Le pardon fleurit toujours avec le bonheur de voir revenir un être qui nous est cher et fait partie de notre sang.
Je suis une vieille enchantée, très ancienne, et j'ai accompagné ce peuple depuis son arrivée du Minas, du Recôncavo, depuis son arrivée d'Afrique. Peut-être ne se souviennent-ils plus de Sainte Rita Pescadeira, mais ma mémoire ne me permet pas d'oublier ce que j'ai souffert à leur côté, fuyant les combats liés à la possession des terres, la violence des hommes armés, la sécheresse. J'ai traversé le temps comme on traverse les eaux d'une rivière sauvage. La Lutte était inégale, et j'ai dû supporter maintes fois la déroute des songes.
O medo atravessou o tempo e fez parte de nossa historia desde sempre.
Era o medo de quem foi arrancado do seu chão. Medo de não resistir à travessia pou mar e terra. Medo dos castigos, dos trabalhos, do sol escaldante, dos espíritos daquela gente. Medo de andar, medo de desagradar, medo de existir. Medo de que não gostassem de você, do que fazia, que não gostassem do seu cheiro, do seu cabelo, da sua cor.
Il y avait alors de la profondeur dans les regards, dans les prières, dans les enchantés, indiens, métis des forêts, arrivant les uns après les autres, et remplissant le vide de la caatinga : sans dieu, sans remède, sans justice, sans terre.
Le vieux ne fit tomber aucun mur, il ne retira pas une seule fourche de soutien. Le temps se chargea de démolir la vieille maison. N'abritant plus nos vies, elle semblait se détériorer avec l'urgence propre à la nature qui l'entourait. A chaque forte pluie, une paroi s'écroulait, et pour finir, le vent en termina avec elle. Cette enceinte d'argile sèche, issue du sol d'Agua Negra, retourna simplement à la terre d'où elle provenait. Il en naquit des herbes et des petites fleurs grâce à l'humidité de la rosée, ou de la pluie qui tombait quand les saints en avaient décidé ainsi. J'étais attentive à tout ce qui arrivait, sachant que rien ne reviendrait jamais plus. Je contemplais avec une sorte d'émerveillement le passage du temps, indompté comme un cheval sauvage.
Une terre de maltraitance où les gens mouraient sans le moindre secours, où nous vivions comme du bétail, travaillant sans rien recevoir en retour, pas même un peu de repos.
Après une longue période, j'ai décidé d'essayer de parler, parce que j'étais seule, errant dans cette même forêt où Donana avait l'habitude de se perdre. Je me souviens encore du mot que j'avais choisi : charrue. J'adorais voir mon père conduire la vieille charrue de la fazenda derrière le boeuf, labourant la terre pour semer ensuite les grains de riz dans les mottes brun rouge qu'il avait retournées. J'aimais la chaleur du mot, sa légèreté sonore lorsqu'on le prononçait. "Je vais passer la charrue." Ce serait bien d'avoir une nouvelle charrue, cette charrue est vieille et mal fichue, le soc est faussé." Le son qui sortit de ma ouche était une aberration, un désordre incohérent, comme s'il y avait un oeuf chaud à la place du morceau de langue qui me manquait. C'était une charrue tordue, déformée, laissant la terre stérile, détruite, lacéré. J'ai essayée encore et encore de prononcer le même mot, toute seule, pour rendre la parole à mon corps, redevenir la Belonisia d'avant, mais je fus vite contrainte d'abandonner. Même quand l'oedème s'est résonné, je n'ai jamais réussi à formuler un mot compréhensible. Je ne voulais pas reproduire des sons qui ne me causent que dégoût et répulsion, ni servir de cibles aux railleries des enfants de la classe chez Firmina, ou des filles de Tonha. (pages 160-161)
Crispina et Crispiniana marchaient côte à côte, chacune le double de l’autre. Comme un miroir à trois dimensions, mais sans les bords cassés de celui qui avait appartenu à Donana, ou les berges de sable et de forêt qui encadraient notre image dans les eaux de la rivière.