Citations de Isabelle Bruffaert (40)
L’intimité est une denrée rare dans cet hôpital, ajoute-t-il en refermant la porte, mais ça, tu le sais déjà. Alors, raconte-moi tout, comment te sens-tu depuis ta sortie ?
Elle était en paix avec elle-même et avait retrouvé le sommeil. Elle songea qu'il ne lui restait plus que deux nuits dans son lit... Elle était heureuse de changer complètement d'environnement ; en y repensant elle se disait qu'elle avait pris la bonne décision. Quitter cette ville emplie de souvenirs et de fantômes guérirait sûrement son âme blessée.
Depuis qu'elle était enfant, son rêve était de voir un jour le Kilimandjaro. Le destin lui en offrait aujourd'hui la possibilité, mais sauter le pas la terrifiait...
Le problème était réglé pour aujourd'hui, mais des tas de questions se bousculaient dans sa tête : que se passerait-il demain ? Et les autres jours ? Allait-elle commencer à craindre de sortir seule ?
La pause était un moment de plaisir ; à présent c'était une corvée car elle déjeunait tous les jours avec un fantôme... Ses collègues, devinant sa détresse, lui avaient proposé de venir avec elles, mais elle ne se sentait pas encore prête et préférait rester solitaire.
Son ex. Antoine était désormais son ex. Elle ne réalisait pas encore à quel point sa vie allait changer... Elle était sous le choc des instants qu'ils venaient de vivre et n'aurait jamais imaginé qu'Antoine était capable d'une telle violence. Son côté possessif la terrifiait, mais dans le même temps la confortait dans sa décision.
La veille, elle avait fini par sombrer dans un sommeil sans rêves, libérateur, et ces quelques heures de repos lui avaient fait beaucoup de bien. Elle se sentait mieux, et se dirigea vers la cuisine pour manger un peu, car elle avait sauté le repas de la veille au soir.
Je regrette, une femme n'a pas à suivre aveuglément un homme qu'elle vient juste de rencontrer, répondit-il d'un ton sec. D'ailleurs je n'aime pas ces garçons, ce Thomas et ce Kilian.
Ne joue pas à ce jeu avec moi... Je ne suis pas un de tes petits admirateurs de passage. J'espère bien que tu seras là quand je reviendrai vendredi, et alors nous aurons une explication approfondie, toi et moi.
Et à présent elle se demandait comment faire machine arrière. Elle ne voulait pas le blesser, mais ne voulait pas non plus continuer à s'engager avec lui. Elle avait besoin de réfléchir quelques temps avant de prendre une quelconque décision. Bien sûr elle avait encore des sentiments pour lui, mais elle avait la désagréable impression de s'être fourrée, bien malgré elle, dans une situation inextricable...
Lui qui était d’habitude si calme et posé avait bien du mal à cacher son excitation, et ses yeux brillaient dès qu'il les posait sur elle. Il roula plus vite qu'à l'accoutumée, et les pneus crissèrent dans l'allée caillouteuse du jardin tandis qu'il freinait brusquement.
Elle avait pourtant désiré de façon si ardente ce revirement… et à présent qu'il se concrétisait enfin, elle n'en éprouvait pas de joie particulière. Tout juste un amer sentiment de soulagement : ce n'était plus elle qui souffrait. Un mois seulement plus tôt, elle aurait trépigné de joie à l'idée qu'enfin, il était peut-être prêt à envisager une évolution sérieuse de leur relation.
À présent, cette idée lui faisait plutôt peur.
L'aimait-elle encore toujours autant ? Elle en doutait. Trop de désillusions, trop d'espoirs vains, trop d'humiliations insidieuses et répétées.
Il faisait contre mauvaise fortune bon cœur, mais Elsa savait qu'il était inquiet de son soudain envol, et de sa vie sociale qui se développait. D'autant plus qu'Antoine se rendait compte qu'elle vivait beaucoup mieux la situation qu'ils ne l'auraient cru, aussi bien l'un que l'autre.
Contrairement à toute attente, il était à présent évident que, des deux, c'était Antoine qui souffrait le plus de la séparation. Prenait-il conscience des sentiments qu'il éprouvait pour elle ? Ou de l'émancipation de cette dernière, vis-à-vis de lui ?
Tous les deux s'apercevaient que leur relation évoluait et que la tendance s'inversait : plus le temps passait, plus Antoine tentait de se rapprocher… et plus Elsa se libérait.
Au moins, elle s'était amusée, et il s'était rendu compte qu'elle pouvait ne pas être toujours disponible pour lui.
Sa fierté remonta d'un cran, et elle songea qu'il était tout de même agréable d'en avoir une.
Cela te rassurait, n'est-ce pas, que je meure d'amour pour toi, que je me consume à petit feu ! Eh bien, appelle cela de la cruauté si tu veux, mais pour moi cette époque est révolue. Et tu m'y as bien aidée.
Elsa avait l'impression que la dernière scène qui s'était jouée entre eux avait déchiré le voile qui obscurcissait son jugement, et elle sentait clairement qu'elle prenait en douceur le chemin de la liberté... Elle en éprouvait certes de la mélancolie, mais petit à petit le soulagement prenait le pas sur la tristesse. Elle n'était plus son esclave.
Antoine était bien plus taciturne qu'habituellement, et elle se douta que lui aussi se repassait en boucle le film de la soirée. Elle lui jetait de temps en temps des regards à la dérobée, et ses mâchoires crispées ainsi que son silence glacial en disaient long sur son état d'esprit.
Chacun mène sa vie comme il veut. Mais que mon cher et tendre ne vienne pas pleurer si, à son retour, je suis mariée et mère de trois enfants ! Qu'il fasse son bout de chemin… je me chargerai du mien !
Elle avait du succès auprès de la gente masculine, et savait qu'elle était jolie. Mais c'était si agréable de l'entendre dans la bouche de l'homme qu'elle aimait...
— Allez, ne traînons plus. Ils vont nous attendre.
Et si le destin lui envoyait la possibilité d'enfin apprendre à se détacher de lui ? Et si ce stage était en fait son billet de sortie ? Après tout, un proverbe ne disait-il pas : à toute chose malheur est bon ?