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Citations de Idir Tas (33)


AU MILIEU DE CETTE VIOLENCE

Tu vas me prendre pour un fou, mais figure-toi que certains personnages que nous aimons me gratifient parfois d’une visite : Monsieur Teste, Jacques le fataliste, Alexis Zorba.

Ne ris pas. C’est vrai. Rien que tout à l’heure encore, j’ai pris un café avec Monsieur Teste. Et voici que je l’entends me redire ce qu’il a écrit dans son log-book :
‒ Soumets-toi tout entier à ton meilleur moment, à ton plus grand souvenir.
Puis il se tait longuement, si longuement que j’ai le temps de repenser à cet autrefois que je chéris comme le tendre oiseau bleu de ma vie. Les mésanges passent, les heures aussi. J’ignore l’heure qu’il est.

Teste m’effleure l’épaule. Sa voix basse de solitaire me récite douloureusement cette phrase :
‒ Ma solitude qui n’est que le manque, depuis beaucoup d’années, d’amis longuement, profondément vus…

Puis sa voix se brise, il disparaît, m’abandonnant à de bien sombres réflexions. Dehors, le jour baisse. Bientôt ce sera la nuit et je me coucherai. Demain, mes heures de cours m’accapareront. Je serai loin de tout cela et pourtant ce qui me paraît le plus vague et le plus inconsistant, ce sont précisément ces heures-là. étrange impression que le passé est plus réel que tout ce que je suis en train de vivre actuellement.

À peine commencé-je à enlever la tasse où Teste a posé ses lèvres que je découvre, exactement à la même place, un homme étrange, à l’œil pétillant de malice. Il n’y a pas de Santouri ce soir, dit-il en caressant le tissu qui recouvre l’objet volumineux sur ses genoux. Et voilà qu’il entame une longue conversation sur l’amour, la haine, le hasard, la poterie, Dieu… Puis un long silence s’écoule sans qu’il souffle mot.

‒ Ah ! mon pauvre vieux ! Ils sont tombés bien bas, les hommes, pouah ! Ils ont laissé leurs corps muets et ils ne parlent qu’avec la bouche. Mais qu’est-ce que tu veux qu’elle dise, la bouche ? Qu’est-ce qu’elle peut dire ?
À ce moment-là, j’ai cru qu’il allait se lever pour danser. Mais non. Il continua à caresser son instrument en répétant de temps à autre : On ne va pas se mettre à faire des phrases !

Le clou de mon vendredi a été ma rencontre avec Jacques le fataliste. En personne. Tout de suite il s’est mis à me parler du Grand Rouleau qui conduit le destin des hommes, mais dont nous ignorons tout.
‒ Pourquoi aller au petit pas… C’est que faute de savoir ce qui est écrit là-haut, on ne sait ni ce qu’on veut, ni ce qu’on fait, et qu’on suit sa fantaisie qu’on appelle raison, ou sa raison qui n’est souvent qu’une dangereuse fantaisie qui tourne tantôt bien tantôt mal.

J’ai voulu qu’il m’explique pourquoi on l’appelle Jacques le fataliste. Depuis longtemps j’entendais dire autour de moi que la fatalité va de pair avec une certaine passivité. À maintes reprises, Jacques avait prouvé son courage dans des situations bien périlleuses.

J’attendais une réponse. Il a commencé à me raconter ses amours, puis, en beau milieu de son histoire :
‒ Il est temps pour moi de partir. Mon maître doit déjà s’inquiéter. C’est qu’il est seul ; personne pour lui tenir compagnie…
Et il a disparu comme il était venu…
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La nuit berce les montagnes. Douces et réconfortantes, des myriades d'étoiles palpitent dans le ciel légèrement embrumé. Quelques nuages voyagent au milieu des constellations et des figures protéiformes se dessinent. Face humaine. Silhouette d'un fennec. Défilé de figues sèches. Olives brunes et ridées, fendues par des becs d'étourneaux. Peu à peu émergent dans la bigarrure des souvenirs ces jours anciens où le vent s'amuse à faire ricocher les épis houleux des champs et découvre la peau délicate des coquelicots...
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Elles sont partout,
au-dessus des toits,
près de la fontaine,
élancées frénétiquement en des escadrilles de joie,
s’appelant et se répondant par de petits cris aigus.

Tout en trissant,
elles composent dans le ciel adouci par le soleil déclinant
des menuets harmonieux,
fondent en troupes légères vers le sol,
se plaisent à changer de destination
avec un éclat de défi dans la voix.

Ahmed regarde ces petites fées espiègles,
bercé par le bruit très doux de leurs ailes
taillées comme des arcs pointus,
dissolvant l’air dans leur fuselage.

Tantôt elles le précèdent dans sa promenade,
tantôt les hirondelles le suivent.
Et dans cette floraison brune aux éclats de feu,
ce sont ses journées qu’il voit dessinées
par ces actrices insouciantes.

Subitement Ahmed se met à chanter
cette berceuse qu’il a inventée
la nuit où Djédjiga et lui
ont dormi à la belle étoile.

Ô ma colombe
Ô ma chérie
Est-ce que tu voudras
que je nage
encore dans ta pureté
Ô mon amour
est-ce que là-haut
le ciel est assez grand
pour deux
Si tu m’ouvres cette nacelle
nous fendrons la neige ensemble
et toute extase pourra recommencer
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Jijel, jeudi 06 janvier 1994

Beauté mature et profonde du littoral.

Eclat sombre et mystérieux de la houle.

Les vagues s’impriment sur le parchemin de la mer avec des teintes graves et tranchantes.


ça se voit que l’hiver est passé par là, s’attarde, ravaude ciel et terre.

Et dans cet immense miroir qui vibre et s’agite, c’est tout notre pays qui se reflète.

Impétueux défilé des véhicules militaires…

Démarche abîmée des passants qui se pressent d’une manière confuse…
Jours désordonnés…

Au milieu du fracas des vagues hurlent les sirènes, éclatent les détonations d’armes automatiques.

J’aimerais bien t’écrire d’autres mots, ma chérie, mais ici tout a tellement changé…

Plus rien n’est comme à l’époque de ton voyage.

Oui, hélas, nous traversons une situation aussi indescriptible qu’incompréhensible.

Les mots m’échappent comme le vent…

Le vent du large qui amène des relents de liberté. Des relents fallacieux.

Tu te souviens de Jijel, cette charmante ville que nous avons traversée ensemble il y a deux ans déjà ?

En la quittant, tu avais dit : "il ne semble pas qu’ici il faille se donner beaucoup de peine pour être heureux".

Mais ce vent qui file à toute allure le long de l’avenue…
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Un après-midi, alors qu’il songeait à la chance que représentait l’étoile lorsqu’il aurait à prendre de grandes résolutions, Akli s’engagea sur un promontoire en terre fortement détrempée, à une trentaine de mètres au-dessus d’une cascade que formait la rivière. Et comme chaque fois qu’il parlait en cavale ‒ ainsi le disait-il lui-même pour évoquer ses sorties visionnaires ‒, il perdit quelques instants toute notion d’espace. Ce fut suffisant pour que son pied déséquilibré le fit verser sur la pente raide. Il eut tout juste le temps d’accrocher une main à la bordure. Il serait sans doute tombé si Babouh, qui errait par là, n’était accouru hors d’un fouillis d’arbustes et ne l’avait aidé à se hisser.
Pour le remercier, Akli emboîta le pas à Babouh comme si secrètement il l’avait invité à le suivre. Ce dernier se dirigea vers le hêtre qui enjambait la rivière et le franchit d’un pas alerte. Akli se mit à plat ventre et progressa doucement sur la cambrure écorcée, respirant à pleins poumons la mousse humide et les champignons noirâtres. Une fois sur l’autre rive, il s’engagea sur le chemin qu’avait emprunté Babouh.
Là, à maintes reprises, Akli fut assailli par des visions d’une telle force dramatique qu’il crut que l’étoile pour une fois le trompait, désorienté telle l’aiguille d’une boussole qu’on eût secouée trop violemment. Non, il ne pouvait se résoudre à croire à ce qu’elle lui annonçait.
Tout était si ignoble, si profondément injuste que même s’il s’avérait un jour qu’il avait été abusé par son étoile, se jouant à l’éprouver par de fausses prémonitions dans nul autre but que de l’endurcir, il ne pourrait exprimer à quiconque ce qu’il avait entrevu, pas même à son grand-père avec lequel il partageait tant de secrets. Le vieil homme le croirait fou s’il le lui disait.
Pourtant, Akli refoula ses visions en retrouvant Babouh dans une clairière où l’on entendait le doux écoulement du vent dans les feuilles. Il était assis sur un tronc réduit à sa base. Ses larges épaules ne bougeaient pas. Ses longs cheveux s’entremêlaient comme des lianes. On aurait dit qu’il faisait corps avec la forêt en restant immobile, insensible au passage de la brise.
Babouh se leva hiératiquement, s’approcha des blocs de granit qui formaient une voûte au nord de la clairière, et d’un geste de la main lui indiqua l’entrée d’une grotte. Aussitôt il s’y enfonça, aussi prompt qu’un lièvre dans son terrier, pour n’en plus ressortir. Avec mille précautions, Akli s’approcha à son tour et aperçut un couloir obscur où brillait le regard incitatif de Babouh. Sans hésiter, il s’engagea dans la cavité glacée, guidé par la respiration saccadée de son ami. Certes, l’air était peu abondant et contraignait à des efforts supplémentaires pour avancer normalement ; néanmoins, piqué par une sourde curiosité, Akli ne s’en inquiétait pas. Une fois encore, il ne consulta pas l’étoile. Il voulait se réserver la surprise de découvrir ce que son guide se proposait de lui montrer.
Doucement, ils se coulèrent dans les ténèbres fraîches des profondeurs secrètes de la terre. Akli se dit qu’ils devaient progresser sous la forêt, loin du monde qui vivait, étudiait, labourait, se battait, souffrait ou mouraient ; loin de toutes les luttes sanglantes, semblables à un mauvais rêve. Tout être qui pénétrait ces lieux était soudain protégé des influences nocives, des souffles mortifères des vents. Il se trouvait, par une sorte de grâce surnaturelle, affranchi du sort humain. Akli sentait tout cela sans que babouh lui parlât. Il lui suffisait d’être ici pour que toutes ces pensées lovées dans les cavités souterraines s’offrissent à lui. Divine force que la suggestion ! L’enfant savait ce que Babouh voulait lui dire. Il le remercia intimement de l’avoir emmené dans cette grotte pour connaître l’autre face des prédictions, l’expression des rêves bien vivants, au fond des citernes d’un monde invisible, mais tellement plus vrai et plus pur.
Akli était à nouveau désorienté. Il avançait cependant en compagnie de Babouh dans les sous-sols de la terre, vers une profondeur que tout son être ressentait comme étant le centre des choses, une attraction lumineuse qu’il suffisait de pressentir pour continuer de s’acheminer. Nul n’étant besoin de voir, de ce regard qui lui était nécessaire dans la forêt ou dans le village auprès des siens. Il suivant son guide, ignorant où ses pas le menaient. Dans la paroi, subitement, il découvrit une multitude de constellations qui faillirent le renverser d’éblouissement. Émerveillé, Akli ne bougeait plus. On aurait dit qu’on avait scellé dans la grotte un pan de petites lagunes miroitantes.
— Ce sont des opalines, dit Babouh avant de disparaître plus avant dans la nuit.
— Attends-moi, demanda Akli soudain désenchanté.
Mais aucun son ne lui parvint. Alors toute la paroi se ternit d’un seul coup. Babouh paraissait terriblement loin et Akli était angoissé comme la première fois où il n’avait pu franchir le bras du hêtre. Des arêtes aiguës venaient à l’encontre de son front. Les parois se rétrécissaient ; il fallut ramper sur le sol continûment mouillé. Le visage maculé, Akli avait un goût de glaise dans la bouche. Des gouttes glaciales descendaient sur sa nuque, puis le long de son dos. Il avait l’impression d’avancer depuis des heures, sans but, et il commençait à regretter de s’être enfoncé si profond. À tout instant, il craignait d’être submergé par des eaux résurgentes. Parvenu toutefois à un endroit évasé où l’air circulait librement, il se sentit apaisé.
— J’ai dû atteindre ce centre que je pressentais, se dit-il en inspirant à fond.
Tout à coup, il vit un lac à ciel ouvert où virevoltait un banc de poissons violets illuminant d’imperceptibles zébrures de sable blanc de la profondeur toute proche tellement l’eau était translucide. Akli n’en croyait pas ses yeux. Il lui semblait voir le cœur de la pureté du monde. Il pensa à son étoile, puis à toutes ces blancheurs et ces lumières qu’il avait découvertes tout près de lui.
— Les étoiles sont tout au fond de nous, lui soudain Babouh d’une voix aussi claire que l’eau du lac. Dans la vérité de notre cœur, on pressent ce que la terre nous cache pour ne le découvrir que si nos désirs sont purs.
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Après un repas frugal, Lounis allume le poste de télévision. Le petit écran lui apporte l’apaisement. Il adore les films d’action, trépigne comme un enfant au cours des poursuites en voiture. Quelle meilleure invention de liberté que l’automobile ? On franchit tous les obstacles que la nature met au-devant de soi, on file, on glisse presque sans mentir à la vitesse de la lumière, on devient insaisissable et transparent, on s’échappe de soi-même. Quelle revanche on prend sur tout ce qui nous pourchasse ! Il tire sur sa cigarette avec cette patience pleine d’assurance qu’ont les héros et de cette énergie impalpable, il puise une force extraordinaire. Voilà qu’il atteint le fond d’une impasse que la vitesse de son bolide pulvérise. Grisé définitivement, hors de prises, il s’enfonce toujours plus avant dans un espace incommensurable, blotti dans cet œuf magique, silencieux, qui accroche au passage des lueurs d’étoiles. Puis c’est la nuit avec son cortège de silhouettes louches, celles d’une faune citadine qui l’effraient et il se recroqueville au fond de son lit, conscient qu’un autre film dont l’issue est incertaine se poursuit.
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La loi du 18 juillet 1974 a institué le remaniement cadastral, opération qui consiste en la refonte complète des documents cadastraux dans les communes où le plan n’offre plus la qualité suffisante et où la valeur foncière des terrains s’est notablement accrue. Selon l’importance du chantier, les travaux de remaniement sont à classer en trois groupes :

1) Chantiers importants confiés aux brigades foncières des directions régionales ou nationales (BRF – BNF).

2) Chantiers de moindre importance exécutés par les géomètres des centres des impôts fonciers (CDIF) et traités avec l’assistance de la photogrammétrie (atelier de l’École Nationale du Cadastre de Toulouse).

3) Chantiers de taille moyenne, de superficie inférieure à 300 hectares, exécutés par les géomètres des CDIF et traités par procédés terrestres.
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Anuḥ anruḥ (Partir partir )

(Aḥiḥa – Refrain)
Ayabdad alwaqt anruḥ (Il est temps de partir)
anuḥ ar'tmurt anruḥ (Partir au pays partir)
attnzar dyuγal aruḥ (En le voyant l’âme va renaître)
artmurt asa anruḥ (Au pays aujourd’hui nous partons)

Asagi anuḥ anruḥ (Ce jour nous partons nous partons)
d'Vgayet iγitt radjun (C’est Béjaïa qui nous attend)
Attn'zar dyuγal aruḥ (En la voyant l’âme va renaître)
aneks alkiq amaγbun (La misérable nostalgie va disparaître)

Yemma Guraya aεlayen (Yemma Gouraya la très haute)
adedwu ak idmawen (Va éclairer tous Les visages)

Aḥiḥa – Refrain

Asif asif anadu (Fleuve fleuve nous te longeons)
anawad ar Sidiεic (Tu nous mènes à Sidi-Aïch)
dina igelha waḍu (Là où l’air est clément)
dina igeqwem wemεic (Là où la nourriture est délicieuse)

Acik Aḥadad iγna (Le Cheikh Hadad est riche)
arawis ak dilahna (De ses enfants tous en paix)

Aḥiḥa – Refrain

Abrid abrid dasawen (Par le chemin pentu nous grimpons)
anali ar ukafadu (Nous atteignons Akfadou)
akal ledjdud aγlayen (Chère terre de nos ancêtres)
dalmuḥal adaknattu (Jamais nous ne t’oublierons)

Agasmi inala gaduḥ (Depuis le berceau)
ismik ayazdaγ agul (Ton nom habite notre cœur)
γas akan nγab nruḥ (Même exilés même partis loin)
andi nala agdnefk azul (Là où nous sommes nous te saluons)

A Sidi M'hand aεzizen (Sidi M'hand Arrezag)
chabḥaγd chabḥaγd usanen (Va illuminer nos jours)

Ayabdad alwaqt anruḥ (Il est temps de partir)
anuḥ ar'tmurt anruḥ (Partir au pays partir)
artmurt asa anruḥ (Au pays aujourd’hui nous partons)
attnzar dyuγal aruḥ (En le voyant l’âme va renaître)


Leave leave

(Tune)
It's Time to leave
Leave to the Country leave
Seeing it the soul can be reborn
In the country today we leave

This day we leave we leave
It is Béjaïa which waits for us
By seeing it the soul is going to be reborn
Miserable nostalgia is going to disappear

Yemma Gouraya the very high
Is going to light all the faces

Tune

River river we follow you
You lead us to Sidi-Aïch.
Where the air is clement
Where the food is delicious

The Sheik hadad is rich
In is children all in peace

Tune

By the sloping way we climb
We reach Akfadou
Expensive earth of our ancestors
Never we shal not forget you

Since the cradle your name lives in our heart
Even exiled even left far
Where we are greet each
Other to you

Sidi M'hand Arrezag
Is going to illuminate our days

It's time to leave
Leave to the country leave
In the country today we leave
Seeing it the soul is going to be reborn
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Après le départ de cette Femme, une chose s’est produite. Quoi exactement ? Je ne saurai le dire. Mais je ne suis presque plus bloqué dans mon cagibi. Libéré, je me suis mis à rêver d’une ville bâtie sur des rochers, d’un fleuve aux contours voilés irriguant ses profondeurs. Puis je suis descendu le long d’une cascade. Et j’ai cru caresser la crinière d’un cheval blanc dont je ne vois pas les sabots, malgré la saccade vivante de toutes ses courses recommencées et la prodigieuse mobilité de ses flancs humides. Je me suis retrouvé dans une caverne, puis dans une autre. Ma conscience s’est élargie. J’ai senti à quel point la volonté d’un homme peut déplacer sur terre bien des limites. Je suis nulle part et partout à la fois. Pourtant, il m’a semblé apercevoir dans ce labyrinthe toutes les sources de l’univers rassemblées là dans des citernes souterraines coupées du reste tumultueux…

After the departure of this Woman, a thing occurred. What exactly ? I shall not know how to say it. But I am not almost more blocked in my cupboard. Freed, I began dreaming about a city built on rocks, about river in veiled outlines irrigating its depths. Then I came down along a waterfall. And I believed to caress the mane of a white horse clogs, in spite of the alive jerk of all its begun again races and the prodigious of which I do not see mobility of the wet sides. I found myself in a cave, then in an other one. My consciousness widened. I felt to what extent the will of a man can move on good earth limits. I am nowhere and everywhere at the same time. Nevertheless, it seemed to me to perceive in this labyrinth all the sources of the universe gathered there in cut underground tanks besides tempestuous…
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Qui est cette femme ? Que veut-elle ?
Je la contemple sans me soucier de ses réactions. Elle n’est pas déterminée à engager la conversation. Moi, non plus. J’en profite pour suivre les lignes de son visage que l’obscurité travaille à rendre plus sculptural. Ses yeux sont noirs et brillent terriblement. Elle regarde à présent la pièce, doucement, puis elle baisse la tête. Pour une fois, le silence ne silence ne m’est pas pesant. Pour elle, non plus, on dirait. La moisissure derrière elle l’entoure d’un halo assorti.

Who is this woman ? What does she want ?
I contemplate her without caring about his reactions. She is not determined to strike up a conversation. I, either. I take advantage of it to follow the lines of the face which the darkness works to make more sculptural. The eyes are black and shine terribly. She looks at the moment at the room, slowly, then she lowers the head. For once, the silence not silence is not me heavy step. For her, either, we would say. The mold behind her surrounds him with a matched halo.
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Le rêve américain

Je venais de recevoir une carte de Djamal. Il vivait à présent à Athens en Georgie, lui dont personne n’aurait soupçonné qu’il puisse s’exiler aussi loin, tellement il paraissait plus attaché que nous à nos montagnes. Finalement il avait réussi à obtenir un poste à l’université, dans le département de recherches biologiques et agricoles. Je me souviens encore de ses moments de réjouissances, lorsqu’il songeait à son retour au bled. Il rêvait à voix haute devant nous des heures de cours qu’il dispenserait à ses futurs élèves à l’université de Béjaïa. Il avait acheté une 505 en prévision de son départ. Elle était restée garée plusieurs mois chez le concessionnaire Peugeot-Bernard, cours Jean Jaurès.

Un jour, un courrier arriva de Caen. On lui proposait un poste d’assistant associé. Alors il n’eut d’autre choix que de revendre sa voiture achetée hors TVA, ce qui ne lui permettait pas de rouler sur le sol français, à moins de payer les 20 % du prix du véhicule. Il préférait acheter une autre voiture lorsqu’il retournerait en Algérie. à Caen, il resta deux ans. Puis il envoya sa candidature dans une université américaine où il fut accepté.

D’après ce qu’il écrivait sur sa carte, de sa belle écriture d’écolier studieux, il paraissait plutôt heureux. « Ici, concluait-il, pour l’instant, ça va. » Cette carte offrait un aperçu du vieux campus dans lequel il vivait. Deux phrases en anglais précisaient : « Strolling the streets of Athens, one can enjoy delicious dining, excellent shopping and quaint scenery. The University of Georgia's Old campus is beautifully designed to meet the streets of Athens. » Probablement ce campus se trouvait-il en plein centre-ville.

Quand je pense à Djamal, il me revient toujours cette scène où il nous explique que malgré la prononciation -el, son prénom s’écrit à la fin -al. Il tenait à ce que l’on n’oublie jamais cela comme à la prunelle de ses yeux. Je ne me souviens plus si c’est une erreur de retranscription ou si c’est le choix de son père.

Juste avant son départ à Caen, nous avions déjeuné dans un restaurant grenoblois tenu par un couple mixte : Djida, une Kabyle, et Yohan, un Breton. Au menu : couscous au lait caillé, accompagné d’une grillade. À la fin du savoureux repas, Djamal était allé féliciter Djida. Elle l’avait informé de l’existence d’un livre d’or où il pouvait écrire un mot s’il le souhaitait. En parcourant les pages Djamal avait découvert les lignes du chanteur Idir. Sa joie avait été immense lorsqu’il avait joint les siennes à celles de notre idole. Il m’avait fait savoir qu’il avait assisté au concert du chanteur, au palais des sports de Grenoble, en 1984. Et dire que nous ne nous étions pas vus ! Ce jour-là, avait-il précisé, les filles étaient sur leur 31. Il s’était d’ailleurs demandé d’où venait cette expression. Peut-être, avait-il suggéré, par référence à la nuit de la Saint-Sylvestre où l’on s’habille bien. Il avait apprécié que les filles dansent jusqu’à la fin du spectacle comme au bled. Ses confidences nous avaient rapprochés.

J’ai gardé sa carte d’Athens dans mes archives personnelles. Ce qui arriva à mon ami par la suite la rend plus précieuse encore.
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Au sortir de Part-Dieu, Lounis prend un bus jusqu’à la Place Bellecourt. Une centaine de mètres à pied et il rejoint Nacer qui l’emmène au consulat, prend un numéro et après une demi-heure d’attente dépose son dossier pour un nouveau passeport qu’il récupérera l’après-midi.
À midi, ils dégustent un chiche-kebab à la Presqu’île, puis vont à Gerlan visiter le nouvel appartement de Nacer qui vient de passer tout le mois d’août en Algérie.
— Ce sont toujours des moments précieux de ressourcement auprès des siens. On redécouvre les paysages, les visages, on hume de nouveau les odeurs chères à notre enfance, on se lance dans des discussions à n’en plus finir… Et on redécouvre aussi les tares de notre société !
Il s’arrête un instant pour reprendre son souffle, puis :
— Nos hommes sont atteints de ce qu’on peut qualifier de “dalite”… Ils construisent le gros œuvre du rez-de-chaussée de leur future maison, font la dalle, s’installent au milieu avec une chaise et demandent à leurs femmes de leur apporter un café…
— Ainsi, dit Lounis, ils peuvent admirer leur œuvre tout en sirotant le délicieux breuvage !
— Et les autres peuvent aussi les admirer !
Après un moment Nacer continue :
— J’aime bien critiquer de temps à autre la société kabyle, surtout quand elle le mérite vraiment ! Mais je reconnaîtrai toujours les yeux fermés un des nôtres grâce à sa gentillesse, sa pudeur que l’on prend parfois pour de la timidité, son respect des autres… Et j’ai envie d’ajouter son raffinement, son élégance et sa classe naturelle…

Après le café, Nacer propose à Lounis d’aller marcher au bord du Rhône, situé à quelques mètres de l’appartement. Ils ont vite fait de l’apercevoir. Vif, pressé dans son costume urbain, presque nerveux. N’était sa belle couleur gris bleu, il aurait eu bien du mal à reconnaître le fleuve qu’il longe chaque jour depuis son installation à Guilherand-Granges. Ici, il paraît plus sérieux, un tant soit peu austère, comme s’il charriait sur son dos des ambitions plus lourdes. Les bâtisses s’y mirent avec des airs imposants, mais si l’on caresse l’onde, on retrouve la belle courbe tendre qui incite au rêve et au voyage. Nacer lui apprend que Le Rhône prend sa source dans les Alpes suisses, parcourt presque 300 km avant de se jeter dans le lac Léman et d’en ressortir à Genève. Il entre ensuite en France et après plus de 500 km finit son parcours dans le delta de Camargue. Quant à la Saône, elle prend sa source dans le département des Vosges et conflue avec le Rhône à Lyon. Le Doubs est son principal affluent.
— Le Maire a fait aménager les berges et l’on peut désormais se promener tranquillement. On peut même aller très loin, pendant des heures si l’on veut.
Lounis sourit à cette allusion, lui qui n’est pas très sportif et pour se justifier ajoute :
— Moi, c’est surtout dans ma tête que je marche !
Ils passent devant le lycée international. Un bâtiment moderne, en forme de S, ouvert sur l’extérieur, d’où les élèves ont la chance de pouvoir apercevoir les péniches. Un instant, il se prend à rêver qu’il est en terminale dans ce bel édifice. Les fenêtres de ses salles de cours donnent sur l’eau. Des mouettes des villes s’en vont rejoindre des mouettes des campagnes. Des éclats de soleil lui font des clins d’œil et il se frotte les yeux, totalement ébloui.
— Tu as entendu ?
Il ne sait plus très bien où il est, ni qui lui parle.
— Tu sembles fasciné par sa beauté ! Tu devrais venir t’installer à Lyon !
Alors il reconnaît la voix de Nacer et lui sourit.
— C’est une belle ville. Pourquoi pas !
Il n’ose lui dire que sans travail, il est coincé. Et comme si Nacer avait lu dans ses pensées, il lui dit :
— On t’aidera à t’installer et à trouver du travail. J’ai des amis, tout un réseau ! Un philosophe, j’ignore qui exactement, a dit un jour que dans le désert de la vie, la solidarité est la clef de la survie.
Son ton amical lui fait du bien, sa promesse de l’aider aussi, même s’il sait bien au fond de lui que venir s’installer ici est compliqué et sans doute impossible. Il a de nouveau une famille. Il se rappelle de l’époque où ils essuyaient leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs à l’école communale. Nacer était un écolier d’un caractère doux et généreux. Il se réjouit de voir que la vie ne l’a pas abîmé, qu’il a gardé son âme d’enfant.
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La Belle Dame de Crest (légende)

Pour Honoré Grispan rien n’est plus beau que la Tour de Crest.
Il faut dire aussi qu’il est bien placé pour en admirer la magnificence, puisque c’est lui qui en a la garde. Eût-il à s’occuper de Versailles lui-même qu’il préférerait rester près de sa Tour. Il n’a qu’à lever la tête pour ne plus vouloir détacher son regard de ce monument historique associé à la vie des hommes avec une rare intimité.
Quelles métamorphoses s’y opèrent du lever du soleil à la tombée du soir ! Quelle splendeur que cette silhouette toute caramélisée par les lumières de la nuit ! Quelle pureté des lignes !
La pierre y prend la légèreté d’une fumée, la grâce d’une jeune fille et parfois la brutale puissance du guerrier prêt à partir au combat. Il ne se passe pas un jour sans qu’en l’espace de quelques heures ne se déroulent d’innombrables fantasmagories.
Ô belle diva, comme tu élèves l’âme et la pensée, comme tu rassures l’égaré ! De loin tu ressembles à un phare au-dessus duquel tout un océan de papillons ondoierait soudain.
Si, en hiver, Honoré Grispan apprécie de l’avoir toute à lui, dès qu’approche le printemps, il se réjouit à l’idée d’accueillir de nouveaux visages et brûle déjà de partager avec eux son admiration pour ce joyau médiéval.
Quelques semaines avant leur venue, en compagnie de son chien, il a l’habitude d’examiner avec minutie les abords de la Tour et de s’assurer que les intempéries n’aient causé aucun dommage.
Un matin de mars, il se leva de bonne humeur et entreprit son inspection. Il introduisit la grosse clef dans la serrure de la porte en bois, fit jouer plusieurs fois le mécanisme, heureux de constater que tout fonctionnait bien. Après quoi il s’arrêta devant la façade de l’enceinte sud pour relire à voix haute ce texte en anciens français dont il ne se lassait pas :

Seigneurs ne soyez en effroi
Aussi bien qu’ayez palefrois
Nous fûmes de plus grands seigneurs que vous n’êtes
Terre nous a le corps pourri
Aussi bien que fussions nourris
Et fils à Roi et fils à Comte
De rien la mort a tenu compte
Les lois de la mort sont fatales
Aussi bien aux maisons royales
Qu’aux taudis couverts de roseaux
Tous nos jours sont sujets aux Parques
Ceux des bergers et ceux des Monarques
Sont coupés de mêmes ciseaux
Et sur cette vérité je demeure
Oh habitants de CREST

Votre fidèle voysine et très parfaiete amye "LA TOUR"

Il s’écarta ensuite de la calade et fut enchanté par la houle des toits pourpres, la luisante coupole de l’église Saint-Sauveur, le ruban sinueux de la Drôme et au loin les Trois Becs flottant dans une mer de brume. Une fois parvenu au pied de la Tour, il fit une étrange découverte. Au bas de la façade, pareils à du lierre, des graffitis rouges grimpaient en lettres déliées. De rage, il se lança en imprécations contre la main diabolique qui avait osé souiller la Belle Dame. Il courut chez lui chercher de la peinture, sans cesser de maudire le criminel.
Heureusement, quelques coups de pinceau suffirent pour redonner de l’éclat à la tenue de la Belle Dame. La beauté du ciel ce jour-là, la netteté avec laquelle la Tour s’y découpait lui firent oublier cet incident.
Mais le lendemain, il vit, au même emplacement que la veille, des caractères qui s’élevaient à environ deux mètres du sol. Leur couleur pourpre avait quelque chose de cruel.
S’efforçant de garder son sang-froid, il scruta ces infâmes signes semblables aux traces d’un meurtre. Il se demandait si ces caractères avaient un sens et s’ils ne cachaient pas une signature ou une intention. Il ne put rien déceler et s’en fut chez lui chercher un escabeau. De plusieurs coups de pinceau, il effaça le forfait.
Le jour suivant, tandis que le soleil se levait, il se précipita le cœur battant, jusqu’au bas du donjon. Quel soulagement de voir sa façade si pure et si radieuse ! Il resta longtemps à la regarder pour s’assurer que les signes odieux ne réapparaîtraient plus. Alors tout rasséréné, il vaqua à ses occupations sans plus songer à cette main assassine.
Deux semaines passèrent et rien d’anormal ne se signala. Honoré Grispan aurait tout oublié si un matin il n’avait découvert avec stupeur au milieu de la façade, peint en lettres gigantesques, rouge-sang, un message qu’il lut plusieurs fois d’un air hébété : Sire, oyez moi…
Quand il se fut remis de son émotion, il ramena une échelle et pendant plusieurs heures il s’employa à effacer de la mémoire de la pierre ces mots ignobles, ces mots impurs.
— Ce Belzébuth qui ose souiller ma Belle Dame, je jure de l’attraper et de le déshonorer ainsi qu’il a déshonoré ma diva !
Toute la nuit, accompagné de son chien, Honoré Grispan veilla auprès de sa Tour, figé parmi les arbres qui faisaient le gué comme lui. Vers une heure, sa diva rejoignit l’ombre. Son sommeil était si tranquille qu’il n’entendait pas sa respiration. On eût dit qu’elle avait disparu, que le ciel jaloux de sa beauté l’eût dérobée. À un moment il se trouva nez-à-nez avec une figue noire et gonflée ; un chat qui tenait entre ses dents quelque chose de minuscule, une pointe de feutre… Ce n’était qu’une souris. Dans cette nuit dense, ce chat était affreux à voir.
De nouveau Grispan reporta ses yeux sur sa diva, sur son corps démesurément long. Peu à peu il sombra dans les bras de Morphée. Pas pour longtemps. Son chien le réveilla, aboyant comme jamais il n’avait aboyé. Il fouilla l’ombre, mais ne trouva que vide et silence. Son chien continuait de hurler sinistrement en tournoyant sur lui-même.
Soudain, Honoré Grispan s’arrêta, cloué sur place. Sur un carré de la Tour, noir tel du velours, une main se détacha, une main d’homme, plutôt un squelette de main preste et effrayante qui écrivit sur la façade, de plus en plus haut, de gigantesques mots, des mots teintés d’une couleur si pourpre qu’elle en perçait la nuit.
Ô toi, l’ami ! Je savais que je te trouverai un jour sur ma route. Tu es le seul à pouvoir comprendre ma douleur, le seul à savoir que je suis innocent. On m’a enfermé de force. On m’a ligoté le corps et l’esprit. On a voulu me tuer, moi qui n’ai tué personne.
Un frisson parcourut le dos d’Honoré Grispan. Il eut l’impression que la chaîne des prisonniers n’avait jamais été brisée, qu’au-delà du temps la douleur s’écrivait encore sur ces hautes parois à l’instar d’un morceau de parchemin. Brusquement la main disparut. Le chien cessa d’aboyer. La nuit s’éclaircit. C’était l’aube.
Tout tremblotant de froid et de peur, le brave homme pénétra dans l’église Saint-Sauveur et pria pour le repos éternel de ce prisonnier évadé de l’autre monde. Ce matin-là il n’eut pas à effacer les lettres. La façade lisse et pure étincelait sous le soleil. C’était sa diva de toujours, son amoureuse vêtue de sa belle robe de printemps, les bras déjà tendus vers de futurs visiteurs.
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