont en ce sens. Cependant, l'économiste n'explique presque jamais les raisons formelles qui peuvent laisser penser que le libre arbitre n'est qu'une illusion moderne. C'est l'unique partie manquante au livre. Quels sont les débats en vigueur au sujet du libre-arbitre ? Frédéric Lordon part-il d'un déterminisme extrême avéré par les sciences ou bien s'agit-il d'une simple hypothèse ou encore est-ce un sujet actuellement débattu par les chercheurs ? L'hypothèse du compatibilisme (combinaison du libre arbitre et du déterminisme) est-elle à rejeter aux oubliettes ? Ces questions sans réponse constituent l'unique absence du libre. Cependant, c'est avec un certain sentiment d'angoisse existentielle que se termine la lecture de cet ouvrage. Preuve que l'iconoclasme est réel.
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Capitalisme, désir et servitude

Enfin ! J’ai enfin terminé ce petit bouquin d’à peine plus de 200 pages qui m’a pourtant donné du fil à retordre. Il faut dire que je ne lis pas vite (c’est en forgeant…) et que l’emploi de latinisme à tout bout-de-champs m’a contraint à des arrêts au stand Internet régulièrement...



On connait tous Marx – dans les grandes lignes – ou plutôt, on croit connaître. En revanche, pour Spinoza, c’est une autre histoire, malgré les cours de Philo de Terminale. J’ai donc été très agréablement surpris d’en apprendre plus sur l’œuvre du personnage, à tel point que je vais surement me faire L’Ethique et Traité Politique très prochainement. En cela déjà, on peut féliciter Lordon, qui, non content de présenter et d’utiliser les concepts du penseur, arrive à donner l’envie d’en savoir plus tant cet esprit était d’une évidente clairvoyance. Bref.



Capitalisme, Désir et Servitude (CDS en abrégé). Comme toujours avec Lordon, chaque mot est à sa place.



Sous l’œil aiguisé de la philosophie de Spinoza, Lordon se propose de reprendre l’analyse du Capitalisme de Marx en mettant à jour à la fois les évolutions de société/paradigmes, ainsi que certaines faiblesses du modèle communiste.

Toute la première partie du livre vise à présenter les différents concepts à l’œuvre : passion, conatus, affects (joyeux/tristes), désir-maître… et d’en expliciter les articulations avec une démarche rigoureuse, quasi « géométrique », qui ne sera évidemment pas sans clin d’œil à la méthode mise en œuvre par Spinoza dans l’Ethique.

En seconde partie, maintenant que le Désir et la Servitude sont correctement définies, on entre dans le détail de l’analyse des interactions passionnelle avec le capitalisme (et principalement son prisme néo-libéral). Lordon y développe les structures et les mécanismes qui autorise au Capital son emprise sur la masse, avec une rigueur qui n’a rien à envier aux Sciences dures.

Enfin la dernière partie s’attarde plus sur l’aspect concret d’une théorie idéologique, entre critique de certains pans du Marxisme dans leurs lacunes et définition d’alternatives réalisables (non-utopiques) à notre schéma actuel de société.



Une lecture que j’ai beaucoup apprécié. J’ai pris l’habitude de stabiloter/annoter toutes mes lectures « techniques » et CDS est un des plus « jaunes fluo » de ma bibilothèque, preuve à la fois d’une certaine exhaustivité contenue dans un texte concis où, comme je le disais, chaque mot est à sa place.



J’y reviendrai très certainement, tant le sujet est traité sérieusement et complètement.



P.S. : A ne pas conseiller pour des "novices dans le domaine". Une certaine culture Economique et Philosophique est tout de meme nécessaire pour la manipulation des concepts repris/présentés dans ce livre.

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Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises..

« La finance ressuscite à intervalles réguliers le rêve de vaincre sa pesanteur à elle : gagner plus à risque constant, ou risquer moins à rentabilité égale. »



Le propos de l’auteur est centré sur la crise financière et la nécessaire confrontation à la technique « la critique radicale est d’emblée préjugée illégitime quand bien même les événements ne cessent de lui donner raison. Surmonter cet obstacle exige de l’analyse critique qu’elle ne le cède en rien dans la technicité, alors que ce registre menace de l’éloigner de ceux à qui elle voudrait s’adresser en priorité. »



Et cet usage de la technique prépare son propre dépassement et « n’est pas autre chose que le prix à payer pour mieux accéder à un discours politique. »



Avec brio et humour féroce, Frédéric Lordon analyse en détail les mécanismes et les ingrédients de l’aveuglement de « la concurrence et la cupidité », le « fléau de l’innovation financière », « les effets catalytiques du moment de vérité » sans oublier « L’État, sauveteur pris en otage ».



Un par un, l’auteur démonte les mécanos financiers, décrypte les produits élaborés par les rapaces modernes, montre l’insanité de la titrisation itérative comme parade clownesque au risque et facteur principal de sa généralisation, les fausses promesses des dérivés de crédit, le mensonge collectif sur liquidité permanente, le crédit aux ménages comme drogue dure occultant la baisse de la part des salaires dans le partage des richesses, etc.



A juste titre, l’auteur en déduit qu’il faut « tout changer !»



Les propositions avancées en fin d’ouvrage me semblent plus discutables. Sans nier leur pertinence, il me semble que les réponses devraient être articulées aux propositions sociales et politiques qui tentent de répondre à la crise systémique du mode de production capitaliste.



Quoiqu’il en soit, le livre de Frédéric Lordon est une œuvre salutaire et plus que nécessaire pour comprendre les mécanismes de la pagaille actuelle. Loin des discours convenus, avec une grande pédagogie, l’auteur nous permet d’accéder au concret derrière les brumes, les fantasmes et le délabrement de la pensée néolibérale.



« La déréglementation financière du milieu des années 1980 restera au total comme un cas d’école de l’ignorance crasse des enseignements de l’histoire et de la théorie économique la plus éclairée. »
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Figures du communisme

[Extrait de l'article "TUGPÉUA #27"]



On aura tout essayé. Le capitalisme dérégulé se heurte aux impératifs sociaux et écologiques, même si ses défenseurs considèrent qu’il les résoudra à long terme. Le réguler semble au mieux un équilibre précaire, au pire une chimère, puisque le cœur de ce système économique (accumuler toujours plus de ressources pour produire toujours plus de biens) est par nature incompatible avec une économie que l’on pourrait modérer. En sortir n’a jamais véritablement été réussi, et presque toutes les tentatives se sont soldées par des dictatures et autres joyeusetés. Frédéric Lordon s’y essaie pourtant. Comment bâtir un monde post-capitaliste autrement que par l’autorité ? Quel modèle de société proposer après une révolution aussi considérable qu’un changement de système économique ? Quelles aides mettre en place, et comment s’assurer que chacun contribue à la société en retour ?

On ne trouve pas de vue d’ensemble, mais plutôt des bouts de réponses dans son dernier livre, Figures du communisme. Difficile par exemple de savoir comment arrivera la révolution, ou comment la rendre la moins violente possible (car il y aura de la violence, ne serait-ce que de la part de l’ordre en place qui veut se défendre) ; mais il esquisse différentes idées : le salaire à vie de Bernard Friot, la convergence des luttes marxistes et de celles progressistes (voire intersectionnelles ?), des archipels de petites communautés communistes en attendant un changement global. Le style oscille entre langage technique et argot sardonique, le genre entre essai politique, philosophique, économique et pamphlet. On adore ou on déteste. Ça n’en est pas moins une lecture extrêmement riche et prenante, qui ferait un joli plus à votre culture : politique, militante… voire même littéraire.
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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Vivre sans ? Institutions, police, travail,..

Du gros Lordon, 'faut aimé son phrasé d'universitaire over référencé (Le chapitre philosophie de l'antipolitique étant le plus pointu à lire).

Confrontation de l'imaginaire du "vivre sans", propre aux milieux libertaires et autonomistes au terrain du réel et aux idées marxiste révolutionnaire de notre ami spinoziste.

Très riche en réflexions pertinentes, j'ai trouvé la critique juste et plus encourageante que dissuasive pour celleux qui travaille à l'irruption du monde d'après dans ces voies(ZAD, Lip etc...).

Par ailleurs ils rejoint complètement l'esprit des publications de la fabrique, appuyant bien sur le fait que nos dirigeants et tenants de la sacro sainte économie mondialo-financière ne se laisserons pas faire et qu'il faudra de façon sûr en passer par la force pour basculer vers une société désirable et viable.
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