Les pamphlets de Smaïl-Léger sont hélas prémonitoires de l'islam radical et des attentats sanglants qui en découlent un peu partout. Parce que c'était lui, cet allumé de première, ce mauvais coucheur, les porteurs d'oeillères ne l'ont pas cru, quand ils ne lui ont pas craché à la gueule. Léger savait. Léger nous a dit. Il émarge à cette catégorie d'hommes trop rares. C'est ce qui fait sa grandeur. C'est ce qui va précipiter sa chute.
PEU D’HOMMES...
Peu d’hommes ont le cœur pivoine. Pour beaucoup l’amour est provisoire. Tu ranges tes fiancés comme des parchemins fiévreux dans le désordre des choses. Premiers butins charnels. Déshabillée, haletante dans un tempo de caresses, tu t’acharnes à penser que tu n’es pas nue et que tu t’appartiens.
ESCALE…
Escale. Tu regardes ton slip petit bateau recroquevillé au port du fil à linge. Saison de colle blanche. Plus de technicolor, même plus de noir sur l’écran du ciel où s’apaise la transparence. Sur tes épaules le cocon de pâleur éparpillée grandit. Ce n’est pas le « beat hôtel » où tu crèches, mais il n’y a ni bon dieu ni eau chaude. Tu as punaisé au mur de ta chambre une photo de Catherine Spaak dans « La noïa » de Damiano Damiani. Sa sensualité à fleur de corps dans la scène où elle danse et vampe Horst Buccholz te hante. Ce n’est pas que tu tiennes particulièrement à elle mais les hommes comme toi ont toujours une dame de cœur dans leur jeu. Ils ne cherchent pas à gagner la partie, juste à laisser planer le doute.
PHILIP TON SANG COULE…
Philip ton sang coule dans mes veines. Je ne crains pas qu’il soit pourri.
Ta déveine colle bien un peu à ma peau mais je suis libre de te pleurer en secret.
La vie reste un mystère même pour le sage qui relit les lettres du yage. Je pars en balade en moto sur Highway Sixty One. Une fleur au cerveau cloque ses pétales en récitant des passages de « Satori in Paris ».
Les symboles sont faits pour faire chier la mort.
La faucheuse peut nous coller au cul comme une sangsue, nous gardons la tête haute, la parole fraîche, l’accent gai.
D’ailleurs, qu’est-ce que cette vérole sinon une légère altération de la réalité qui n’empiète pas sur l’espoir des hommes ?
Après la parution d' "Autoportrait du loup" et le scandale qui s'ensuit (...). Elle y trouve trop d'empressement morbide à évoquer son homosexualité, le délire de persécution vis-à-vis des éditeurs, le ressassement, une forme d'autocomplaisance. Léger ne peut être bien en permanence. Il met son talent au service du négatif, alors qu'il pourrait transcender autrement la vie, la sienne comme celle des autres. Avec lui, une partie de ses admirateurs se regarde par procuration dans le miroir.
Tu dis à ton mari : "Je me méfie des mots". Les mots servent à confectionner les mensonges dans la bouche des hommes. La peinture, le tricot, les confitures, sont des compagnons sincères. Pourtant tu aimes lire. Les mots écrits dans les livres sont figés, inertes, inoffensifs, quelle que soit leur puissance. S'ils ont une arrière-pensée le lecteur a tout le temps de la découvrir puis de l'apprivoiser. Mais le parler... Le parler est un étrange mélange de venin et de poudre faible.
Jusqu'à quel point peut-on excuser les frasques de Jack-Alain Léger sans verser dans la complaisance? Où commence et où finit le trauma de l'héritage familial dans la vie de tout un chacun? Léger n'est pas un enfant battu, il n'a pas subi de sévices sexuels, il a eu une éducation solide, il n'a pas été contraint de faire un sale boulot dix ou douze heures par jour, ni de boxer pour manger... D'où vient alors cette hargne, cette volonté de travestir son passé?
VOUS REVIEZ QUE NOS BAISERS…
Vous rêviez que nos baisers toujours sur vos bouches
Ne laissent qu’un débordement du ciel
Un pêcheur d’éponges aurait séché vos larmes
Combien de silures hantent vos eaux profondes
Belles pucelles tardives…
Voilà l’instant rêvé dont rêvent les mômes
Quand la nuit jette son encre prude sur la chair blanche
Et que dans le bâillement de la chemise de l’aimée
La fatigue s’oublie
Lorsque tu réfléchis trop, la mémoire de tout le mal que tu fais sans le vouloir te saute aux joues. Deux roses pourpres les colorent. Ton coeur se serre. Comme si le mal était inhérent à l'enfance. Tu as beau mettre un brassard à tes pensées, les secours ne viennent pas. On te retrouve seule sur un banc, frigorifiée par la nuit qui est tombée il y a bien deux heures de cela.
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Extrait 1/2
Un arroi de lacs
abreuve tes paupières.
Monde réel ou fantôme.
Après l’inouï,
avant la fuite,
résurgence intime
des obsessions volées.
Béance foraine,
si ta robe se dérobe,
un essaim bohémien
enlève mon pardessus.
Faux rythmes,
mécanique des piques,
la terre boit ta pluie,
notre temps s’écoule.