Citations de Jean Gédéon (17)
Soleil en roue libre…
Soleil en roue libre
sur les coups de boutoir
fendant la broussaille
des muqueuses inondées.
Fosse profonde où flottent ces cygnes noirs.
Peau tout contre peau
osmose des sueurs.
Désir sur désir ouverts.
Spéléologie des profondeurs.
Entre deux parenthèses de chair ouverte.
De toi à moi…
De toi à moi,
qu’avons-nous fait de ces devenirs,
de tous ces possibles qui étaient nôtres,
avant d’être cédés à l’encan.
Entre toi et moi,
pourquoi
sommes-nous restés en panne
tous feux éteints,
à nos carrefours en jachère ?
Le vent soufflait très fort
et sourde était la nuit.
Reflet
Je suis bien trop lointain
pour que l’écho revienne
mon œil est trop voilé
pour cerner l’arc-en-ciel
et je suis bien trop sourd
pour vos plaintes et vos pleurs
sur ma rive sans nom
vos vagues meurent et renaissent
dont les gouttes m’accablent
je suis l’intime insaisissable
de vos éternités
Contre-chant
Tu rêves de calme et de sérénité
des douceurs de la mer et de son chant
d'oiseaux.
Du violet des oursins.
Pour oublier quelques secondes
machettes et garrots
les cimetières insatiables
et leurs grands champs de ruines.
Dans les lueurs intermittentes
de la folie ordinaire.
Cette opacité des lumières…
Cette opacité des lumières
où flottent des fragments de silence.
L’épaisseur et le poids des réminiscences,
avec ses contours de plus en plus flous.
Et l’incapacité tragique
de la machine
à tuer le temps.
La nuit le noir profond,
et pourtant
noir éclat de Soulages dans lequel on s’enfonce
au milieu de murmures.
On glisse, et pourtant
on demeure immobile,
et le ciel coule immaculé
Confession
J’ai mordu ma vie avec des dents de loup
entre la rose les blés les brouillards et la neige
pour ne pas mourir j’ai dansé en chantant
sur le ventre des tombes avec des pieds d’enfant
et peuplé mes déserts de la rumeur
des mots qui penchent et tombent dans le ciel
J’ai frappé à la porte elle ne s’est pas ouverte
j’ai longtemps écouté mille voix se répondre
et puis le soir blanchi est venu me chercher
Je suis parti comme j’étais venu
ignorant
et tout nu
On effleure d'une main vaine
les naïves croyances d'autrefois
déboulonnées et jetées à la casse,
leur masque de fer et de soie.
Les vieilles certitudes
endormies.
La vérité précaire
sur son coussin de plumes.
Tu aimais que se farde la distance entre les pierres.
Qu'elles se tiennent bien serrées
dans la chaleur crissante de leur rugosité,
quand tes pas parallèles sur ces chemins d'errance
les emplissaient d'effroi.
Yeux bandés tu allais de l'avant.
Mais elles seules dans leur obscurité
connaissaient l'épilogue.
HORIZONS
Shangaï
Dans les haubans de soie,
Les tours étincelantes du paradoxe,
Paravents de masures
Aigres-douces.
Dans les labyrinthes de bambous,
Le grouillement frénétique
Des insectes dorés,
Et sur les murs de néon,
Des fantasmagories éblouissantes
Désarçonnent la nuit…
HORIZONS
Uzbekistan
Sur la plaine, à l'infini,
La neige
Du coton.
Et dans le bleu du ciel bleu
En surimpression
Le bleu Klein
Des coupoles de prière
Gardiennes des villes fantasmatiques.
HORIZONS
Birmanie
Odeurs d'aube,
Taciturne,
Au museau de bête lasse.
Aube
D'or
Et rayons obliques
Trouant
Les mille portes obscures,
Entrouvertes
Sur des merveilles
Occultes.
HORIZONS
Haïti
Combats d'ergots d'acier,
Plumes de peur
Dressées les unes contre les autres.
Chocs aigus dans le cercle tragique,
Et le silence armé
Des marchands de papier.
HORIZONS
Kyoto
Un chant,
Résonnances acides.
Une flèche
Dans l'air bleu.
Stridences d'oiseaux.
Matin calme,
Plénitude
Sur le jardin
Strié.
HORIZONS
Provence
Dans l'air tremblant
De peur
Les arbres rouges
Tordant leurs branches de charbon
Et transpirant de sueur solaire
Ailes baroques
Dans le vent de galop
Comme de vieux épouvantails
À la frontière
Des corbeaux
Sur ce mince fil tendu…
Sur ce mince fil tendu
des souvenirs tronqués,
la mémoire de l’après,
cette insatiable éponge,
se nourrit aux lisières
par le chant des griots.
L’autre monde
rayonnant la nuit,
ses lueurs de phosphore
sur des yeux d’escarbille,
l’autre monde
de l’entre-deux sur l’entrouvert.
Et la course en boucle…
Et la course en boucle, dans ses artères,
de l’homme qui court et court et court
sans savoir,
aveugle et sourd
aux grands cris de la terre,
comme le poisson frénétique
qui tourne en rond et contemple
l’infini,
derrière la transparence opaque,
comme le poisson-lune
dont la pensée en boucle
suit dans ses méandres
une éternelle ronde,
comme le poisson sans pilote
à l’horizon borné
de vide et de lumière.
Écorce fendillée du corps…
Écorce fendillée du corps,
sur la conscience
qui n’en finit pas
de se cacher sous les leurres.
Rempart d’oubli,
derrière la meurtrière.
Vie du corps précaire,
cette minute infinie,
et sa petite musique d’arrière-cour,
alignant ses dissonances familières
sur le tempo
d’un métronome apprivoisé.
…