Le Petit livre de la marche
Gaële de la Brosse
Salvator, (février 2019)
Dans la société contemporaine, la marche revient à la mode comme une nécessité humaine, mais aussi spirituelle. L'auteure développe le sens de cette activité proche de la méditation et donne la parole à de grands marcheurs qui partagent leur expérience. © Electre 2019
Le pèlerinage est ce nécessaire bouleversement qui rend l'être entier disponible. Son entreprise le hisse vers une autre dimension, symbolisée par le cercle qu'il dessine sur la terre...
Une vocation livrée au risque du chemin et au hasard des rencontres, placée sous le signe de l'abandon et du renoncement. Ne s'agit-il pas de s'alléger afin de se préparer au dépouillement final... Le pèlerin revient différent. Au rythme lent de la marche, il a désappris ce qu'on lui a enseigné. Puis il a commencé à recueillir l'écho du chemin : un message venu du fond des âges, reflet d'une sagesse ancestrale.
Marqué par [son] éveil, le pèlerin ne s’arrêtera pas en si bon chemin : il revient pour mieux repartir. Tant qu’il n’a pas trouvé sa véritable demeure, il reprend la route. À l’instar de saint Benoît Joseph Labre, errant de sanctuaire en sanctuaire, ou des « fols en Christ » en Russie, nombreux sont nos contemporains qui enchaînent les pèlerinages. On les appelle « les pèlerins multirécidivistes ». Croient-ils que, comme l’affirme une tradition, chaque pèlerinage rapproche du but final, la Jérusalem céleste, ce Paradis qui se manifestera à la fin des temps ? Souhaitent-ils secrètement finir leur vie en chemin ? Après son deuxième pèlerinage à Chartres, Charles Péguy écrivait : « Ce serait beau de mourir sur une route et d’aller au Ciel tout d’un coup. » Et Humbert Jacomet cite les paroles d’un prêtre à des jeunes qui voulaient le suivre : « Nous partons à Saint-Jacques pour mourir. » La métaphore est belle, tout autant que le rituel initiatique qui clôt le pèlerinage, au cap Finisterre. Là, le jacquet brûle ses vêtements encore tout maculés de la poussière du chemin. Par cet acte symbolique, le vieil homme laisse place à l’homme nouveau. Si le pèlerinage a partie liée avec la mort, c’est donc parce qu’elle est une étape nécessaire vers la renaissance, vers un nouveau commencement.
Chaque horizon est une promesse, chaque pas est une victoire. L’essentiel de la vie est là, dans la lumière des chemins, dans la pénombre des sanctuaires. Alors, en route !
Il faut mettre en garde les touristes, les vrais, ceux qui partent pour le trek et la découverte, contre toute tentation de pratiquer un humanitaire sauvage. Pensez toujours que vous allez repartir. Que deviendra demain, dans une semaine, dans un an, cet enfant que l’on a mis, imprudemment, sous un antibiotique de dernière génération tiré au hasard d’une trousse de secours ? La vraie générosité n’est pas toujours d’agir, s’abstenir, en tout cas se limiter est parfois préférable. Aider des structures de soin locales est moins gratifiant, mais plus utile que de jouer au Grand docteur Blanc. Albert Schweitzer n’était pas un touriste…
Féconde pour la prière et la méditation, la marche l'est aussi pour la poésie.
En me promenant sur le port finistérien de Kersanton, proche de chez moi, je remarque un bateau plus gracieux, plus élancé́, plus aérien que les autres. Je m’en approche, j’en fais le tour et je découvre finalement son nom, élégamment inscrit en lettres rouges : Vent d’anges. « Les anges sont taquins ! » plaisante Marie-Édith, une amie à qui je m’étais empressée d’envoyer la photo de ce navire béni des dieux.
Lorsque j’ai effectué mon premier Camino francés en 1988, il n’y avait pas de gîte à Foncebadón. Notre guide (le « Bernès ») indiquait : « Abri possible dans une des maisons abandonnées. » En réalité, dans ce paysage désolé, difficile de trouver une toiture couvrant les quelques pans de murs écroulés. Un vrai village fantôme ! Cette vision apocalyptique était accentuée par un ciel d’orage et par l’allure des seuls habitants que nous rencontrâmes : deux gros chiens arborant des colliers à pointes, c’est-à-dire des colliers anti-loups. Cette région, expliquaient les guides, est en effet l’un des derniers refuges du Canis lupus signatus, nom savant du loup ibérique. Autant vous dire que notre nuit à la belle étoile fut plutôt agitée… À l’heure où je rédige ces lignes, soit exactement trente ans après ce pèlerinage, je lis dans le récit de Shirley MacLaine : « Les chiens de Foncebadón représentaient pour moi la seule vraie menace du chemin de Compostelle. J’étais terrifiée. » Mais c’est sans doute là le seul point commun que je partage avec l’actrice américaine !
Les mouvements de foule, si faciles à récupérer et à manipuler, me font peur.
Si le pèlerin a retrouvé sa vigueur, c’est parce qu’il répond à la quête essentielle de l’homme. Il invite à se rapprocher de la nature, que les citadins ont un peu oubliée. Il permet de se remettre en mouvement, alors que nous sommes de plus en plus sédentaires. Il nous réapprend la lenteur dans ce monde saturé de vitesse.
Il est plus confortable de suivre un parcours tout tracé que de défricher son propre chemin.