Par l'autrice & un musicien mystère
Rim Battal propose une lecture performée de x et excès avec un grand musicien jazz et pop dont le nom sera révélé lors de la soirée. En ouverture Rim Battal invite cinq poétesses, Alix Baume, Camille Pimenta, Charlene Fontana, Esther Haberland, Virginie Sebeoun, qu'elle a accompagnées lors d'un programme de mentorat intitulé « Devenir poète.sse ». Cinq brèves lectures avant de plonger dans x et excès. Rim Battal y explore les zones d'ombre de l'ère numérique où l'industrie du sexe a une place prépondérante. Comment sculpte-t-elle nos corps et notre rapport à l'autre ? Dans une langue inventive, Rim Battal s'attaque au discours dominant sur la sexualité, le couple et l'amour pour mieux en révéler les failles.
Ce faisant, elle ouvre un espace de réflexion sur l'art. de Cabanel à Mia Khalifa, de Samuel Beckett à Grisélidis Réal, elle tisse des liens entre poésie, pornographie et oeuvres plastiques. Et dévoile ce que notre époque a de singulier et d'universel.
À lire Rim Battal, x et excès, Castor Astral, 2024 L'eau du bain, coll. « Poche poésie », Castor Astral, 2024.
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Bourgeois vous puez le cadavre
Prenez garde au Pauvre et au Fou
Que vous mettez sous les verrous
Nous vous ferons sauter vos ventres
Et vos intérieurs de voitures
Dans vos palais où nul ne rentre
Sans être de vos serviteurs
Vous dévorerez vos ordures
Vous mangerez vos propres cendres
Vous boirez le sang de vos veines
Comme Celui que nul ne navre
Bourgeois prenez garde à la haine
Allumée au pied des autels
Où vous sacrifiez à la peur
Prenez garde à nos voix humaines
Quand toute vie aura cessé
Quand les statues aux carrefours
D'un monde vide et calciné
Répondront seules à l'appel
Des siècles couchés sous la terre
Il y aura le premier jour
À la naissance du mystère
Un chant reniant la défaite
L'Espoir comme un râle d'amour
Brûlant la gorge d'un poète
(Extrait de Cantique de l'espoir, 1964 )
BLEU
Le crépuscule est blond au front des arbres noirs
Filigrane mouvant dans la clarté du soir
Méduse abandonnée sur un lit d'hôpital
Le ressac de ma vie se brise dans ma gorge
Les nuages vautours vont dévorer l'espace
Où je ne serai plus qu'un flocon de sommeil
Je vais donc m'effacer dans la beauté des feuilles
Dans la férocité de l'été cannibale
Dans le varech spongieux du ventre de la terre
Pourriture broyée dans la dernière forge
Un océan de fleurs jaillira de mes cendres
Ballet nacré des lys au parfum onirique
Hortensias au sang bleu, roses échevelées
Chardons porteurs d'épines aux lames meurtrières
Dahlias pourpres, œillets blancs, giroflées d'or brûlé
Tournesols lourds de graines défiant le soleil
Qu'on laisse sur ma tombe une vasque de pierre
Où les oiseaux viendront boire dans la lumière
Une eau si pure qu'elle aura le bleu du ciel.
( Clinique genevoise de Montana, le 31 mai 2002 )
MORPHINE
Mes Mains se sont posées inertes
Comme des oiseaux aux ailes ouvertes
Sur l'oreiller de ma douleur
L'aube limpide est annoncée
Rien n'est encore dit sur les fleurs
On attend que la graminée
Ouvre les lèvres de son cœur
La perfusion coule en douceur
Dans mes veines catapultées
Rien n'est encore dit sur le jour
Je suis livrée et délivrée
Par la morsure des acides
Qui m'auront déflagré le ventre
Toute la nuit de mes tortures
Silence il n'y a rien à dire
Toute la nuit de mes brûlures
La morphine est mon seul recours
Mon seul baiser mon seul amour
L'axe qui me tient en mon centre
Mes ailes ma splendeur mon guide
Mes floraisons mes chevauchées
La Galaxie de mon Vide
Éblouissante et satinée
Glisse-toi petite Morphine
Comme une blanche et douce hermine
Dans le sel des veines brûlées
Par la soif et le désespoir
De mes boyaux troués de noir
Rends-moi ma vie déchiquetée
Viens lécher ma chair affamée
Ta morsure soit mon espoir
L'apothéose du Printemps
La fleur de toutes mes années
Et mon dernier couronnement.
( CESCO, Genève, le 8 mai 2005, dédié aux infirmières et infirmiers du Cesco )
"Ma liberté m'éclate dans les doigts comme une lourde grenade pleine de fric."
Aujourd'hui (extrait)
(...)
Aujourd'hui
Je brule et je me love au cœur du jeu astral
Et je meurs et renais sans fin dans ton amour
Car demain,
Le silence aura pris ses quartiers dans nos corps
Demain on nous vendra demain on nous pendra
On écrasera nos enfants contre les murs
Et demain
Nous ne serons plus que poussière et détritus
Dans l'éclatement fulgurant de l'univers.
Genève, 1964
Le chant des prostituées
Je te donne mon corps
Pour ton sale argent
Je suis jeune comme un astre et je brille
Tu es vieux et ressemble à une bête.
(...)
tu pourris lentement dans la graisse
En ouvrant ta gueule avec peine
Comme un poisson asphyxié.
Comme un mollusque écrasé
Ton ventre suant dans ses replis
Et lorsque je ferme les yeux
Afin que je t'oublie
En cette heure si sombre
Je te souhaite la mort.
(...)
Extrait de la préface de Nancy Huston :
Selon les vœux qu’elle avait formulé à maintes reprises avant de mourir, sa pierre tombale porte l’inscription suivante :
GRISELIDIS RÉAL
ÉCRIVAIN - PEINTRE - PROSTITUÉE
1929 - 2005
À cette liste déjà peu banale, il était temps, plus que temps, d’ajouter la mention de son quatrième métier, celui qui la définit peut-être le mieux : Poète.
Le silence
est encore
la forme la plus noble
du désespoir.
A pas de louves, à pas de tigresses et d’oiseaux, nous marcherons sur la lune s’il le faut, nous gagnerons l’espace qui nous revient, à nous qui sommes le baume sur les blessures, et l’eau dans le désert, parfumées, étincelantes, offertes et blessées, douces et violentes, femmes et magiciennes, princesses de nos sens et du désir des hommes.
De Profondis
J’ai tant aimé ton corps
Qu’il sera comme un fleuve
Bruissant dans mes artères
J’ai tant aimé la source
Envoûtée de caresses
Brûlée de mes baisers
Faisant jaillir l’eau vive
De ton sexe
Dans ma bouche amoureuse
Que je n’aurai plus soif
D’un autre océan
Que ton sang
Et faim d’une autre chair
Que la tienne
Je ne serai brûlée
Par d’autre feu que tes mains
Qui m’ont laissée en cendres
Dans le désert
Des nuits inhabitées.
Genève, le 8 février 1989