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Citations de Gaëlle Bélem (40)


C’est peut-être cela l’amour ; vingt-trente ans, on dessine l’être idéal de pied en cap, la couleur de ses yeux, l’arrondi de ses mains, son tempérament, sa famille, son pays, son gagne-pain – on ne transige pas, tout lui, tout elle, sinon rien – pour finalement s’amouracher de l’absolu contraire et implorer le pardon de l’univers d’avoir jadis été si couillon.
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Dans toutes les capitales d’Europe s’ouvrent des troquets où les buveurs s’agglutinent devant une tasse emplie d’un marigot noir corbeau qu’ils appellent chocolat chaud à la vanille ou café à la vanille. Sur les chemins en terre battue qui mènent au centre des villes, des calèches conduites par des épiciers proposent une gousse noire longue de quinze à vingt-quatre centimètres qui, promettent-ils, est de l’or en bouche. À Paris on met la gousse de vanille d’Edmond dans de la meringue, à Genève dans du lait, à Londres du pudding, à Palerme de l’huile, en Inde du thé, à Bourbon du rhum, à la Martinique du sucre, en Syrie du nougat, en Espagne le crémeux gâteau de San Marcos, à Lisbonne les petits flans que tous appellent pasteis de nata.
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Pour le moment, Edmond n’est qu’un inventeur sans brevet grâce à qui l’île Bourbon devient le premier producteur du fruit le plus rare du monde entier. En 1848, l’île devenue La Réunion exporte quelques dizaines de kilos de vanille qui deviennent deux cents au début des années 1850, trois tonnes en 1858, deux cents tonnes en 1898. À la fin du XIXe siècle, la vanille rapporte autant que le sucre. Elle rafle même le grand prix de l’Exposition universelle de 1867. Environ quatre mille hectares – soit huit mille quatre cents terrains de football – sont plantés en vanille.
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Il s’appelle Edmond, il a douze ans. Dans un XIXe siècle fade comme la pluie, où le peuple mange utile, loin de tout souci de goût, de présentation ou de parfum des aliments, Edmond vient de produire une nouvelle épice. Dans un siècle donc où on n’a l’habitude que de deux saveurs, l’amer des margozes et l’acide du citron-galet, où le sucre de canne est rare, dans un siècle disions-nous où la patate douce, le pain et les aigreurs d’estomac triomphent, lui Edmond, douze ans, apporte au monde occidental une saveur nouvelle, un arôme oublié depuis le XVIe siècle. L’arôme vanille.
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Depuis qu’Edmond a reçu le baptême des mains du père Dalmond, il a officiellement remplacé le Mulungu de ses frères esclaves par un certain Jésus attaché à une croix comme à un tuteur et que Ferréol considère comme le Père tout-puissant, au-dessus de Pamphile, au-dessus de son arrière-grand-père Martin Joseph. En secret Edmond prie à tout vent et fait un bouillon de sa double culture catholique et makondé, créole et zoreil. Le ciel est trop grand pour abriter un seul trône, la vie trop âpre pour n’amadouer qu’une idole.
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Les premiers Bellier de Bourbon aimèrent l’est de la colonie où le sol était humide, les rendements meilleurs, la vie pas encore chienne.
On était alors au XVIIIe , un siècle presque doré où la terre appartenait au premier qui s’y établissait. Un colon fichait un piquet en terre, criait à pleins poumons « ceci est à moi », et ceci c’est-à-dire tout un tas d’hectares était à lui. À charge au nouveau propriétaire de les cultiver avec la bénédiction de la Compagnie des Indes.
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Volcy-Focard est impressionné par les connaissances de ce jeune Cafre naturaliste d’à peine douze ans. Vingt ans après, il vante encore son talent à tous ses amis, parlant d’un botaniste africain analphabète qui ne cause que le créole mais désigne les plantes dans le jargon scientifique des Linné et Jussieu. Edmond reste toute sa vie fier et heureux de ce témoignage.
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Durant quelques semaines, les rares journaux disponibles s’ouvrent sur cette découverte inédite. Dans L’Indicateur colonial, les autres feuilles hebdomadaires de l’Île Bourbon, la fraîcheur des varangues, l’effervescence des marchés, on parle de la pollinisation manuelle de la vanille. Edmond, un petit créole de douze ans à peine, vient de trouver l’ingénieux moyen de féconder les fleurs du vanillier à la main après s’être inspiré des citrouilles. C’est une nouvelle épice qui vaudrait bien plus que le café, le sucre et même l’or.
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Si Charles Morren dit vrai, les fleurs de vanille sont les fleurs les plus éphémères qu’Edmond, Ferréol et même Isidore connaissent. Éphémères parce qu’elles se fanent au bout d’une seule journée. Au moins trois années de patience avant qu’un vanillier donne ses premières fleurs. Trois mois et demi, septembre à décembre, pendant lesquels la vanille est en fleur. Une durée de vie d’une seule journée pour chaque fleur soit à peine douze heures pour la féconder. Et encore, s’il fait très chaud, elle se referme et meurt avant la fin de l’après-midi. Au moins six semaines à attendre, si la fécondation est réussie, pour que la gousse de vanille atteigne sa taille maximale. Neuf mois de plus pour qu’elle soit mûre et prête à être cueillie. Au total, près d’un an entre la pollinisation et la récolte du fruit mûr. Isidore se dit qu’en terme de merdier végétal, Edmond peut difficilement trouver pire, Edmond réplique qu’en matière de fruit rare, il peut difficilement trouver mieux.
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1529. Cortés prend le chemin du retour. En longeant les potagers flottants de sa nouvelle Espagne, il arrache quelques boutures de vanille pleines de fleurs. Chose promise, chose due. Il avance au milieu des oiseaux-mouches, des coccinelles et des abeilles sans se douter que celles-ci sont les gardiennes d’un très grand secret. C’est une abeille qui féconde la vanille. Sans elle, point de fruit. Tandis que les Aztèques emportent dans leur tombe le secret de leur plante sacrée, Cortés écrase d’un coup de pied une saleté d’abeille qui fait mine de lui barrer la route. Sous son bras, une caisse emplie de gousses de vanille noir de jais, un peu grasses, à la fois souples et brillantes. Dans l’autre main, des lianes de vanille aux feuilles encore vertes. Il sourit déjà aux pesos que cette épice va lui rapporter, à la renommée qui s’attachera à son nom.
Debout sur le pont du bateau, il pense une dernière fois à ces barbares d’Aztèques si réfractaires au christianisme. À son second qui demande que faire des derniers survivants de cette civilisation crépusculaire, Cortés par l’entremise d’Edmond qui connaît par cœur cette histoire répond simplement :
— Massacrez-moi ces égorgeurs ! Et cap sur Séville.
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«  Dix heures trente. On se serrait fort . Onze heures . On était invincible. Douze heures . Déjà!
Saute, embrasse, rit, mange. Douze heures trente. Pas de fatigue, pas faim, pas de sieste , pas soif. Pas de doute. Que de grosses louchées de bonheur .
Que des lampées de douceur ! Reprendrez- vous de cette extase ? Qu’est - ce que cela fait d’être autant aimé ?
Toi, dis- le moi! Non! Toi! Oh non! Toi! J’irai où tu iras.
Tu iras où j’irai ?
Nous irons là tous les deux. . Toi, nous, nous, toi .
Ça ne voulait plus finir » ,.....
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Il commence à comprendre. Sur la fleur de vanille, un obstacle naturel, comme une petite porte, le rostellum, sépare l'organe mâle de l'organe femelle. Cette fine membrane, ce délicat hymen protecteur, empêche toute fécondation. A l'aide d'un éclat de bambou, Edmond soulève cet opercule. Ce mince capuchon écarté, il met l'étamine, organe mâle rempli de pollen, au contact de l'organe femelle. La fleur de vanillier est fécondée. Cette fois est la bonne, il le sait. Et le nez couvert de pollen, Edmond pousse un cri de savant : j'ai trouvé.
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«  Je ne saurais vivre là où les tempêtes n’éclatent jamais car dans leur sillage vient la beauté » ...
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Tenir un snack, c’est comme être médecin. On ne s’occupe pas que de l’estomac mais de tout le reste : coeur, angoisse, dépendance. Entre deux louches de gros pois, il fallait donc écouter les confidences éhontées, les blagues pas si drôles et les demandes pitoyables.
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Il n'a pas pleuré devant la porte en fer que lui a ouverte en grand le guichetier de la prison. Le garde-chiourme ne l'a pas maltraité. On a la politesse de le laisser en vie puisqu'il est déjà mort.
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Les esclaves entendent des cris de bête malade, s'imaginent que leur maître va mourir, en rient de bonheur. Parce que le monde est ainsi. Qu'une gamelle à moitié pleine et une chaîne plus longue ne font pas la liberté.
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De leur nuit de noces,aucune rumeur ne reste sinon qu'au petit matin le Christ en croix accroché au dessus du lit fut surpris la tête en bas.
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6. « Jusqu'à sa mort, Volcy-Focard ne cessera de parler de son sort aux vanillards de Bourbon et de demander que justice soit faite. "Est-ce que nos cultivateurs de vanilliers n'accompliraient pas un acte de réparation, s'ils prélevaient au profit d'Edmond Albius, sur la prochaine récolte, chacun quelques gousses de vanille ? Il n'en faudrait pas une grande quantité pour lui procurer, dans les Hauts de Sainte-Suzanne où il habite, un toit de paille et quelques gaulettes de terres à cultiver."
Il semblerait que certains vanillards pensent oui, mais que la plupart disent non. » (pp. 208-209)
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Edmond bine, arrose, déverse des sacs de graines plus grands que lui, en avale quelques-unes, manque de finir dans une tombe. Il découvre le sens des mots toxique, marcotte et pollen, se dit que tout compte fait s'il y a bien six autres vies, dans l'une d'elles, il voudrait être abeille, chenille ou branche de verveine.
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Ils n’ont pas fait tous ces sacrifices, cessé de roter à table, donné des précepteurs à leurs petiots, surmonté toutes les crises agricoles, investi dans des usines, une série de mariages arrangés, une paire de bottes à pompon, et une trentaine de Nègres, pour que l’un d’entre eux veuille être botaniste ou grand propriétaire comme eux, au prétexte que ses ancêtres auraient souffert aussi. Non, non, ça ne se peut définitivement pas. Ils ne se sont pas appliqués à dresser ces immenses frontières de lois, de codes, de règles de bonnes manières, cette foultitude de barricades, de barbelés invisibles entre chaque clan, riches et pauvres, chaque couleur, blanc et noir, chaque catégorie, Gros Blancs et Petits Blancs, à tracer une verticale des races et des couleurs à renfort d’articles et d’habitudes pour qu’un Edmond du haut de ses sept ans de fièvre alpiniste souhaite grimper plus haut que son cul et être botaniste. Comme si, dans la vie, il suffisait de vouloir quelque chose pour l’obtenir ! Demain qu’est-ce qu’ils demanderaient ces bois-brûlés : la liberté, l’égalité ? Non, non, ça ne se peut vraiment pas.
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