Parce que la mission des femmes est de vous servir, de vous adorer sans discussion, d'écarter de vous la peine, le souci, l'ennui, ne le peuvent-elles plus faire quand elles pensent ?
Pour en revenir à nous, y a-t-il, au fond, rien de plus étrange que ce sentiment qui nous lie ? C'est vraiment sur cette question, que le psychologue délicat qu'est Bourget, devrait faire marcher son prochain roman, car nos lettres toutes décousues, se suivant à peine, n'en peuvent constituer un.
O joie d’aimer
« À Lucien .C'est à votre grande ombre ironique, o Lucien, que je dédie ce livre ,qui aurait bien pu être une pièce si les collaborateurs consentaient de temps en temps à s'entendre, si certains directeurs de théâtre daignaient, de loin en loin, accueillir un nouvel auteur, et si la Censure plus pudique à elle seule que tous vos Dieux réunis, ni ne croyait pas avoir à ménager, au mépris de toute joie littéraire, la pureté d'âme d’un public, hélas, déplorablement averti. »
« Il écouta avec une soumission apparente, et consenti à tout ce qu'Hélène voulut, sans aucune mauvaise foi, comptant sur le hasard pour faire naître l’heure propice qui la lui livrerait vaincue.
Trop épris pour raisonner l'étrangeté de ses sentiments, et pour lutter contre son désir comme il l'avait fait tout d'abord, avant sa première déclaration, il allait, poursuivant son but vers la réalisation de cet amour, sans réfléchir, presque sans hésiter, ainsi qu'un homme attiré par le gouffre, épouvantés mais séduit, s'apprête à s'y laisser choir
Cette fois l'attente transformait le caprice en passion ; ce n'était pas de son cœur qu’émanait cette force et cette persévérance, mais de la pureté d'âme d’Hélène et de sa résistance. Conscient de l'anomalie de la situation, du crime moral qu’il souhaitait commettre, il n'était pourtant ni cynique ni grossier, bien qu’au fond de tous ces raisonnements il conclut au droit d'aimer …
En somme les idées reçues, les lois mondaines l'impressionnaient encore assez pour le tenir en respect, donner ainsi à la pauvre femme l'assurance illusoire que près de lui elle ne courait aucun danger. »
Ah ! La misérable petite chose que les mots pour exprimer : je souffre ! Et quelles richesses les combinaisons harmoniques nous déversent pour chanter cette souffrance ! Un peu abstraites dites-vous ? Bien plus personnelle, bien unique, puisque nous n'avons pas de termes fixes pour dire cette souffrance. Si le public sent la douleur que nous avons mise dans nos chants, il dit : "C'est beau, je suis ému". Il ne dit pas : "c'est mon propre mal".
Vous n'avez pas une âme d'artiste ; ces âmes-là ne connaissent pas le découragement, elles demeurent éternellement combatives pour donner le jour aux idées qui dévorent leurs cerveaux et leurs cœurs, et c'est par coquetterie aussi bien que par orgueil qu'elles ne montrent pas les plaies que leur ont faites les ronces du chemin.
Que d'énergie déployée par chaque individu pour former cette chaîne étonnante qui se déroule de siècle en siècle et qui est l'humanité ! J'en suis comme anéantie quand je lis l'histoire générale, et me demande si c'est beau ou si c'est monstrueux, ce travail de chacun pour tous qui éternise la douleur humaine.
Mon ami, je vous baptise ma petite lueur. Je vous en étonnez pas outre mesure, et recevez ce baptême sans révolte, il ne vous entraînera à aucun effort, à aucune complication d'existence ; vous aurez le droit d'être une petite lueur nonchalante, une petite lueur fuyante, une petite lueur vacillante.
Comme tous les humains j'aime un peu faire souffrir, mais ce sentiment n'est une suavité que lorsqu'on peut d'un sourire, d'un geste, changer cette souffrance en joie. Ce n'est rien de faire couler des larmes s'il est permis - et doux - de les tarir sous des baisers.
Doit-on s'informer de la cause de la misère avant de la secourir ? C'est la misère et c'est assez.