Idelette de Bure

«Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu’une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieux de la biographie traditionnelle». Tel est le projet de cette collection L’un et L’Autre, dirigée par J.B De Pontalis.

Approcher Georges De la Tour, peintre du XVII siècle, c’est se heurter au silence.

Car on sait peu de choses.

L’auteure va puiser dans l’histoire de la Lorraine ravagée par la guerre et la peste, laisser son esprit errer de Lunéville à Nancy, pour imaginer une rencontre entre le peintre et son personnage, Belle de Lunéville a qui elle attribue le rôle de modèle et de servante.

A petit pas, à la lueur d’une bougie vacillante qui donne au récit cet aspect de fragments, nous avançons dans un texte où la chronologie est absente.

La curiosité nous pousse à ouvrir d'autres fenêtre. A mettre en résonance les oeuvres avec la poésie des mots.

«Il jette ma pauvre robe dans le feu de la cheminée et sort de l’un des nombreux coffres qui jalonnent son atelier un habit lourd, de cour me semble-t-il. Comme une longue aube de laine pourprine, ceinte d’un ruban noir sous les seins. Je m‘y glisse comme un refuge et il me noue à la taille un tablier de satin qui scintille comme une mare gelée»p19. (Job raillé par sa femme ? )

«C’est un homme que j’ai raillé et qui va me mettre à mal»p159

«Sa recherche fouille l’ombre et la lumière, au détriment de la chaleur humaine.

«C’est un artisan mystérieux que le lent mystère de la vie hante. Rien d’autre ne l’intéresse.»74

Maintenant, je suis accrochée à sa toile, blanche comme le gel.»

Magnifique rêverie d’Idelette De Bure qui est aussi une énigme car on ne sait pas grand chose de cette auteure. Elle a écrit d’autres textes dont «La garde-robe ou les phrases de taffetas» qui me donnent envie de la découvrir un peu mieux.

On se souviendra aussi du très beau livre de Christian Bobin «Le très-bas» ainsi que «Rimbaud Le Fils» de Pierre Michon parus eux aussi dans cette belle collection.

Ce récit est à la frontière... entre le bien et le mal, entre deux millénaires, entre le christianisme et le paganisme, entre l'amour et la haine, entre l'enfance et l'adolescence, entre le réel et l'imaginaire, le jour et la nuit, la nature et l'homme, l'errance et l'enracinement... On pourrait encore rajouter des contraires à cette liste, tellement ce roman est riche et foisonnant d'images fortes. L'écriture est magnifique, et nous porte littéralement avec ces deux protagonistes que sont le moine plein de doutes, de foi, de haine et d'humanité et le jeune garçon éduqué, abusé, guidé, subjugué par l'homme. Il est question de religion, de croyance, de peur, de guerre, de fuite, de beauté, de violence, dans une langue totalement maîtrisée et qui évite complètement l'esthétisme. Les lieux sont très présents, lumineusement décrits, entre le désert du début avec le monastère qui ressemble à un palais, les ruines trouvées lors de la fuite, la mer porteuse d'espoir et l'île pleine de mystères. Les allusions au Grand Meaulnes sont évidentes, et on retrouve la magie de la nuit au château, entre rêve et réalité.

Une lecture qui laisse une singulière impression, et des images durables teintées d'ambiguïté.

Un petit livre de 88 pages, déniché lors d'un séjour parisien chez un bouquiniste, et qui porte bien son titre, Phrases de taffetas, murmures de soie, poésie drapée. Short, duffle-coat, robe de jardin ou de soirée reprennent vie sous la plume magique de l'auteur...

Qui n’a pas dans sa garde-robe quelques vêtements qui ne sont plus portés, mais encombrent nos armoires car nous n’avons pas le courage de nous en séparer ? Ils représentent tout à nos yeux. Autant de témoins de notre vie passée, de moments forts et de souvenirs importants. L’auteure reprend ce principe et raconte par la voix de sa narratrice des morceaux de vie à partir des morceaux d’étoffes qui prennent place dans ses tiroirs. Là, une robe-jardinière chinée à Bordeaux, là un petit short au sortir de l’enfance, et la classique petite-robe noire. Tous ces vêtements racontent la vie d’une femme mais de fil en aiguille ou plutôt de pages ce livre ne raconte-t-il pas tout simplement l’histoire de toutes les femmes ?

Avec son écriture magnifique, Idelette de Bure nous a confectionné une magnifique pièce de littérature. Un véritable coup de cœur à lire sans hésitation.