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Bibliographie de Jean-Pierre Malrieu   (1)Voir plus

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Je connais peu de bonheurs aussi intenses que celui que procure la sensation de froid au coucher. On se recroqueville, on tremble, on se pelotonne. On expulse le froid par-devant, il revient dans les reins. Il est brutal ou insidieux, mordant ou humide, mais c'est toujours la même lutte, la même lutte que dans l'enfance, la même lutte si intimement liée à l'acceptation de la solitude. Au début elle est âpre, puis on se fait une sorte de bulle tiède. Et ce coton glacial dont le simple contact nous saisissait des pieds à la tête se transforme en une extension de nous-même. On repasse par la position fœtale, on enfouit sa tête entre nos bras, on respire en circuit fermé, avant de se délier ensuite, et de boire à nouveau l'air du dehors. L'ébranlement nerveux suscité par le froid me mettait chaque soir dans une sorte de transe joyeuse. Je claquais des dents tout en sentant le réchauffement à l'œuvre. Je luttais en sachant que je ne pouvais pas perdre tant que j'aurais un abri et un tissu dont envelopper mon corps. Affrontement primitif, a priori sans vainqueur et sans gloire, dont je ne cernais pas très bien l'enjeu. Rire de tout le corps, frisson d’enfance.
Ce combat joyeux contre le froid « extérieur » n’a pourtant rien à voir avec la crainte que procure le froid « intérieur », celui qui semble venir du plus profond de nous-même. Ce dernier nous prend le soir, après s’être lavé à l’eau froide par exemple. Il ne survient pas immédiatement, il dort une demi-heure, tapi dans nos os, et s’empare d’un coup de tout le corps, dans un grand frisson essentiel. Sur le moment l’attaque est si violente que l’on panique, on se demande si on va pouvoir jamais se réchauffer, si la source est encore assez vive. Autant j’aimais le froid extérieur, autant le froid intérieur me faisait peur.
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Il y avait des jours entiers abandonnés au repos, où on planait littéralement sur la fatigue, incapables de rien faire, de rien penser, comme une petite mort qui n’aurait pas de fin. S’asseoir était délicieux, tourner la tête était délicieux. La clé de ce délice, c’était l’adhésion entière à la fatigue, à sa réalité indéniable, à la certitude que là, au point où on en était, seul comptait le fait de ne pas bouger, de bouger juste ce qu’il fallait pour ressentir l’état particulier du corps où les efforts l’avaient jeté. S’imposait le plaisir lent et parfait de renoncer à toute idée d’action à peine elle se présentait, avec l’impression de faire le bon choix en se rasseyant à peine levé, en laissant les choses en plan, en se laissant couler avec le jour. Pas de culpabilité possible du corps éprouvé : chaque renoncement à mes obligations faisait monter sur mes lèvres un sourire irrépressible, un acquiescement heureux à l’évidence de mes limites.
La présence du corps doit beaucoup plus à la douleur qu’au plaisir. Les petites plaies des mains qui se ravivent à l’air froid. Les courbatures, bénies, aux épaules, aux cuisses, aux mollets, qui ne nous lâchent pas. La douleur chaude des tendinites aux doigts et aux coudes. On les oublie dans l’effort. Elles reviennent au repos.
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Le pied sur un filet vitreux, les doigts subissant les piqûres du quartz, je cherchais le brillant d’une ligne de spits, trompé parfois par l’éclat d’une plaque de mica. J’allais, amputé des deux mains, par la profondeur des fissures. Les poignets n’échappaient pas à la morsure immobile des cannelures, dont la peau revenait plus brune, une goutte de sang sous les ongles. Nous empoignions les inversées comme s’il nous avait fallu renverser les blocs monumentaux. Aux dalles inclinées, nous posions les deux paumes – la magnésie en soulignait de blanc chaque ligne, quadrillant le dos de nos mains – à plat sur le rocher. Nous décrochions des lichens cassants, recroquevillés de douleur, qui étanchaient une dernière soif à l’extrémité de nos doigts avant de rouler dans le vide. A l’extrémité de nous couvait une brûlure frêle. L’Ossau, caparaçonné jusqu’en haut, distillait la chaleur cuivrée d’un volcan qui sommeille. Il se donnait des douceurs de cire pour prendre l’empreinte de nos doigts, offrant des anneaux de roche à nos phalanges malmenées par les verrous. Mon corps minéral n’en était qu’à l’ébauche.
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Quand un passage d’escalade demande d’adopter une position qui mobilise l’ensemble des muscles du corps en faisant de celui-ci une seule pièce tendue, comme lorsque l’on se plaque contre un surplomb par exemple, on dit que l’on fait « un gainage ». « Alors là tu prends la prise main droite, tu montes un peu les pieds et tu gaines ». Le dos travaille, la ceinture abdominale travaille, et le corps « se gaine ». Il devient presque artificiel, tendu en surface, et vêtu de lui-même. Il s’appareille. Je ne sais pas trop ce qui reste dans la gaine. Les organes ? La volonté ? Ou le tranchant d’une arme ? Le gainage est militaire. Il fait du corps un uniforme vivant. Le corps se tient tellement que cette tension se met à exister comme une réalité à part qui nous épouse et nous guide. Pour accéder au tranchant de l’existence, notre corps doit devenir une gaine, souple et rigide, intérieure et extérieure, imaginée et réelle. C’est la condition pour un monde abrupt. Tu passes ou tu tombes.
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Faucher est le geste par excellence du Paysan Béarnais. Si, selon Heidegger, on ne saurait lire Nietzsche avant cinquante ans, selon Bernard Charbonneau, on ne saurait faucher avant cet âge. Ce n’est qu’au terme d’une vie entière consacrée au perfectionnement du geste qu’on cesse de couper de l’herbe, et qu’on peut prétendre faucher enfin. Chaque soir, en exerçant leur geste, ils avancent et en cadence faisant leur chemin, la faux commande, à travers les reins, les deux pas, l’assise, les deux pas, sans fin. De cette marche grave où le pied droit jamais ne dépasse le pied gauche, ils s’acheminent vers le nirvana du faucheur : une parcelle difficile, à l’herbe tantôt drue tantôt maigre, semée de cailloux. Lorsque le faucheur peut y renouveler les yeux fermés la mouvante géométrie dont il est le centre, lorsque la faux frôle chaque pierre sans jamais sonner sur aucune, il peut sans crainte voir la mort venir : il sait qu’il fauche aussi bien qu’elle.
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C'était l'année des saltamontes. Elles pullulaient. Elles bondissaient sous les pas avec un petit bruit sec, presque un déclic, et déployant de petites ailes rouges, elles retombaient avec un léger vrombissement. Cela donnait l'impression de marcher sur coussins d'air. On en écrasait beaucoup, rien qu'en pressant le pas. Il aurait fallu, pour éviter d'entendre les petits craquements sous les semelles, cheminer au ralenti, ou bien avoir le geste suspendu des danseurs de tango.
Elles avaient presque tondu la montagne. On aurait dit le gazon d’un jardin anglais. Une paire de chevaux se tenait immobile, nuit et jour, au beau milieu de l’estive. Les oiseaux ne savaient plus où donner du bec. Les isards, écœurés, n'approchaient plus de l'herbe rase, se réfugiant sur les arêtes. Qu'est-ce qu'elles faisaient là, à deux mille mètres d’altitude ? À part des bonds ?
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Lorsque, faisant la route, ou séjournant longuement en altitude, on n’emporte avec soi qu’un bagage restreint, les objets qui nous restent prennent une importance inhabituelle. On se prend à avoir de la gratitude pour ceux qui nous abritent, nous assistent et nous consolent. Malgré le réconfort qu’ils procurent, ces objets sont si fortement associés au choix de vie qui nous expose qu’ils nous rappellent sans cesse la précarité et la dépendance de notre situation. C’est pourquoi l’assurance qu’ils nous donnent s’accompagne toujours d’un sentiment de faiblesse, et l’on ne s’en remet jamais à eux sans un serrement de cœur. Les objets dont l’usure trahit l’âge et la fragilité, ceux dont il faut prendre soin afin qu’ils continuent à nous rendre des services nous deviennent, entre tous, les plus chers.
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La curiosité mêlée d’inquiétude que j’avais éprouvée lors de mon premier passage avait cédé la place à une exacerbation des sens. Je contemplais les oranges, les noirs, et les blancs peints par les contre-jours au fond du cirque d’Anéou, le grand dièdre obscur d'une face dont j'ignore le nom. Sa marque sombre, au fur et à mesure qu’elle se dressait vers la crête, perdait sa profondeur, jusqu’à devenir imperceptible au contact du ciel. La lumière, à cette lisière, se mettait à exister pour elle-même, jouant avec mon regard en une succession de halos, de vagues et de rayons. Ébloui, je fermai longuement les yeux, épiant sur mes paupières la silhouette saccadée des sierras espagnoles.
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Au centre d’Aguas tuertas, on se surprend à regarder en l’air pour assister au spectacle des dieux descendant sur la scène. Puis on comprend que ce monde a été fait pour nous, pour y projeter nos ombres, à la fois clos et ouvert, plat et abrupt. Il amplifie les voix, mais leur donne le ton mat du calcaire. Ce monde est à la fois prodigue et avare, qui donne l’eau pour immédiatement la reprendre. Il nous protège et nous dissimule son envers, où se perd le ruisseau.
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Ce qui veut dire que je traite mon corps comme un individu à part entière, dont les réactions me resteront toujours assez mystérieuses. Je me vois mal essayer de le connaître et de le domestiquer. Je préfère de loin ne pas savoir ce dont mon corps est capable. Parfois il me trahit, et parfois, il fait infiniment plus que ce que j’attendais de lui. C’est en “me laissant la bride sur le cou”, si j’ose dire, que j’en obtiens le plus.
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