Les gens du cru se sont mêlés à ceux de sa bibliothèque. D'autres présences, plus secrètes, ont circulé dans son crâne. Une nuit, sa mère morte a même réussi à s'extraire des limbes. Porteuse d'histoires du siècle passé, elle est venue bercer cet enfant hors d'âge, désormais plus vieux qu'elle, en posant des lèvres de terre sur ses joues creuses. Elle était accompagnée d'un corbeau blanc. Celui-ci, perché sur son épaule, ne cessait de peigner, du bout du bec, les cheveux de la vieille.
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Il interpelle tel ou tel autre énergumène bercé par d'extrêmes roulis. A commencer par Chateaubriand, le vénéré dormant couvert de terre, d'argile, de fientes, de rocaille et d'ajoncs qui, à moins d'un brusque raz-de-marée, gîtera longtemps encore au cœur du Grand Bé.
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Parmi eux se trouvait sa mère, l'ancienne égérie des corps éteints, ex-passeuse des frontières invisibles, habituée à tamponner des passeports imaginaires du bout des doigts.
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Gaston Criel, le poète de Swing et de la Grande Foutaise, l'ancien secrétaire de Gide fut, entre autres, au milieu des années quatre-vingt, barman de nuit à La Voix lactée à Valenciennes.
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Je suis de retour, dit-il à l'homme qui l'invite à prendre place sur le divan. Je rentre après deux siècles d'errances. Mon périple est parsemé de fines poussières. J'ai longuement marché, une bougie à la main, de hameaux déserts en zones désaffectées, avançant entre les murs de suie et des troncs d'arbres calcinés. Tout autour, le chant des grillons peuplait la nuit. Au loin, l'enfant que je fus jadis pleurait apeuré dans le lit froid où ont dormi tant de morts.
Je suis sans âge, couvert de cendre, contraint de traverser les générations pour souffler sur les braises de la mémoire familiale.
Elle n'a pas souffert, dit-il.
La lune s'est simplement posée sur son visage.
J'aborde la ville aux premières lueurs de l'aube. C'est à cet instant que je la retrouve. Avec ses silences, ses gestes retenus, ses voiles flous qui glissent autour d'elle sans pour autant toucher terre. Je la frôle, de biais, en buvant un café face à la fenêtre... La séquence reste infiniment marquée du sceau des habitudes... .
Ce que j'esquisse (et vois) n'est que simple contact à travers les carreaux pour vérifier la présence du vent et des nuages ... La bruine est ordinaire, grise, striée, coupante. Comme chaque jour, je distingue, dans la pénombre du ciel qui tire son interminable rideau de flotte sous le halo des réverbères, les éléments d'un décor qui m'est peu à peu devenu familier. Celui-ci court du quartier Italie aux toits des maisons basses - celles des « Castors» - de la Binquenais pour finir au ras du boulevard Oscar Leroux où je me retrouve, hébété et à moitié essoufflé, vingt minutes plus tard, après avoir dévalé les marches blanches de l'escalier qui mène au dehors, à une heure où rien ne bouge alentour.
La mort toute blanche, différente et malicieuse, rôdait constamment aux abords du village. Elle logeait dans les pupilles de la pie, sous le balai déplumé de la ménagère, dans les plis du drap sur le fil. quand elle posait ses sabots sur le seuil d'une maison, on savait qu'elle avait choisi sa cible. Que le linge au vent ne tarderait plus à devenir linceul.
Peu après la fin de la cérémonie, la foule ondule et se met en marche. Elle suit le cercueil en route vers le cimetière où Marco va retrouver le grand-père Sotero. C'est la fin de son parcours terrestre. L'ultime échappée du rebelle. L'heure des adieux au feu follet dont l'ombre viendra peut-être encore danser, de temps à autre, certaines après-midis d'été, sur le revêtement rugueux des lacets en épingle qui montent à pic vers les pointes aiguisées des cols de La Croix de Fer, du Stelvio ou du Mortirolo.
Appelé à la hâte, et accouru sur place en pleine nuit pour bénir la ruisselante dépouille, l'abbé Moro, curé de Plérin, fut le premier à tiquer. Il avança deux doigts, tenta l'onction mais ne put s'y résoudre. Après un bref mouvement de recul, il préféra planquer la burette contenant les dix centilitres d'huiles saintes sous sa soutane.
Il venait de comprendre que le noyé à la poitrine gorgée d'eau salée n'était récupérable pour personne. Le bénir ou pas ? C'était de toute évidence à l'évêque de trancher
Pour l'heure, la sagesse ordonnait de le laisser, corps et âme, reposer en paix.