Des cadeaux, des cadeaux, des cadeaux, impossible de me concentrer sur autre chose. Je pense cadeaux, je mange cadeaux, je respire cadeaux, je vois cadeaux. J'ai lancé le compte à rebours bien trop tôt, j'ai du bolduc plein les cheveux, y a plus un seul chocolat dans mon calendrier de l'Avent, on est à peine le 15 ...
Oh, que j'ai honte !
Oh, que j'aimerais avoir ne serait-ce qu'un tout petit bout de la spiritualité de ma mère que cet événement, pourtant répété chaque année au santon près, transporte. Et pour de bon, en plus. Mais comment elle fait ?
Moi, la naissance de Jésus glisse sur ma peau.
Tiens, quand j'aperçois les Rois mages, devinez quoi ? Je vois des galettes beurre-frangipane. Oh, que j'ai honte ...
Je suis restée chez Muriel une heure, puis deux, puis trois, à profiter de ma nouvelle liberté. A rien faire, quoi. Et pour moi, rien faire, c'était une vraie nouveauté, un truc génial, strictement interdit à la maison.
Il faut dire que ma mère donnait facilement dans la suractivité, comme si chaque minute de notre vie était la dernière. On enchaînait les performances sans relâche avec pour seul mot d'ordre : action.
A l'âge de six ans, j'avais déjà tricoté dix pulls tubes, confectionné plus de cinq robes à smocks, déroulé une bonne centaine de mètres de tricotin, fait cinquante mille fois le tour du jardin avec mon vélo, peint, tissé, sérigraphié tout ce qui me passait sous la main.
Alors vous pensez bien, ces trois heures, je les ai remplies, remplies jusqu'à la gueule, de rien, rien du tout, de vent.
Moi engluée dans cette petite bourgade de quatre mille habitants bourrée de commerçants, de saisonniers, de gens qui respirent pareil, pensent pareil.
De gens que la différence irrite.
De gens capables de m'apprendre "Ah ca ira, ca ira, les aristocrates à la lanterne ..." rien que pour se fendre la poire une demi-seconde.
Vous y avez pensé, maman ?
"Nan", bien sûr que "nan".
Moi j'ai pas pu ne pas y penser. J'ai composé, triché, menti pour faire partie de la troupe, j'avais pas le courage d'être différente, je voulais me fondre dans la masse. Ils étaient si nombreux, les autres.
Madame fume des Dunhiiill, ses ongles sont rouge sang, ses cheveux surgonflés, elle rit beaucoup, sa peau est dorée comme la croûte des croissants de la boulangerie de sa sœur qui se trouve juste en face.
Elle a l'éclat d'un bijou de chez Dior.
Moi engluée dans cette petite bourgade de quatre mille habitants bourrées de commerçants, de saisonniers, de gens qui respirent pareil, pensent pareil.
De gens que la différence irrite.
De gens capable de m’apprendre «Ah ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne…» rien que pour se fendre la poire une demi seconde.
Vous y avez pensé, maman?
«Nan», bien sûr que «nan».
Moi j’ai pas pu ne pas y penser. J’ai composé, triché,menti pour faire partie de la troupe, j ‘avais pas le courage d’être différente, je voulais me fondre dans la masse.
Ils étaient si nombreux les autres.
On n'a pas la télé.
Quand mes copines parlent du grand Michel Drucker, de Jacques Martin ou du sang-froid de l'inspecteur Derrick, j'aimerais disparaître.
Je connais personne, je suis au courant de rien.
C'est pas normal.
Sur la droite, y a un grand rideau en plastique gris ...
Qu'est-ce qu'elle nous cache, Mlle B. ? Un petit mari tout racorni ?
Une tripotée d'enfants adultérins ? Ses parents côte à côte plongés dans du formol ? Les femmes sanguinolentes de Barbe-Bleue ?
Allez savoir !
Mon problème, c’est que j’aime tout, j’adore tout, j’aime qu’on m’aime, je suis en manque de tout.
Dans ma famille, on est quatre filles. C’est pas compliqué, on divise tout par quatre, même l’amour de nos parents qui, par-dessus le marché, n’adorent que Dieu.
Non, maman, non j'ai rien de mieux à faire. Ce "guignol à paillettes", c'est ma passion, ma raison de vivre, alors je deviendrai Clodette, quitte à vous passer sur le corps.
j'ai adoré ce livre mais je soupçonne Jean Louis Fournier d'en être l'auteur.