Une fois qu'on a vu dans Oz l'entreprise de mise à nu des mécanismes de la machine panoptique qui serait celle en vérité de notre société de surveillance, il faut ajouter tout de suite une chose : ce que ça montre, c'est que ça ne marche pas. Et c'est peu dire. Dans cet univers de verre, où tout est supposé être sous le regard, *under control,*on ne compte pas les meurtres les plus atroces, les agressions sanglantes, les règlements de comptes, les trafics. Le degré de violence du moindre épisode de la série - d'une violence jamais complaisante, juste suffocante - est tel que la série a en effet quelque chose d'insoutenable. Si Oz est le modèle de la société, alors il faut se rendre à l'évidence : cette société est catastrophique. C'est-à-dire qu'une des grandeurs de cette série est de construire l'utopie d'un quartier de sécurité comme l'utopie de notre société, et de dénoncer ainsi la société de surveillance en train de naître en ce qu'elle instaure un système carcéral de la société, mais aussi d'y ajouter immédiatement ce fait, que le Panopticon n'a jamais fonctionné. Ça n'a pas fonctionné dans les prisons, ça ne saurait fonctionner dans la société. (...) Mais la série fait surgir une autre vérité et un second renversement plus violent encore. Que le problème de la prison moderne n'est pas strictement le problème des prisons, que la seule question n'est pas de savoir construire des prisons qui soient des lieux de vie sous surveillance. La question de la société moderne est que c'est la vie libre qui tend à s'organiser toujours plus sur le modèle de la prison moderne. C'est la société qui est organisée en un lieu de vie surveillé. C'est la vie qui est aujourd'hui sous surveillance.
« La série, œuvre fragmentaire, est la prise en acte de la dissolution de la totalité. En cela elle est forme de crise.
Fragmentation de la société, précarité des identités comme des relations, étoilement des solitudes mises en réseau, voilà ce qui caractérise notre monde. La réflexion sur la série alors s’impose, parce qu’elle est finalement structurée comme le monde, ou déstructurée comme lui. La série est homologue au monde, elle est un analogon du monde. Symptôme d’un monde-symptôme.
Récit sériel d'un monde fragmenté, en crise sérielle, la série est la forme de la crise illimitée qu'est le monde, de la fragmentation du monde. En cela, la série serait en elle-même la conscience de la crise du monde, conscience critique de la précarité du monde, de la sienne propre aussi.
D'où pourrait se tirer que la série, c’est le monde. »
« La jouissance [au sens lacanien] est sérielle et les séries racontent la série des modes de jouissance.
Ouvrant sur la question des jouissances, c’est le moment de redire que les séries ouvrent sur l’illimité. Et c'est pourquoi les femmes tendent à en devenir le centre de gravité. »
« Les nouvelles sortes de filles qui apparaissent au XXIe siècle et qu’on voit dans les séries ne sont pas des rebelles, ni révolutionnaires ni révoltées. Ce sont des femmes affranchies. En vérité ce sont les filles d’après la chute de la maison pères, les filles d’après la révolution. […] Elles sont insoumises, sans rien qui les attache, au point d’être parfois sans attache, ce qui ne les laisse pas tant libres que seules, égarées parfois. Je dirais que ces nouvelles femmes qu’on voit dans les séries ne sont pas des femmes dans l’exaltation de leur liberté, ce sont des femmes de crise, du temps de la crise, et en crise,
des femmes critiques.
[…]
Les femmes du XXIe siècle, les déglingueuses, sont insoumises. Ce sont des femmes de crise, en crise. Ce sont des femmes-symptômes, symptômes de crise, elles sont symptômes du monde en crise. C’est-à-dire d’un monde où rien ne fait plus limite. C’est ce qui appelle le regard sur la série qui
est la forme logique du pas-tout, de l’illimité. »