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Critiques de Hernán Diaz (177)
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Trust

°°° rentrée littéraire 2023 # 23 °°°



« Benjamin Rask ayant bénéficié de presque tous les avantages depuis sa naissance, l'un des rares privilèges qui lui avaient été refusés était celui de connaître une ascension héroïque : son histoire n'était pas marquée par la résilience et la persévérance, ce n'était pas la légende d'une volonté inflexible se forgeant une glorieuse destinée à partir de simples vétilles. »



Ainsi démarre la première partie de Trust, pour raconter l'histoire d'un certain Benjamin Rask, magnat de Wall Street, qui maitrise rapidement les leviers de la finance pour transformer son héritage en fortune inimaginable lors du krach boursier de 1929, entre intuitions infaillibles et magie des mathématiques. Un conte moral sur les secrets des plus riches, une prose élégante, un petit air de pastiche de Francis Scott Fitzgerald et Edith Wharton.



Et puis arrivent les deuxième, troisième et quatrième parties dont je ne dirai rien de plus car l'immense plaisir de cet exaltant roman réside justement dans son imprévisibilité. Quatre narrateurs, styles, tons, destinataires, programmes résolument différents. Ces quatre sections sont en conversation chacune avec les autres. Ce qu'une passe sous silence, une autre le trompette, là où la suivante va apporter des nuances avant qu'une autre renverse la table. Des motifs à peine perceptibles de quelques phrases se reproduisent plus tard, mais renvoyant un écho bien différent.



Comme dans un polar, le lecteur doit analyser des récits contradictoires, éviter les faux-fuyants ou les faux-semblants et rechercher les indices pour cerner les secrets bien gardés de l'élite américaine, sans jamais que le vrai ne soit réellement clarifié. La formidable quatrième partie est câblée de pièges explosifs sous les yeux grands ouverts du lecteur qui se régale de tant de virtuosité. La complexité narrative, totalement maitrisée par Hernán Diaz, est très impressionnante, d'autant que cet irrésistible puzzle n'est jamais alambiqué.



Trust pourrait relever du brillant exercice de style à la Borgès, mais son ampleur va bien au-delà. L'obsession centrale du roman se porte sur les liens et similitudes entre le domaine financier et celui de la fiction, comme semblent l'indiquer les titres à la polysémie troublante, qui font entrer dans ces mondes fictifs glissants en empruntant aussi bien à la qualité morale de la confiance qu'à des arrangements financiers.



« L'argent est une marchandise fantastique. Vous ne pouvez pas manger ou porter de l'argent, mais il représente toute la nourriture et les vêtements du monde. C'est pourquoi c'est une fiction. »



L'argent comme la fiction permettent de tordre la réalité autour d'eux, modifient la perception du monde jusqu'à pouvoir l'infléchir. L'auteur déconstruit ainsi les mythes sur la puissance américaine ainsi que les ressorts du capitalisme moderne, tout en évoquant les rapports de classe ou homme-femme jusqu'au vertige.



Epoustouflant!
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Trust

J’ai découvert Hernán Diaz, auteur américain d’origine argentine, lors de la parution de son premier roman « Au Loin ». En nous contant l’étrange destin d’Häkan qui effectuait une traversée à rebours, c’est-à-dire vers l’Est, d’une Amérique que la civilisation n’avait pas encore transformée, « Au Loin » revisitait la face sombre du rêve américain. Roman linéaire à la structure narrative d’un classicisme absolu, ce premier opus de l’auteur séduisait le lecteur par l’omniprésence d’un imaginaire parfois étrange, où pointait l’influence des mystères de la littérature argentine.



Quatre ans plus tard, Hernán Diaz revient sur le devant de la scène, avec « Trust », son nouveau roman, auréolé du prix Pulitzer 2023. Un titre ambivalent qui évoque ironiquement la notion de confiance, et rappelle surtout qu’un Trust est une entreprise devenue gigantesque en rachetant d’autres entreprises plus modestes afin de dominer le marché.



La dissonance entre « Au Loin » et « Trust » est étonnante. Dissonance sur la forme tant ce nouvel opus nous propose une structure narrative élaborée, à des années-lumière de la simplicité rafraîchissante du premier roman de l’auteur. Dissonance sur le fond tant ce deuxième roman laisse peu de place à l’imaginaire, pour nous conter la destinée extrêmement documentée d’Andrew Bevel, figure archétypale du magnat de la finance du début du XXe siècle.



De la même manière qu’il y a des films à Oscar, il existe des romans destinés à obtenir le prix Pulitzer. En revisitant la financiarisation de l’économie américaine du début du siècle dernier et en donnant une épaisseur inattendue aux personnages féminins, Hernán Diaz donne à son roman une tonalité résolument moderne. C’est cependant la maestria d’une structure narrative complexe, audacieuse et enlevée qui a sans doute permis à « Trust » de remporter le prix tant convoité.



L’ouvrage est construit à la manière d’un puzzle composé de quatre pièces, qui s’emboîtent parfaitement pour composer une fresque cohérente, que le lecteur ne comprend qu’à la fin du roman, lorsque la dernière partie vient compléter le puzzle encore incertain formé par les trois premières parties.



La première partie du roman est elle-même un roman, dénommé « Obligations » composé par un certain Harold Vanner, qui retrace l’ascension fulgurante de Benjamin Rask, un financier né à la fin du XIXe siècle qui fit fortune au début du XXe siècle. Un génie mathématique bien né, qui décide de liquider l’empire industriel de ses aïeux pour l’investir en bourse. Un homme aux intuitions étonnantes, qui embauche une armée de mathématiciens pour manipuler les instruments de plus en plus complexes qui se mettent en place. Un homme aussi effacé qu’organisé, un homme dont la fortune prend une dimension phénoménale lors du krach de 1929 qu’il a largement anticipé en vendant à découvert des volumes colossaux puis en les rachetant pour une poignée de pain. Un capitaliste, qui croit dur comme fer à la théorie d’Adam Smith : la recherche de son propre profit est un bénéfice pour la société. Benjamin Rask épouse enfin Helen Brevoort, une femme supérieurement intelligente, doublée d’une mélomane sincère qui finance avec l’aide des fonds de son mari une fondation philanthrope consacrée à la musique.



Après cette première partie en forme de mise en abyme, Hernán Diaz nous propose « Ma vie » d’Andrew Bevel. Cette tentative d’autobiographie décousue et incomplète, nous laisse deviner que Benjamin Rask est en réalité un personnage issu du parcours bien réel d’Andrew Bevel, dont l’épouse se prénomme Mildred et non Helen. Si l’histoire que nous conte Andrew Bevel est, dans ses grandes lignes, proche de celle contée par Harold Vanner, elle diffère nettement du roman lorsqu’il s’agit d’évoquer son épouse Mildred.



La troisième partie « Un mémoire, remémoré » se déroule dans les années quatre-vingts et donne la parole à Ida Partenza. Dans ce texte, qui est paradoxalement le plus incarné et le plus attachant du roman, Ida revient sur ses années de jeunesse passées en compagnie de son père anarchiste. À la fin des années 30, elle est embauchée à l’issue d’un processus de sélection drastique par le richissime Andrew Bevel, légende vivante de la finance, ulcéré par le succès d’« Obligations », le roman d’Harold Vanner. La mission confiée à Ida est simple : il s’agit de réécrire une biographie (une hagiographie diront les mauvaises langues) du couple mythique formé par Andrew et Mildred. Pour l’aider à mener à bien cette tâche, le magnat de la finance va consacrer un temps important à narrer sa vie à la jeune Ida, qui tente de satisfaire au mieux les exigences de son employeur en échange d’un salaire conséquent. Cinquante ans plus tard, la jeune femme fougueuse est devenue une vieille dame qui reprend son enquête afin de lever enfin les mystérieuses zones d’ombre dans lesquelles baignent les destinées de Bevel et de son épouse.



La dernière pièce du puzzle, dénommée « Futures », est la plus courte. Présentée sous la forme de fragments transcrits de l’écriture quasiment illisible de Mildred, elle est aussi la plus émouvante et permet au roman d’Hernán Diaz d’entrer dans une autre dimension. La dimension d’un prix Pulitzer.



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« Trust » est un exercice littéraire virtuose. En découpant astucieusement son roman en quatre parties distinctes et pourtant intimement liées, Hernán Diaz, compose, à la manière d’un musicien, les lignes mélodiques qui se superposeront pour former une pièce magistrale. En insérant un roman dans son roman, une tentative d’autobiographie maladroite, un témoignage en forme d’enquête, ainsi que des fragments manuscrits, l’auteur démontre son aisance à passer d’un genre à l’autre, tout en construisant une intrigue aussi prenante que cohérente.



« Trust » nous propose une plongée passionnante dans le monde de la finance du début du XXe siècle. En revenant sur la folle montée des cours des années 20 qui sera suivie du krach de 1929, Hernán Diaz nous rappelle que la financiarisation de l’économie n’est pas un phénomène nouveau, et si ses intentions sont souvent honorables, ses effets sont parfois dévastateurs. Les deux premières parties évoquent l’arrivée des contrats à terme (Futures en anglais) censés permettre aux industriels de se prémunir contre les variations à venir du prix des matières premières, et reviennent sur la multiplication sans fin des possibilités d’emprunts et de prêts, dont l’émission obligataire n’est qu’une des facettes. Les titres « Obligations » et « Futures », sont évidemment des allusions à double sens à ces instruments financiers que Bevel maîtrise à la perfection.



Le discours teinté de protestantisme, et fortement influencé par la théorie économique énoncée par Adam Smith que défend inlassablement Andrew Bevel n’est jamais explicitement démenti par l’auteur. Le lecteur devine pourtant l’ironie discrète qui se dissimule entre les lignes d’une apologie d’un libéralisme qui permit une création de richesse prodigieuse, en même temps qu’il conduisait au krach le plus retentissant de l’histoire. La redistribution (partielle) des richesses accumulées par Bevel au travers des œuvres de bienfaisance de Mildred épouse la théorie, jamais démontrée, du ruissellement, selon laquelle les richesses amassées par quelques happy few, bénéficient in fine à la société tout entière. Là encore, l’auteur se montre mystérieux, et laisse au lecteur le soin de dénicher la malice éventuelle qui se dissimule sous l’écume des apparences.



Quatre ans après un premier roman magnétique, Hernán Diaz reconstruit la destinée d’un couple mystérieux, au travers d’un roman en forme de puzzle à la virtuosité étourdissante. Si « Trust » évoque une œuvre musicale composée de lignes mélodiques qui se répondent avec une habileté confondante, il lui manque le supplément d’âme qui irriguait le long périple d’Häkan dans « Au loin ». Aussi géniale soit-elle, la complexité de l’édifice narratif imaginé par l’auteur, ne permet pas à la poésie improbable de son premier opus d’éclore, telle la fleur du mal qui gangrène le rêve américain.



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Au loin

Au nord du lac Tystnaden, Suède. La famille Söderström habite une ferme dont le père cultive les terres pour un autre. N'ayant que très peu d'argent, celui-ci, par une ruse, réussit à réunir quelques billets qu'il donne aussitôt à ses deux fils, Håkan et son grand frère, Linus, pour qu'ils rejoignent l'Amérique. Mais, dans la cohue de Portsmouth, Håkan perd son aîné. Remontant sur un bateau qu'il suppose prendre la direction de New-York, il fuit toute compagnie et s'enferme. Remarquant ce jeune, sûrement fiévreux et affamé, Eileen Brennan s'occupe de lui. C'est alors qu'il comprend, tant bien que mal de ce couple d'Irlandais, que le bateau fait route vers San Francisco. Arrivé là-bas, les Brennan, avec leurs deux enfants, convainquent Håkan de les suivre dans leur expédition de prospection d'or. Le jeune garçon accepte, ayant besoin d'argent pour pouvoir rallier New-York et retrouver son frère qu'il espère installé là-bas...



Quel personnage que ce Håkan, surnommé le Hawk... De sa ferme suédoise au pont de l'Impeccable, du jeune homme naïf et timide ne parlant pas un mot d'anglais à l'homme grand et imposant, sauvage, redouté parfois, il aura connu bien des épreuves tout au long de sa vie. De San Francisco à New-York, c'est un très long voyage qui l'attend, semé d'embûches, d'événements inattendus et de rencontres aussi improbables que marquantes (de la maquerelle au naturaliste farfelu qui lui apprendra beaucoup de choses en passant par des Indiens ou des shérifs véreux). Planté dans des décors désertiques ou montagneux, parfois hostiles, ce roman dépeint avec force et intensité le voyage à rebours d'un homme qui se cherche et se perd au cœur de ce pays trop vaste qui l'éprouve et l'isole de ses hommes avides, violents. Un roman initiatique riche et éprouvant qui dresse un portrait doux-amer d'un homme en quête de lui-même...
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Trust

L’histoire qui ouvre le roman n’est pas sans intérêt : la rencontre de deux êtres hors norme dont l’originalité les conduit à ce que l’on pourrait appeler une carrière brillante, si la perspicacité dans les affaires financières est considérée un témoin de réussite.



Lorsque cette narration prend fin, un sentiment d’étrangeté peut saisir le lecteur, il semble que l’on nous raconte une deuxième fois l’histoire, à quelques nuances dans les noms des personnages et encore plus étonnant, des notes intercalées dans le texte, comme de futurs paragraphes à compléter…



Il faudra arriver à la troisième partie pour comprendre la malice de l’auteur qui nous piège avec ces histoires gigognes, tout en nous faisant comprendre tout l’enjeu de relater une biographie, que la variabilité des sources et des enjeux sous-tendus par l’écriture rend complexe.



En plus de nous offrir un panorama de l’histoire des Etats-Unis du début du vingtième siècle, alors qu’une croissance effrénée faisait déjà craindre le pire en matière d’avenir, on a une véritable analyse du processus de la création littéraire, portée par des personnages suffisamment atypiques pour être accrocheurs.



397 pages L’olivier 18 août 2023

Traduction : Nicolas Richard


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Trust

Une chose est particulière dans ce roman, on pourrait lire la première partie et s'arrêter là. On aurait lu un roman plutôt court sur l'histoire d'un couple, dans lequel l'homme nous est présenté comme le riche héritier d'une famille implantée dans l'industrie du tabac pour l'essentiel, avant qu'il ne revende tout pour faire fructifier le capital dans la finance avec une réussite faramineuse, tout autant que scandaleuse. Celle qui deviendra sa femme est quant à elle issue d'une famille d'aristocrates, elle aura elle aussi sa part de mystères et d'incertitudes, avant de sombrer peu à peu dans ce roman : « Ce qui importait, c'était son incapacité à arrêter de penser à ses pensées. Ses spéculations se reflétaient mutuellement, comme des miroirs parallèles– et, à l'infini , chaque image à l'intérieur du tunnel vertigineux contemplait la suivante en se demandant si elle était l'originale ou une reproduction ».

La lecture pourrait s'arrêter là et on aurait le sentiment d'avoir lu un bon roman, empreint d'un classicisme du début du 20ème, de s'être plongé dans le Wall Street de ses années 20 de crise financière sous le point de vue d'un romancier, que l'on recroisera. On pourrait s'arrêter là mais ça serait dommage. La suite va s'appuyer sur ce roman et le déconstruire dans une perspective borgésienne : ici ça serait la fiction qui s'immiscerait dans le réel pour le tordre et l'altérer, à l'image du magnat de la finance n'avouant jamais ses erreurs mais faisant « usage de tous ses moyens et ressources pour tordre la réalité afin de la faire coïncider ». La deuxième partie est ainsi une controverse au roman de la première, sous la forme d'un manuscrit incomplet de confessions. Elle sera suivie par un troisième texte, les mémoires d'Ida qui a bien connu le couple en question. Une troisième partie – la plus longue – sous le ton palpitant de l'enquête sur les différents mystères, amenant le lecteur à devenir enquêteur lui aussi en profilant avec Ida la silhouette de moins en moins éthérée de l'épouse. Enfin le quatrième texte est un journal intime, il apportera un nouveau point de vue sur la vérité de ce couple. Une vérité se dessinant sous le prisme kaléidoscopique de parties qui vont se contredire, se refléter, s'encapsuler dans une association de textes sujets à interrogations pour le lecteur, chaque partie avec son style, l'écriture fluide et modulable d'Hernan Diaz y étant virtuose pour son adaptation au genre et au personnage qui tient la plume.

Mais il est possible que le roman ne s'arrête pas là. Certains pourtant passionnants à la lecture ne laissent pas vraiment de traces quand d'autres continuent à forer leur chemin dans les méandres des synapses. le genre de roman à susciter des interprétations et des retours, déjà bien nombreux par ici. Toujours est-il qu'on pourra s'engouffrer dans le labyrinthe des différentes textes, se questionner sur la vérité et étendre au rapport qu'entretiennent fiction et réalité, on pourrait même se ramener à la mémoire – individuelle ou collective, et l'élaboration des histoires ou des légendes. Hernan Diaz est spécialiste de Borgès, l'adepte des plans de fiction et de réalité entremêlés, à silhouette labyrinthique. Il semble s'en inspirer avec ce vertigineux roman sur l'argent et surtout la vérité, original dans sa forme, qui nous entortille les neurones tout le long et nous prend encore à revers dans le final.

Un roman MAGISTRAL, auréolé qui plus est du Pulitzer. C'est bien là son seul défaut à mes yeux ^^, qui lui coûte la dernière demi-étoile. Faut pas exagérer non plus ;)
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Trust

« Tordre la réalité pour la faire coïncider. » ● Benjamin Rask, né à la fin du XIXe siècle, est issu d'une lignée d'hommes d'affaires dont l'ancêtre qui a débuté la dynastie a fait fortune dans le tabac. Mais le tabac n'intéresse pas Benjamin, qui va liquider l'empire industriel au profit d'une firme purement financière. C'est ainsi que dans les années 1920 il va considérablement augmenter la fortune reçue en héritage. Tous admirent son incroyable flair, qui lui permet non seulement d'éviter la crise de 1929 mais de faire pendant cette période des profits colossaux, en prenant des positions courtes, c'est-à-dire en spéculant à la baisse. Il faut dire qu'il associe à ses intuitions une armée de mathématiciens qui mettent leur talent à sa disposition. ● Je dois dire que j'ai failli lâcher la lecture de ce roman, malgré son prestigieux prix Pulitzer, lorsque je me suis rendu compte qu'il me faudrait lire la même histoire trois fois… ● Jusqu'à la page 270 environ (quand même !) je trouvais le récit plat, verbeux, interminable… Puis les choses se mettent enfin en place et ça décolle ! Une tension narrative apparaît. Dans la partie III de « Un mémoire, remémoré », on apprend des choses qui nous permettent de reconsidérer ce qui précède, et c'est encore plus vrai dans la dernière partie de l'oeuvre, « Futures ». ● Néanmoins, il y avait sans doute moyen de raccourcir la matière des pages 1 à 270 ; je trouve le roman vraiment trop long. Et si la dernière partie, « Futures », donne enfin la clé du roman, avec un vrai retournement de situation, il devait être possible de moins utiliser ce style télégraphique pas franchement agréable à lire. ● Evidemment, on comprend l'attribution du prix Pulitzer, avec la thématique de la financiarisation de l'économie, la mise en abyme, la construction alambiquée, la reconstitution et l'exhibition du geste d'écriture, et avec le retournement final que je ne dévoilerai pas mais qui met assurément le roman du bon côté du politiquement correct. ● Finaliste du prix Pulitzer pour son roman Au loin (In the distance) en 2017, il est certain que Hernan Diaz a tout bien calculé et pesé pour obtenir le prix cette année. Et ça a marché. Malheureusement, cela aboutit à un livre calibré pour gagner plus que pour susciter chez le lecteur un plaisir de lecture. ● En conclusion, c'est moins mauvais que ce que j'avais craint à la lecture des trois premiers quarts du roman, mais ce n'est tout de même pas un livre que je conseillerais.
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Trust

La vraie question posée par ce livre est : Pourquoi le génialissime Marcus Malte n'a-t-il pas reçu un prix pour son excellent « Qui se souviendra de Phily-Jo ? » alors que cette pâle resucée a obtenu le prix Pulitzer ?

Indubitablement, les pouvoirs des lobbys financiers sont médiocres par rapport à ceux des maisons d'édition…

À quoi pensez-vous spontanément quand on vous énonce le mot Trust : à la confiance ou à une entreprise puissante avec une position dominante sur un marché ?

C'est par ce roman construit en 4 parties que Hernan Diaz tente de répondre à cette question. Chaque partie comme une poupée russe, si un récit reprend les événements précédents racontés par un nouvel interlocuteur, tout change ; dans le ton, la forme, le prisme apporté qui nous offre un regard différent sur les mêmes personnages à l'aune d'éléments contradictoires.

La construction est habile, mais elle n'est pas nouvelle et clairement plusieurs crans en dessous du fabuleux « Qui se souviendra de Phily-Jo ? ». Oui j'aime insister lourdement au cas où il y aurait des distraits parmi ceux qui lisent ces lignes.

Les deux premières parties soporifiques auraient gagné à être raccourcies, voire carrément supprimée pour la deuxième dont j'ai trouvé le style pompeux et alambiqué particulièrement pénible à lire.

Les deux dernières parties sont les plus intéressantes puisqu'elles permettent, enfin, de rentrer dans le vif du sujet et de donner une perspective radicalement différente aux deux premières.

Cependant, je n'ai pas retrouvé ici le plaisir de me faire mener par le bout du nez par l'auteur. On voit arriver d'un peu trop loin les mécanismes de la deuxième partie et pour la quatrième ses révélations n'en sont plus vraiment puisqu'elles ont été depuis longtemps dévoilées ou devinées et tombent à plat, même si les confirmations de nos intuitions restent agréables à lire.

J'ai trouvé regrettable que le personnage d'Ida Partenza n'apparaisse qu'à partir de la troisième partie puisque c'est le seul qui se révèle attachant. Il y a là pour moi une occasion manquée d'Hernan Diaz de rendre son récit plus vivant. Introduire le personnage dès le début aurait permis de rendre la lecture plus facile et intéressante.



Une chose est sûre, ce n'est pas Trust qui viendra détrôner Phily-Jo de mon île déserte !



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Au loin

Un western "à l'envers" mettant en scène un émigrant suédois "allant vers" l'est, à rebours de la conquête de l'ouest : vu mon pseudo et mon goût prononcé pour la littérature américaine et notamment le western, Au loin ne pouvait que m'attirer.



L'attraction a été totale, immédiate, symbiothique avec ce livre. A l'instar de Hakan qui dans la scène inaugurale coule son vieux corps puissant dans les eaux froides de l'Atlantique nord, je me suis coulée dans son récit dès la première page et l'empathie ne m'a pas quittée d'une ligne.



J'ai tout aimé de ce livre : la puissance évocatrice de la langue qui immerge de façon quasi réelle dans une nature de grands espaces, déserts, prairies, canyons; l'originalité de l'histoire qui comme dans "The big sky" d'AB Guthrie offre à la fois une perspective distanciée sur la construction américaine et une parabole universelle sur l'identité dans la migration; et surtout le personnage d'Hakan, sa pureté, son mutisme, l'absolue intégrité de ses rapports à l'autre, la façon dont ses expériences de vie se sédimentent en lui.

Gros coup de coeur donc pour ce roman finaliste du Pulitzer 2018 qui laisse une empreinte chaude et profonde après la lecture.
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Trust

Genre: exercice de style lumineux



Auréolé de son tout récent prix Pulitzer (conjointement avec Barbara Kingsolver pour Demon Copperhead), Trust fait le bonheur des amateur du genre.

La question est bien là : de quel genre s’agit-il ? Il faudrait peut-être demander à Marcus Malte qui, dans « Qui se souviendra de Phily-Jo ?», déploie avec une géniale virtuosité l’art de l’emboitement et du puzzle littéraire.

Alors quid de Trust ?

D’abord les thèmes : l’Argent et la spéculation, la Fiction, la Musique et l’effacement systématique du rôle des femmes dans tous ces domaines et dans bien d’autres (dont les Mathématiques) .

Puis les références et les hommages:

Adam Smith en premier lieu (avec la main invisible de Dieu!) mais aussi Keynes, Mill et tous les théoriciens du libéralisme humanisme (!)…

Edith Wharton ensuite, peu nommée mais omniprésente, Fitzerald indéniablement.

Agathie Christie évidemment et au final Susan Sontag et Fritz Zorn. Ma liste est loin d’être exhaustive, le livre se segmentant en plusieurs styles, eux-même concentrés d’auteurs emblématiques. On pense à Borges bien sur…



Il y a donc quatre histoires, liées les unes aux autres de manière extrêmement fluide. Marie-Laure@Kirzy et Isidore@Isidoreinthedark les décrivent magistralement, inutile de pomper ou de tenter de faire mieux. En tout cas pour les trois premières .

On découvre l’empereur de la finance, qui régna sur Manhattan au début du XXe siècle, et son rôle dans la Grande Depression : Andrew Bevel. Et surtout son épouse Mildred qui joua un rôle étonnant dans toute cette histoire.

D’abord un roman « Obligations » d’un certain Harold Vanner, puis l’autobiographie d’Andrew. Enfin Hernán Diaz donne la parole à une certaine Ida Partenza qui raconte son parcours de vie, elle qui fut un temps secrétaire de Bevel. Cette partie « Un mémoire, remémoré » débute dans les années quatre-vingt avec la visite du manoir des Bevel, transformé en musée.



L’inspiration génial de Diaz est d’avoir revisité le monde de la finance et de l’économie occidentale de la première partie du XXe siècle tout en nous fournissant tous les outils pour nous positionner face à la spéculation d’hier et d’aujourd’hui. « Tordre la réalité pour la faire coïncider »



Mais je me demande si Hernàn Diaz aurait eu le Pulitzer et son immense succès sans sa fabuleuse quatrième partie.

De mon point de vue, c’est pour celle-ci surtout que le livre vaut d’être lu.

« Futures », écrit supposément par Mildred Bevel, n’a que quarante pages. Je l’ai lu plusieurs fois tant il est dense, émouvant et truffé de chausse-trappes.

Ce n’est pas seulement la quatrième et dernière pièce de ce puzzle sidérant, c’est un véritable morceau de bravoure. Un clair-obscur lyrique et intimiste, feutré et explosif, charnel et éthéré, militant et bouleversant.

Mildred est en train d’agoniser dans un sanatorium suisse et nous lisons son « journal »



« Les mots se détachent des choses »

« Un bruit sans onde est-il encore un son »

« Toute perte devient un profit, toute croissance une chute »

« Vendre à découvert c’est replier le temps sur lui-même. Le passé se fait présent dans le futur »

« Andrew endormi sur chaise à coté de moi.Vieux »



Hernàn Diaz compose ainsi le requiem de Mildred, incarnation de toutes les femmes oubliées du XXe siècle …

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Trust

Trust, c’est 4 versions d’une même histoire ; 4 narrateurs pour raconter l’ascension d’un financier habile avec les chiffres et de sa femme dans les Etats-Unis des années 20. 4 récits, 4 styles et une même version de l’Amerique, avide de pouvoir, de richesse et complètement hébétée après le jeudi noir de 1929. C’est mené avec brio, ça parle d’argent et de spéculation avec une certaine simplicité et même si j’aurais délesté la première partie de quelques pages, c’est un texte passionnant qui monte en puissance au fil de la lecture pour finir dans une dernière partie qui donne tout son sel au roman. On pense à Fitzgerald pour l’atmosphère, à Borges pour la forme, à Adam Smith pour l’économie, les références sont multiples et toujours pertinentes dans ce puzzle brillant et addictif.

Un prix Pulitzer mérité
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Trust

« Là où il y a un ventriloque, il y a une marionnette. »



Il est assez rare d’avoir un deuxième livre aussi éloigné et différent du premier mais c’est exactement ce qu’Hernan Diaz réussit avec Trust – traduit par Nicolas Richard -, qui a toutefois en commun avec Au loin, une intelligence dans la construction et une impossibilité de le lâcher avant d’en avoir tourné, à regret, la dernière page.



Trust, c’est une saga, celle de la dynastie Rask qui depuis le XIXe, a construit sa fortune en excellant dans le commerce, puis l’industrie avant de verser dans la finance. Le tout avec une réussite insolente sublimée par le dernier de la lignée, qui traverse sans trembler les crises de la Grande Dépression.



Alors forcément, ça agace dans le marigot new-yorkais de la finance. D’autant plus qu’il est plutôt introverti et fuit les mondanités, mais sa femme le complète en versant dans la philanthropie. Tout est donc conventionnellement bien en place : Monsieur engrange grâce à ses talents hors normes et Madame dépense, reçoit et assure le relais mondain.



Et si…

Et si tout n’était pas aussi lisse, aussi propre, aussi binaire…



Surdoué du Mécano, Diaz construit, déconstruit et reconstruit en 4 actes son histoire, plongeant son lecteur dans un jeu du mensonge et de la vérité où il le laisse longtemps livré à lui-même, pour mieux lui redonner quelques clés à la fin. C’est brillant, impressionnant de maîtrise et forcément addictif.



Mais Trust n’est pas que technique narrative, tournant autour du thème de la confiance : celle qui régit – ou pas – le monde de la finance, plus fortement que les mathématiques, les statistiques ou les algorithmes. Celle qui soude un couple, au-delà des apparences. Ou celle du lecteur envers un auteur bien décidé à jouer avec lui.



Diaz aura donc mis du temps avant de nous revenir mais, cinq ans et un changement d’éditeur français après, ça valait le coup d’avoir confiance pour déguster ce Pulitzer mérité.

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Trust

Waouh quel scénario ficelé.

En 4 parties qui peuvent sembler décousues pour mieux captiver le lecteur, nous suivons le destin d'un financier brillant et de l'énigme autour de son épouse : qui fut-elle vraiment ?

4 angles différents pour raconter la puissance de l'argent, la grande dépression, le racisme anti-italien, l'émergence de l'anarchisme, le cynisme et, au fond, une grande solitude.

4 points de vue sur l'autojustification, l'image qu'on veut laisser de soi, l'abus de pouvoir, le peu d'empathie et finalement un manque de bonheur et d'amour.

Tout cela va s'assembler par briques jusqu'aux toutes dernières pages pour lever le voile sur Mildred.

Un style envoutant pour rendre le récit énigmatique et captivant.

J'ai été séduite par l'écriture et par la narration de ce roman.

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Trust

Grand cru, le Pulitzer 2023! et qui vient adouber un auteur qui est pour moi définitivement à suivre (vous savez, ces auteurs dont on achète le dernier livre sans même savoir de quoi il parle), Hernan Diaz, qui confirme le talent que beaucoup ont remarqué dans son western à l'envers, "Au loin".

On est ici loin du western mais toujours cependant dans l'exploration à contre-courant du mythe américain dont les troubadours chantent depuis deux siècles l'esprit d'entreprise, le courage, la résilience, et la conjugaison heureuse de l'enrichissement individuel avec le bien commun.

Le roman s'ouvre sur la biographie d'un magnat de la finance qui grâce à un sang-froid hors normes et une prescience inégalable du drame à venir a construit une fortune colossale sur les ruines de la Grande dépression. Introverti, froid, mutique, il épouse une jeune aristocrate douée et philanthrope avec laquelle il formera un couple mythique dans le gotha des années 20.

Mais une fois ce récit achevé voilà que le miroir se brise et laisse apparaître une histoire derrière l'histoire, puis encore une autre, dans une construction vertigineuse qui bouleverse le mythe et brouille les fils de la réalité.

De ce troublant labyrinthe de glaces seul l'argent reste une puissance qui ne vacille pas, tandis que la figure du génial financier se brouille et qu'émerge celle, de plus en plus claire et de plus en plus haute, d'une femme qui éclaire l'ensemble du roman de sa lumière.

Comme pour "Au loin", tout m'a plu dans ce roman, de l'angle original porté sur l'histoire américaine à la fluidité de la plume, pourtant dense, ainsi que la structure novatrice du roman dont chacune des quatre parties rebat les cartes, offrant au lecteur un nouveau champ de possible et de réflexions.
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Au loin

Une épopée dans le grand ouest américain

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Je m'intéresse de très près au genre littéraire de nature writing. Un premier roman d'un jeune auteur argentin-suédois. Finaliste du prix Pulitzer qui plus est! Tentant.

*

Le roman s'ouvre sur un paysage glacial, isolé et enneigé. Un homme nu sort de l'eau froide. Et se drape dans un manteau fait de peaux d'animaux. Plus tard, sur un bateau-baleinier, ce même homme bien mystérieux est entouré de passagers curieux. Qui vont donc écouter son récit. SON histoire.

Des aventures débutées il y a fort longtemps, loin de cet Alaska.

Plus précisément en Suède. Hakan accompagné de son frère Linus, va embarquer pour le Nouveau-Monde, cet eldorado promis à tout européen désireux de tenter sa chance.

Les voilà propulsés dans une contrée faite de dangers.

Pauvre Hakan, ayant perdu son frère dès le début, démuni, devra affronter mille et un dangers.

De la Californie jusqu'à New-York, le sens inverse des chercheurs d'or, Hakan croisera de nombreuses personnes, malveillantes et d'autres plus sympathiques. Des personnages parfois caricaturaux, mais aussi des figures héroiques bien abimées. Une grande fresque sociale s'ouvre devant nos yeux : l'émigration de ces pionniers venus chercher asile et richesse, le mythe fondateur du rêve américain. On est bien loin de l'image d'Epinal.

J'ai rapidement rapproché Hakan de Forrest Gump, un homme très banal qui rencontre des personnages emblématiques de l'histoire américaine avec naiveté et incrédulité.

Hakan fait partie de ces être invisibles et dénués de tout matérialisme. Il se terre dans le désert jusqu'à s'oublier. Un long moment de solitude voulue. Le temps passe, les saisons se succèdent. Hakan est perdu dans cette immensité de ces grands espaces. Puis une rencontre fortuite (!) l'entraîne à nouveau dans une région aride et sèche. Jusqu'au point de non-retour.

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Tout d'abord un roman initiatique puis une écriture d'osmose entre la Nature et l'homme. Une solitude considérée comme une absolution, une punition éprouvée que par lui-même, il ressortira non pas vainqueur mais lucide et désabusé. Restera-t-il orphelin de ce pays gigantesque et hostile?

Une question trouvant sa réponse à la fin du récit.

*

Le narrateur est Hakan, celui qui nous prend par la main et nous entraîne dans son aventure. Un peu de mal au début, surtout pour des repères spatio-temporels. Une vision souvent floue qui nous déboussole. Peut-être voulu. Comme si nous étions nous-mêmes un émigrant perdu dans ce vaste continent. Dans une nature écrasante.

Une lecture âpre, parfois difficile tant les émotions submergent Hakan (et le lecteur!) .

L'auteur réinvente son western en nous contant une magnifique épopée doublée d'une incroyable et imparfaite humanité. Ca se savoure lentement.

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Trust

Difficile, sans en dévoiler la substantifique moelle, de partager mon éclairage sur Trust, le roman de l’écrivain argento-américain Hernan Diaz, que le prix Pulitzer vient de récompenser. Je ne vois pas en effet comment en parler sans en parler ! Et je ne reconnais pas le livre dans la présentation qui en est donnée par l’éditeur en quatrième de couverture.



J’ai trouvé très intéressant le concept de base imaginé par l’auteur, de même que le principe constructif qui en résulte. Un principe constructif qui, selon le sommaire, structure l’ouvrage en quatre grandes séquences. En revanche, la manière de traiter les thématiques narratives choisies ne m’a pas plu ; j’y reviendrai.



Dans les deux premières séquences, un financier riche et célèbre, que des spéculations avaient encore enrichi lors du krach de 1929, croit se reconnaître dans le personnage central d’un roman titré « Obligations », qui raconte la vie d’un riche et célèbre financier fictif et de son épouse. Ulcéré par la relation de certains événements et par les portraits psychologiques brossés par le romancier, ce financier tente d’écrire lui-même l’histoire de sa vie, de son couple, donnant sa version personnelle de ce qu’il conteste, en profitant pour vanter ses principes d’action et ses valeurs morales de spéculateur. Troisième séquence : abandonnant son projet d’écriture, il recrute une jeune secrétaire, dont il attend qu’elle retranscrive ses souvenirs et ses commentaires au sein d’un ouvrage romanesque accessible au grand public ; rien ne se passera comme prévu. Une courte dernière séquence, tranchant par sa forme avec les précédentes, explicite l’ensemble.



Tu peux maintenant, lectrice, lecteur, aborder Trust, en sachant dans quoi tu t’engages. Peut-être pourras-tu ainsi aller sans t’ennuyer au bout du roman enchâssé — Obligations —, contrairement à moi qui en ai lu les presque cent trente pages de narration monotone ininterrompue, sans savoir de quoi il en retournait. Abandonner un livre n’est pas dans mon habitude, mais j’ai été à deux doigts de le faire. Je n’ai commencé à accrocher à ma lecture de Trust que dans sa troisième séquence. La curiosité de la jeune secrétaire a réussi à éveiller la mienne.



Quel est le sujet ? Benjamin Rask — alias d’Andrew Bevel — est présenté comme une sorte de surhomme, doté pour les affaires d’un flair hors norme, étayé par des aptitudes de mathématicien génial, et alimenté en multiples données compilées par une armée de statisticiens. En tant qu’investisseur ou spéculateur, il voit toujours juste, et en cas improbable d’erreur, il a encore la possibilité de « tordre la réalité, pour la faire coïncider avec son erreur », qui du coup n’en est plus une. Un principe général qui peut toujours s’énoncer, mais est-il pour autant crédible ?



Dans chacune des séquences, les récits semblent guidés par une vision désincarnée du monde de la finance ; un monde mythique, inspirant fascination/répulsion aux littéraires. Il serait possible, pour l’élite d’une élite, de concevoir des martingales, enclenchant ce que certains commentateurs appellent avec dédain un processus irréversible d’accumulation de richesses. Le cerveau d’un grand financier serait ainsi l’équivalent d’une intelligence artificielle et ses qualités de cœur seraient celles d’un ordinateur… Peut-être pourtant suffit-il d’observer attentivement le fonctionnement d’un téléscripteur !...



Tout aussi désincarnés sont les couples Benjamin/Helen et Andrew/Mildred. Homme et femme sont dépeints comme surdoués et asociaux, affublés d’aptitudes et de handicaps de calculateurs prodiges. Des relations conjugales abstraites, même pas platoniques.



Bien sûr le mythe du surhomme et celui de l’homme protecteur sont finalement déconstruits. Ils le sont au profit d’un mythe en devenir, qui ne me surprend pas, parce que j’y crois. Il y a longtemps que je sais que la femme est l’avenir de l’homme.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Trust

Trust d’Hernan Diaz est-il un bon livre ? Oui, aucun doute à ce sujet. Est-ce qu’il m’a plu ? Non, j’ai toujours du mal avec les exploits littéraires qui paraissent avoir été conçus en tant que tels. La construction, comme dans la vie réelle, ne dévoile pas tout. Elle est remarquable. Les thèmes sont nombreux et se révèlent peu à peu. Le livre est long, demande des efforts. À cause de la forme, et ce n’est pas ce que je préfère.



Benjamin Rask est un homme réservé, qui a connu une enfance privilégiée. Adulte, il devient richissime. Il a épousé Hélène, qui a passé presque toute sa vie en Europe, aussi réservée que lui.

Andrew Bevel écrit un livre pour rétablir une vérité. Le point commun entre les deux hommes : ils se sont enrichis pendant la crise de 1929.



Les deux cents premières pages, sans aucun dialogue, n’ont rien de captivant. Où l’auteur veut-il en venir ? Le livre s’anime dans la troisième partie. Certaines choses se précisent, d’autres mystères apparaissent.

La dernière partie dévoile le mystère de la richesse insolente gagnée pendant la crise de 1929, enfin… dévoile… Je crois avoir compris, mais ce n’est pas simple.



Les deux thèmes principaux du livre :

— L’enrichissement par la finance, avec quelques belles diatribes contre cette méthode, dans la bouche d’un anarchiste.

— On ne parvient jamais à connaître quelqu’un, fût-il un proche.



Les quatre narrateurs révèlent une partie de la vérité, mais une vérité toujours biaisée. Peut-être faudrait-il le relire pour traquer similitudes et différences ?


Lien : https://dequoilire.com/trust..
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Au loin

Quand le rêve migratoire américain se transforme en épopée de la désillusion, il ne reste plus qu'à se concentrer sur l'essentiel : survivre et se replier sur soi-même, loin des autres, loin du monde. C'est la destinée d'Hakan Söderström, très joliment racontée dans Au loin par Hernan Diaz, traduit par Christine Barbaste.



Au loin, c'est l'anti-histoire de l'émigration réussie de deux jeunes frères suédois envoyés par leur parents miséreux à l'assaut d'une vie meilleure dans le nouveau monde. Une anti-histoire sur fond de western et de nature writing où rien ne se passe comme attendu : les frères séparés dès l'embarquement, une sulfureuse captivité à l'arrivée en Californie, une confrontation incessante avec la violence, et une longue marche migratoire inversée qui conduit Hakan dans le désert et les montagnes, parsemée de rencontres initiatiques.



Comme l'a dit Yann dans son excellente critique d'Unwalkers, Hakan, c'est Candide en Amérique, un roman initiatique sur la perte des illusions, la construction d'une identité propre et l'apprentissage philosophique du monde tel qu'il est et non tel qu'on nous l'a décrit. Tel un John Rambo du XIXe siècle, Hakan, doté d'un physique hors norme, entre dans la violence sans l'avoir recherché, devenant un mythe de l'ouest américain dont la légende se propage par bouche-à-oreille le long des caravanes de migrants. Sauf que cette légende est à l'inverse des souhaits de l'intéressé, plus passionné par ses rencontres avec la biologie, la médecine, les sciences et la théologie auxquelles l'éveillent Lorimer, Asa ou le vieil indien.



Incapable de décoder cet environnement étonnement hostile, Hakan se réfugie dans la nature et la solitude, pour mieux s'abandonner, se reconstruire, et repartir. Bouclant à l'issue d'une vie passée à errer une boucle migratoire revenant à son point de départ.



Faisant de Hakan le pivot de son roman et grâce à une écriture riche et imagée, Hernan Diaz réussit à tenir son lecteur jusqu'au bout malgré les longueurs - voulues - de plusieurs chapitres, malgré la quasi-absence de dialogues et malgré une impression régulière de redites ici ou là. Et ces éléments - assumés répétons-le - qui seraient autant de défauts dans un autre livre, donnent ici assemblés toute la force de ce récit et de ce personnage qu'on ne pourra facilement oublier.
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Trust

Je n’étais pas du tout attiré au départ par ce roman : la thématique de la finance ne m’attirait franchement pas. La lecture de quelques critiques m’a malgré tout alléchée (roman gigogne, roman à plusieurs voix,...). Malgré le peu d’intérêt que m’inspirait son sujet, j’ai découvert un délicieux roman à tiroir où un texte en cache un autre qui se révèle tout aussi trompeur, etc...

Car ce roman, ce sont quatre textes de natures et de longueurs différentes. Quatre narrateurs qui ont des destinataires et des buts différents et dont les textes se font écho de manière fascinante. Tout un programme !

D’abord il y a un roman, de forme classique, qui nous raconte l’ascension de la famille Rask, puis la vie du magnat de la finance Benjamin Rask, époux d’Helen dont la fortune atteint son apogée lors du krach boursier de 1929. Helen tombe malade et meurt dans une clinique en Suisse.

Le deuxième texte se présente comme un récit de sa vie par Andrew Bewel. Son histoire a bien des similitudes avec celle de Benjamin Rask, mais aussi des divergences notables, et puis des petites bizarreries, comme si le texte n’était pas encore dans un état définitif.

Un troisième récit entre en scène, éclaire les bizarreries du deuxième, mais il pose autant de questions qu’il n’en résout.

Arrive le texte le plus court qui déconstruit tout ce que l’on croyait savoir, aussi bien sur Andrew Bevel que sur son épouse ou sur son ascension financière.

Ce roman a quelque chose d’un exercice de style à la Borges, où la fiction joue à tordre le réel, tout comme Andrew Bewel use de « de tous ses moyens et ressources pour tordre la réalité afin de la faire coïncider » plutôt que d’admettre ses erreurs.

Au passage l’auteur aura en prime égratigné et déconstruit le mythe américain. Passionnant.
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Trust

Trust – Un Livre de Hernan Diaz & Nicolas Richard (Traducteur) – 2023 Editions de l’Olivier (Rentrée Littéraire) – 346 pages (numériques).

Bonjour les Phoenix bourrés de pognon (ou pas !! hah) !

Benjamin Rask est fort bien né !! D’une famille très fortunée qui dirige d’une main de maître une grande entreprise de Tabac, il a toute la panoplie de l’Homme Heureux (argent, il peut tout se procurer…) excepté son manque de sensations fortes, ou plutôt « d’accomplissement »…

Solomon est le père de Benjamin. L’entreprise reste dans la famille… Mme Wilhelmina Rask serait donc la Mère de Benjamin (si j’ai bien compris ?!) …

On a une ou plusieurs accrocs à la cigarette !! Perso j’ai fumé pendant 4 ans et ça en fait 2 que j’ai stoppé. La Cigarette même si elle est 100% toxique m’a toujours bercée de poésie dans les moments difficiles y compris.

Le père de Benjamin meurt brutalement d’une crise cardiaque alors que celui-ci est en Terminale.

Voilà après c’est la déprime et le business… Le mariage et les couples…

Très peu de dialogues… On accroche pas du tout pour être Honnête !! Les trois premiers chapitres sont bien mais après il Faut se forcer pour Avancer…
Lien : https://linktr.ee/phoenixtcg
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Au loin

AU LOIN d'Hernan Diaz

Traduit par Christine Barbaste



Éditions Delcourt



******** C O U P D E C O E U R ********



Je n'ai aucun doute là-dessus, les éditions Delcourt ont trouvé un filon d'excellents auteurs et c'est une véritable pépite qu'ils nous proposent avec le premier roman d'Hernan Diaz, "AU LOIN".



Dans le milieu du 19ème siècle, un paysan suédois sans le sou envoie ses deux fils en Amérique afin qu'ils puissent avoir une vie meilleure. Lors de l'escale à Portsmouth, Håkan Söderström, le plus jeune des fils qui ne parle pas un mot d'anglais, sera séparé de son frère aîné et, ne le retrouvant pas, se trompe de bateau et fera route sur San Francisco au lieu de New-York. Une fois débarqué, sa seule pensée sera de partir vers l'est pour tenter de rejoindre New-York et son frère... ainsi débutera une odyssée solitaire à travers l'ouest américain qui se terminera en Alaska (aucun spoile, on apprend tout cela dans les vingt premières pages).



Le tour de force de ce roman, c'est de nous raconter une histoire à travers les yeux d'un émigré en nous racontant uniquement ce qu'il comprend de ce nouveau monde inconnu. Tant que Håkan ne parle pas l'anglais, on ne saura jamais ce que les personnes qu'il rencontre lui disent exactement, Herńan Diaz se contentant de décrire leur langage corporel et ce que Håkan en déduit. De même, l'auteur va utiliser les répétitions pour nous faire comprendre que les années passent au rythme des corvées liées aux saisons.



Håkan est un héros inoubliable et on ne peut qu'être touché par sa solitude et de sa difficulté à rejoindre le monde "civilisé" après être resté seul aussi longtemps.



Un western original, captivant, époustouflant, brillant... bref, c'est un énorme coup de coeur.
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