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Critiques de Jérôme Bonnetto (59)
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La certitude des pierres

C’est l’oeil goguenard et la raillerie aux lèvres que les habitants du petit village de Ségurian voient débarquer le jeune Guillaume Levasseur et son projet de bergerie. Les rires ne tardent toutefois pas à se faire grinçants lorsque les brebis de l’étranger se retrouvent à pâturer sur les pentes traditionnellement consacrées à la sacro-sainte chasse au sanglier. De coups de gueule en coups de dent et coups de feu, l’affrontement devient bientôt inévitable.





Toute l’originalité du roman vient du parti-pris de sa narration : l’auteur place d’emblée le lecteur à ses côtés, dans le rôle d’observateurs extérieurs venus se pencher avec une loupe ou une caméra sur les comportements aveugles d’hommes dominés par leurs peurs, leurs susceptibilités et leurs rancoeurs. Dès lors, c’est la folle et stupide démesure du fait divers que l’on voit peu à peu s’étaler, dans une escalade irrépressible qui tend le récit vers son dénouement forcément explosif.





La finesse d’observation et la psychologie de Jérôme Bonnetto lui permet de croquer des personnages plus vrais que nature, tels qu’on a l’impression de les avoir déjà plus ou moins rencontrés, en tout cas sous une forme approchante. Sans aucun effort d’imagination, le lecteur se retrouve immergé dans un terroir suffisamment vague pour que chacun le localise à sa guise, la seule indication de sa situation entre mer et montagnes permettant toutefois de faire sonner les dialogues avec l’accent du sud.





Cette histoire peut faire penser, fugitivement, à Jean de Florette ou aux romans de Franck Bouysse, mais ici, point d’émotion ni de lyrisme : derrière les phrases courtes et percutantes qui donnent rythme et muscle au récit, l’essentiel est la mécanique psychologique, implacablement disséquée avec une distanciation presque clinique, à moins que ce ne soit avec l’imperturbable certitude des pierres quant aux dérisoires conflits humains.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le silence des carpes

Que direz-vous d’un petit voyage en Tchéquie ? Vous , Paul Solveig, ne connaissez rien des Tchèques et de la Tchéquie , à part le nom d’un ancien président moustachu et celui d’un décathlonien. Pas grave, car cette fichue vieille photographie qu’a laissé tomber le plombier tchèque, qui était venu réparer votre fuite d’eau vous obsède, et puis vous êtes techniquement au « break » , votre conjointe vous l’ayant sollicité 😊.

Donc curiosité + temps libre + votre vie actuelle d’un ennui mortel, va vous entraîner en Moravie, dans une petite bourgade au nom de Blednice …..démarche assez absurde, je reconnais,pourtant l’histoire que va en suivre , celle de retrouver dans un pays à la langue inconnue, la mère d’un faux plombier exilé qui figurait sur une vieille photo floue va s’avérer intéressante loin de vos attentes, et vous réchauffer comme une petite lumière , secrète et précieuse qui vous accompagnera durant tout votre séjour ( Attention n’oubliez pas le dé qui va vous aider à résoudre vos indécisions sur les choix à faire 😊).



J’aborde pour la première fois Jérôme Bonnetto, et je dois dire une belle surprise, ne me souvenant même plus de la souche qui me l’a fait acheter. Il a l’art d’inventer des personnages indescriptibles qu’il esquisse pourtant à merveille avec un mélange d’humour, de poésie et une petite touche tragique qui relève l’ensemble. Son récit est aéré d’anecdotes et de réalisme magique comme la lettre de sa compagne qu’il jette dans la Seine sans la lire, mais dont nous nous en saurons le contenu, « Une mouette flirta avec la surface de l’eau, plongea et repêcha la lettre. Elle dessina une parabole parfaite pour rejoindre le quai au-dessus duquel elle laissa s’échapper l’enveloppe qui atterrit quelques mètres plus bas sur la boîte à hameçons d’un pêcheur de nuit, spécialiste des silures. Voici donc ce que le pêcheur lut à la lueur d’une lampe de poche. »

Un livre aussi riche en références littéraires et cinématographiques , surtout Tchèques, et qui m’a fait acheter un livre et un film 😊. Et pour finir j’ai eu l’impression de lire plus un roman tchèque que français vu l’atmosphère et dirais-je même ce réalisme magique propre aux pays slaves. Superbe lecture , une ode à la littérature et au cinéma tchèque, que je conseille vivement !



« C’est que la culture tchèque savait se rendre aimable : cousine de la française, autre par ses proximités avec l’Est que nous n’avons pas, elle porte également quelque chose de difficile à définir, une force tendre qu’il lui vient peut-être de sa fragilité dans l’Histoire, la conscience d’avoir échappé de peu à sa fonte définitive dans un monde plus grand et plus fort qu’elle. »
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Le silence des carpes

"Is this the real life ?

Is this just fantasy ?"

(Queen, Bohemian Rhapsody)



... voilà ce qui m'est venu à l'esprit après avoir refermé "Le silence des carpes". Et pour cause...



On raconte que dans les temps fort anciens, quand les déesses se promenaient sur la Terre encore toute plate, la plus belle trébucha et s'étala de tout son long, en imprimant à jamais son corps gracieux dans le paysage. Bien sûr, ce charmant accident s'est passé en Bohême, petit pays au coeur de l'Europe composé de doux vallons, de vertes forêts et de massifs montagneux de taille raisonnable, qui apaisent le regard et vous font ressentir cette étrange nostalgie qui accompagne toujours la contemplation de quelque chose de plaisant et d'harmonieux. La seule chose que les Tchèques puissent regretter est l'absence de mer... mais il est bien possible qu'elle soit là aussi, cachée quelque part, car William Shakespeare l'a vue. Et Jérôme Bonnetto aussi, à sa façon, même s'il ne la mentionne pas dans ses contemplations.

La bière y coule à flots, la gastronomie enchante le palais et fait frémir les diététiciens, et ses sympathiques habitants ont un humour particulier hérité de Kafka et de Hašek. Impossible de dire s'ils sont sérieux ou s'ils plaisantent, mais qu'importe, dans cette ambiance chaleureuse de chopines qui s'entrechoquent ? En descendant plus au sud, vous arriverez dans la région de la Moravie, avec ses omniprésentes statues baroques qui vous font un clin d'oeil sur chaque pont, ses pyramides atlantes (récente découverte brillamment démontrée par les ufologues moraves !) à peine dissimulées sous ses vignobles, et ses caves à vin, où vous passerez des moments inoubliables... à condition de vous souvenir encore le lendemain de votre dégustation du "Rulandské šedé" tout en écoutant le traditionnel cymbalum, l'instrument qui volera vôtre âme pour toujours.

C'est dans ce pays de Cocagne que le destin mènera Paul Solveig.



Rien ne va plus pour Paul à Paris. Pauline est sur le point de le quitter (cela le chagrine, mais il ne fait presque rien pour la retenir), son travail l'ennuie, et le robinet qui goutte le rend fou. Ce sera sa rencontre avec le plombier possédant une "charmante raideur surannée dans la syntaxe" (sic !) qui sera à l'origine de son fabuleux périple. Enfin... la rencontre, mais surtout ce cliché de jeune femme tombé de la poche dudit plombier tchèque. Une belle fille disparue en 1977, sans laisser la moindre trace. Paul devient obsédé par ce visage... au point de faire un "break", et partir vers le grand inconnu en direction de l'Est.

Pour y chercher l'oubli, le dépaysement, mais aussi pour mener une enquête sur le sort de cette mystérieuse Mlle Rybova.

Son séjour à Blednice (une ville imaginaire à mi-chemin entre "bled" et une bourgade morave typique, disons "Lednice") sera rempli de moments et de rencontres mémorables, et peut-être que, malgré ses pauvres qualités d'enquêteur, ses questions trouveront aussi quelques réponses.



J'étais très curieuse de cette "magnifique ode à la République Tchèque, à sa culture, à son cinéma et à la folie (eh ?) de ses habitants" ; et qui pourrait mieux en parler (à part ce fieffé tchécophile polonais Mariusz Szczygiel) qu'un auteur français qui vit et enseigne à Prague ?

Ce fut une plaisante lecture qui mérite amplement tous les qualificatifs évoqués sur la quatrième de couverture : "drôle", "aigre-doux", "mélancolique", "burlesque"... et je vois avant tout ce livre comme une sorte de conte à la Hrabal, avec la Bohême entière dans le rôle de l'un de ses attachants "palabreurs", capables de vous convaincre que la vie est pleine d'insoupçonnables délices, même si vous vous sentez au plus bas. L'auteur ne le cache même pas, en insérant à dessein des petits intermezzos inspirés de Bohumil Hrabal et d'Ota Pavel, dont l'étrange poétique prendra tout son sens à la fin du roman.



Le livre devrait charmer tout lecteur pour qui la République Tchèque n'est qu'une vague petite tache abstraite sur la carte, et qui veut en apprendre un peu plus.

Mais voilà que le bât blesse...et une descendante des Atlantes moraves que je suis trouvera l'image du pays un peu formaté aux idées qu'on pourrait s'en faire.

Disons que Paul a beaucoup de chance de tomber sur des autochtones pittoresques avec lesquels une conversation soutenue en anglais (et en allemand pour les plus âgés) ne pose aucun problème... et les plus importants pour l'histoire sont bien sûr francophones. Ainsi va t-il apprendre bien des choses sur le passé totalitaire, sur l'art, sur les livres qu'il faut lire, et sur les films qui représentent l'apothéose du cinéma tchèque. Tout cela est très intéressant : beaucoup de Tchèques évoquent volontiers l'époque socialiste, tantôt avec douleur, tantôt avec humour, les oeuvres mentionnées valent vraiment le coup (bravo à l'auteur pour penser à L. Fuks !) mais tout cela sont les choses qu'internet vous proposera en premier lieu, si vous faites des recherches sur la culture tchèque. A vrai dire, je m'attendais à quelque chose de plus... authentique ? A quelque chose qui s'approche davantage de la Tchéquie véritable de nos jours ?

Paul sera enchanté par "Les Amours d'une blonde" de Forman, mais j'aurais préféré voir sa réaction aux comédies populaires de Troška ou de Klein. Il récite les vers de Mácha, mais j'aurais aimé le voir surmonter la barrière de la langue en achetant des yaourts et des "rohlíky" chez Kaufland, au nom si typiquement tchèque. Bref, j'aurais aimé qu'il se frotte un peu plus au quotidien banal, mais ce serait sans doute aller contre les intentions de l'auteur.

Soit, c'est un conte : l'histoire d'un gars qui découvre une autre vie, pour mieux se réconcilier avec la sienne. Un conte de miracles, une rhapsodie pleine de fantaisie et même une "magnifique ode à la République Tchèque", si vous voulez... mais n'hésitez pas à aller vérifier sur place !

3,5/5... "...any way the wind blows...
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La certitude des pierres

Si mes chroniques littéraires devaient un jour servir à quelque chose, eh bien ce serait à faire connaître des livres comme celui-ci. Car, oui, vraiment, ce roman est une splendeur et je pèse mes mots… Le récit tendu à l'extrême est servi par une écriture intense, sensuelle et poétique de toute beauté… Dès les premières lignes, on est saisi et l'on comprend que l'oeuvre que l'on commence à peine va nous emporter, nous tenir en haleine jusqu'au bout… Franchement, lisez-le, lisez-le, lisez-le… Je vais tenter de vous convaincre mais mes mots seront bien pauvres par rapport à la force de ce texte et à la puissance qui s'en dégage.

En fait, nous entrons dans un monde tragique où, d'une certaine façon, la règle des trois unités est parfaitement respectée : unité de temps, six années dont les tensions s'exacerbent autour d'une fête : la saint Barthélemy (24 août) où l'on déguste la traditionnelle soupe au pistou ; unité de lieu : un petit village du Sud, entre mer et montagne : Ségurian, quatre cents habitants ; unité d'action : un certain Guillaume Levasseur qui, après avoir baroudé à droite à gauche, arrive au village avec un projet bien précis en tête : construire de ses propres mains une bergerie et s'installer comme berger.

Seulement, Ségurian est depuis toujours une terre de chasseurs à la tête desquels règne la dynastie des Anfosso, notamment Joseph, l'aîné, chasseur de sangliers, bâtisseur de la quasi totalité des maisons du village, un gars du pays, un enraciné, un du cru à qui on n'impose rien, à qui on ne la fait pas. À qui on obéit. « Ségurian, un village de chasseurs donc, avec une grande famille de chasseurs et un chef chasseur. »

Alors évidemment, l'arrivée de ce néo-berger, de cet étranger, titille fortement le Joseph… Parce que, non content de s'installer sur une terre qui n'est pas la sienne, ce Guillaume en impose : il est beau, grand aussi… Mais pas seulement… Il est aussi courageux, déterminé, méthodique, bosseur acharné et en plus, il sait parler, il serait même un peu intello sur les bords… Il sait mener son projet à bien, en restant réglo avec la loi, tout lui sourit à ce gars...

« Au village, Joseph se moquait un peu du berger quand le berger n’était pas là, mais il lui fallait cacher en même temps une certaine admiration. Au fond de lui, il reconnaissait des valeurs communes – le travail, l’abnégation, la détermination – et subodorait tout à la fois d’autres qualités qu’il craignait de ne pas avoir. Le berger dérangeait l’ordre des choses. Il redistribuait les cartes. »

Et ses premières bêtes, de belles bêtes, triées sur le volet et avec amour, une cinquantaine de moutons et de brebis, paissent tranquillement dans la montagne comme si elles étaient chez elles…

Insupportable pour le gars Joseph, vraiment insupportable… D'autant que la bergerie du gars Guillaume, elles est juste au-dessus de la maison de Joseph… Elle domine en quelque sorte...

Il y en a bien eu un berger au village, un certain Jacquou, mais ça fait des lustres qu'il est mort, on n'en parle plus… Alors, qu'est-ce qu'il vient faire là, ce type, pour qui il se prend ?

Il va falloir qu'il les range, ses bestioles parce que les chiens pourraient bien, par accident hein, bien sûr, en saisir une ou deux à la gorge, comme ça, en passant, histoire que le berger comprenne qu'il n'est pas chez lui... Ça ferait mauvais effet tout ce rouge sang sur la blancheur immaculée de la bête… (Ceux qui connaissent ma passion pour Un Roi sans divertissement de Giono sauront à quel point ces contrastes me saisissent...)

Deux mondes, des valeurs opposées, des incompréhensions mutuelles, des tensions terribles…

Vous verrez : tandis que les clans s'affrontent dans un silence plein de haine, de détestation et de fureur, le choeur des villageois essaie tant bien que mal de maintenir une paix devenue impossible, cependant que le fou du village annonce, à travers d'étranges paroles sibyllines et prophétiques, des choses imminentes que l'on sent redoutables…

L'écriture à la fois imagée et réaliste, poétique et crue, sensuelle et âpre dit parfaitement la folie et la bêtise des hommes, leur impossibilité de calmer leur passion, leur jalousie, leur haine au point de redevenir des brutes, des sauvages, des bêtes.

Un roman noir, très noir...

Un IMMENSE coup de coeur, un très très grand texte que vous pouvez, à défaut du format papier, vous procurer dès à présent (comment attendre?) en epub sur le site des éditions Inculte. Vous allez vraiment être saisi par ce roman et vous régaler, allez, allez, foncez !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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La certitude des pierres

Chronique d’une mort annoncée....ou pas

Rassurez-vous.Je ne dirai rien de l’épilogue de ce très beau roman

Dès les premières pages, on se dit qu’il va y avoir du grabuge

Ce soi disant berger,arrivé de nulle part a le projet d’installer ses cinquante moutons juste au-dessus du village perdu, connu surtout pour ses chasseurs

Certes il a la loi pour lui.

Mais la loi de ce village de montagne n’est pas écrite dans les livres

C’est un consensus tacite qui dure depuis des générations

La vie est rythmée par les périodes de chasse et la fête de Saint Barthélémy

Guillaume, le berger, s’installe tranquillement sous la regard narquois des villageois

Mais ses moutons empiètent sur le territoire de chasse au sanglier

Les ennuis commencent

Inutile d’en raconter plus

Nous sommes proches de l’univers de Jean Giono ou de Franck Bouysse

Le style est épuré, tendu et poétique à la fois à la manière d’un Erri de Luca

Pas besoin de 100 pages pour décrire la naissance d’une histoire amoureuse

Nous sommes dans la montagne chez des gens simples et ces choses arrivent tout naturellement

J’ai souvent critiqué les livres à rallonge qui gagneraient à être élagués

Jérôme Bonnetto nous offre un texte simple dans le propos mais très travaillé.

Pas de scories, pas de digressions futiles.

Exactement comme le monde rural où il situe son livre

J’ai lu ce livre d’une traite, plongé dans une tragédie à l’issue incertaine

Une belle découverte.De la vraie littérature

Avec une intrigue assez classique, Jérôme Bonnetto nous donne une œuvre ciselée et envoûtante .







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La certitude des pierres

Les moutons de la discorde



Dans un roman rural construit comme une tragédie grecque, Jérôme Bonnetto nous entraîne dans un conflit entre un berger et des chasseurs. Et à une réflexion sur la place de l’autre au sein d’une communauté repliée sur elle-même.



Comme le fils prodigue, Guillaume Levasseur a choisi de partir pour découvrir le vaste monde, en travaillant notamment pour des ONG en Afrique. Le voici die retour à Ségurian, un petit village de montagne où il retrouve ses parents, Jacques et Catherine. «À aucun moment ils n’eurent l’idée de lui faire le moindre reproche. Guillaume était devenu un homme. Le verbe, surtout, avait changé. Il s’exprimait mieux, ses phrases coulaient dans une syntaxe ample que des mots précis et nuancés irisaient. Il était devenu un homme fin et fort tout à la fois.»

C’est là, dans ce village de 400 âmes qui «n'était pas un pays mais un jardin», qu’il entend s’installer en communion avec la nature et reprendre le métier de berger qui avait disparu au fil des ans.

Une initiative que les autochtones vont d’abord regarder avec indifférence avant de constater que ces moutons gênent leur loisir favori, la chasse. Désormais, ils sont entravés dans leurs battues, gênés par le troupeau. Guillaume sait qu’il a le droit avec lui et refuse de dégager. Mais que peut le droit face aux traditions solidement ancrées et à une histoire qui s’est cristallisée au fil des ans autour de la famille Anfosso? Leur entreprise de construction règne depuis des générations sur le village. Il suffit d’une visite au cimetière pour comprendre la manière dont la communauté fonctionne: «En dehors des Anfosso, on y trouvait quelques noms connus. Pastorelli, Casiraghi, Barral, Leonetti. Des familles bien de chez nous. Deux ou trois d’entre elles avaient fait les grandes guerres. On leur avait donné un emplacement à l’ombre sous des pierres lourdes et admirables. D’autres avaient défendu l’Algérie française. Allée principale, plein soleil. Chacun était à sa place et de la place, il y en avait pour tout le monde. Au fond dormait le caveau de la famille Levasseur. La pierre était lisse et fraîche, elle n’avait pas eu le temps de se polir, de faire des racines. On jurerait qu’elle sonne creux. Seulement une génération sous la terre. Une pièce rapportée, des estrangers, des messieurs de la ville comme on dit.»

Au fil des jours, le conflit s0envenime, les positions se figent. La Saint-Barthélemy, le jour de la fête du village célébrée 24 août, marquant le point d’orgue d’une guerre qui ne va pas restée larvée. Un mouton est retrouvé égorgé et il ne fait guère de doute sur l’origine de l’attaque. Mais Guillaume préfère minimiser l’affaire et se concentrer sur l’accroissement de son troupeau. «On continuait de se regarder de travers, des regards tendus comme une corde de pendu, mais – et c’était bien l’essentiel – on partageait la montagne, même si on le faisait un peu comme on séparerait le bon grain de l’ivraie. La vie poursuivait son cours.»

Construisant son roman comme une tragédie grecque, avec unité de lieu et même un chœur de femmes qui «s’ouvrait sur une étrange mélodie, tremblante, incertaine, comme le vol d’une chauve-souris en plein jour», Jérôme Bonnetto réussit à faire monter la tension page après page jusqu’à cet épilogue que l’on redoute. Ce roman est à la fois un traité de l’intolérance, une leçon sur les racines de la xénophobie et un conte cruel sur l’entêtement qui peut conduire au pire, mais c’est avant tout un bonheur de lecture.




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Le silence des carpes

Il y a des périodes, comme ça, où rien ne va.

Non, je ne vous parle pas de celle que l'on vit en ce moment (!) mais de ce que subit un certain Paul Solveig : sa femme le quitte et le robinet de la cuisine fuit. Oui, difficile de placer ces deux faits sur le même plan me direz-vous, n'empêche qu'un robinet qui goutte, ça peut mettre les nerfs en pelote! Et puis, allez trouver un plombier, vous… Mission quasi impossible… C'est un certain monsieur Boulay, enfin plus exactement son beau-frère qui se présente enfin. Il a un léger accent : il est tchèque. Jusque là tout va bien… Sauf qu'il va malencontreusement laisser tomber une photo. Oui, une photo un peu floue d'une très belle femme… Notre Paul apprend, en restituant la photo audit plombier, qu'il s'agit de sa mère disparue dans sa Moravie natale pendant la période communiste… Paul est intrigué et comme sa vie part à vau-l'eau, il se dit que c'est peut-être un signe : et s'il partait ? Oui, s'il se lançait à la recherche de cette femme? Pourquoi ? Ben pourquoi pas ? Où ça ? Ben en Moravie voyons ! Bon, ok, la Moravie, c'est un peu nulle part (comme la Pologne hein). Laissons à Paul et à son humour pince- sans-rire le soin de résumer la situation : « Je savais que je partais pour longtemps, résolu à me consacrer aux chose essentielles, et j'avais pour cela un projet à ma mesure : retrouver dans un pays à la langue inconnue la mère d'un faux plombier exilé qui figurait sur une vieille photo floue. » 

Et si l'aventure commençait précisément là où on ne l'attend pas : à Blednice au coeur d'une région qui va se révéler follement attachante, d'une très grande richesse culturelle et d'une beauté telle qu'on aurait plus qu' envie d'aller y faire un tour nous aussi !

Après l'excellent « La certitude des pierres » (voir chronique sur le blog), Jérôme Bonnetto nous régale avec ce roman désopilant, rocambolesque, pétri d'humanité et d'amour, de tendresse et d'humour… Ajoutez à cela une petite dose de mélancolie slave qui achève de nous faire succomber...

Un VRAI délice !

Je recommande vivement !
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La certitude des pierres

« S’il y a des hommes par ici, c’est que la montagne les tolère ».

Cette montagne où se niche le petit village de Segurian, c’est justement là que Guillaume a choisi de s’installer après avoir bourlingué, pour y élever des brebis dans des pâturages naturels et sains. Une montagne où les espaces, la flore, les pierres, les loups ou les sangliers vivent en harmonie, tolérant les hommes qui n’y sont que de passage.



Reste que les hommes, eux, ont plus de mal à se tolérer les uns les autres. Au pays des taiseux et du « ici c’est chez nous », l’arrivée d’un étranger passe mal. Au pays des chasseurs, l’entrave, même limitée, à leur terrain de jeu habituel est inacceptable. Au pays des chiens, le mouton n’est pas un ami… Les regards se jaugent, l’incompréhension s’installe, l’incident arrive, le ressentiment devient vengeance, la tension monte et les conditions du drame se mettent inexorablement en place.



La certitude des pierres de Jérôme Bonnetto est un livre qui, à défaut de proposer une intrigue originale, parvient à nous immiscer crescendo dans cette atmosphère naturelle et poétique, tendue et sombre qui n’est pas sans rappeler certaines pages de Jourde, Brunet ou même Maupassant quand il écrit sur la chasse. Il y a en outre, une belle étude de caractères et d’analyse des âmes de ces villageois dont la destinée semble inflexible, à l’image du jeune Emmanuel, porteur d’espérances déçues.



Un regret cependant sur le style, certes puissant, souvent enlevé et passionné, mais parfois à l’excès : j’ai eu notamment du mal avec la profusion d’adjectifs et de métaphores, comme si un mot ne pouvait jamais se suffire à lui-même mais se devait d’être systématiquement renforcé ou comparé, avec une répétition du procédé finissant par lasser. Mais pas au point de gâcher une lecture – gentiment transmise par Séverine - où la bêtise de l’homme se révèle dans toute sa petitesse, ne méritant pas que la montagne le tolère plus longtemps…
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La certitude des pierres

Excellent roman !

L'histoire est simple : un conflit oppose deux camps dans un village de montagne. Mais l'auteur en fait un récit passionnant, il fait monter la sauce dans un style magnifique, original, vraiment émouvant. On rit, on pleure. Merci à mon libraire pour cette découverte.
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La certitude des pierres

C'est une perpétuelle lutte entre éleveurs et chasseurs quelque soit les époques et les contrées surtout lorsque , comme Guillaume Levasseur, on n'est pas un enfant du pays .



Le jeune homme vient poser son sac à dos dans le village où ses parents se sont installés pour leur retraite et a dans l'idée de construire une bergerie et de faire paitre ses moutons sur les terres de la commune de Segurian, 400 âmes dont une centaine qui possède le fameux sésame, le permis de chasse .

Ce n'est pas un doux rêveur, son projet est bien structuré, réfléchi , bosseur et endurant, il a la certitude d'y arriver et entouré de toutes les autorisations légales , il se sait dans son bon droit .

Seulement , les brebis paissent là où les chasseurs traquent le sanglier et Joseph Afonsso , le meneur de la troupe des chasseurs est persuadé que le problème sera vite résolu ...



Chaque chapitre est intitulé Saint-Barthélemy avec le nombre des années qui passent, ce Saint-Barthélemy est le jour de la fête du village avec sa procession religieuse et ses festivités qui réjouissent les habitants du village , moments de convivialité qui se finissent en beuverie et bravades . Un passage obligé qui soude la communauté et que néglige Guillaume au début de son arrivée .



Jérome Bonetto relate avec une fausse simplicité les événements qui opposent les deux camps inégaux sans prendre parti , observateur impartial de l'enchainement inéluctable .

La description de l'évolution mentale de Guillaume est implacable .



Le drame humain est mis en opposition à la nature dont l'auteur rappelle à chaque chapitre par une description poétique l'immuable roue du temps , l’apaisant silence et la beauté sauvage avant l'irruption de l'homme.



Court, faussement gouailleur et simpliste, ce roman amène le lecteur à se positionner même si pour moi, habitant à la campagne avec mes brebis , je sais qu'il a fallu composer avec les chasseurs sans s'en faire des ennemis !

Il se dégage au final de cette lecture un malaise .

A chacun de faire son opinion et de pleurer sur l'irrémédiable violence de la nature humaine ...
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Le silence des carpes

C’est lors d’un de mes petits tours dans ma librairie préférée que ce livre m’avait interpellé, avec sur sa 1re de couverture cette photo un peu surannée, cette voiture des pays de l’Est (me rappelant les célèbres Trabant), cette jeune femme décontractée assise sur le capot, et ce titre « Le silence des carpes » … Un titre qui m’évoquait de suite un pays que j’aime… Dans ce pays, à Noël, il n’y a pas de dinde en plat principal, mais une belle carpe bien dodue ! Les habitants de ce pays l’achètent vivante quelques jours avant, mais ne la préparent que le 24 décembre. En attendant, ils la conservent généralement… dans la baignoire familiale !

Les quelques mots au dos du livre me confirmaient bien que je ne m’étais pas trompé sur le pays en question !



Au début de ce livre, le narrateur est agacé par une goutte d’eau qui fait ploc, ploc, ploc. Ce goutte à goutte incessant le perturbe, et dans le même temps, il apprend de la part de sa compagne qu’elle veut « faire un break » ! Le narrateur, c’est un trentenaire parisien, Paul Solveig. Il ne comprend plus très bien sa vie. Le démarrage burlesque de ce roman m’emballait déjà, et je me demandais comment il allait évoluer…

Ce robinet qui fuit et sa femme qui veut le quitter, sont des problèmes qui n’ont pas le même poids, mais qui vont se conjuguer pour révéler la médiocrité de sa vie et lui permettre de prendre conscience qu’il lui faut changer quelque chose rapidement !

Bien sûr, la première chose qu’il va faire, c’est appeler un plombier ! Celui-ci va le dépanner, mais en repartant, sans s’en rendre compte, il laisse échapper de sa sacoche une photo que Paul va incidemment trouver en dessous de sa table de cuisine… Il est intrigué par cette photo un peu floue, en noir et blanc, qui date un peu, qui représente une jolie femme en maillot de bain, cadrée de manière tout à fait particulière, et sur laquelle quelqu’un a surligné le contour de ses formes avec un Bic et apposé une couleur sur une zone de l’arrière-plan…

Il rappelle le plombier qui a « une charmante raideur surannée dans la syntaxe » ! Un plombier à l’accent tchèque ! Celui-ci va lui expliquer qu’il s’agit de sa propre mère sur la photo et il va raconter l’histoire tragique qui est arrivée à sa maman, disparue en 1977 sans laisser de trace, en pleine période de « normalisation », sous le régime communiste tchécoslovaque.

Cette photo, c’est la seule image qu’il possède encore de sa mère. Il ne sait absolument pas ce qui lui est arrivée, et ce mystère va donner l’occasion à Paul Solveig de révolutionner sa vie, et de partir comme ça sur un coup de tête ! Il abandonne tout à Paris, et il part en Moravie (partie est de la République tchèque) pour essayer de faire la lumière sur cette mystérieuse disparition, et également pour peut-être retrouver l’auteur de cette photographie curieusement artistique, à ses yeux !



On suit notre narrateur, parti pour Blednice (le plombier avait reconnu sur le fond de la photo cette petite bourgade de Moravie), une ville de 11 000 h. Paul Solveig ne sait absolument pas ce qu’il va y trouver. Il ne connaît pas la langue. Il ne sait pas non plus pour combien de temps il est parti…

Ce qu’il sait, c’est qu’il ne rentrera pas tant qu’il ne saura pas ce qui est arrivé à cette femme !

Alors il commence son enquête, mais c’est la première fois qu’il fait ça et ses méthodes sont un peu rustiques. Comme il ne possède que le nom pour investiguer, et qu’il n’a pas accès au bottin téléphonique, il va devoir faire le tour de tous les interphones de la ville… mais ayant fait un calcul savant, il s’aperçoit que ce travail, bien qu’ardu, est possible à faire en quelques jours.

Et cette enquête va le mener jusqu’à la police secrète de la Tchécoslovaquie !



Dans sa quête, il va faire des rencontres. Trois personnages, notamment, vont l’aider dans son enquête, mais aussi dans sa découverte du pays et de sa riche culture.

Il y aura - Míla, une serveuse grande fan de cinéma et libre comme le vent, - Veselý, un sculpteur contemporain, un peu dépassé par l’art qui évolue sans lui, et puis, -Antonín, un jeune menuisier qui n’aime plus son métier ! Grâce à ce trio, notre narrateur va être invité à participer à un « Cercle de poètes disparus » tchèque. Progressivement, il va entrer véritablement dans la culture tchèque, découvrir la langue, l’apprendre et changer complètement sa vision du monde.



Pendant ce temps-là, on suit à la fin de chaque partie, deux pêcheurs expérimentés, Ota et Pavel, qui découvrent au début du roman un étang mystérieux, dont ils ne connaissent pas l’existence jusque-là… Dans cet étang, frétillent des centaines de carpes d’une espèce rare et prisée, des carpes-amour, qu’il leur est bien difficile d’attraper !

Je n’ai pu m’empêcher de penser que le choix des noms attribués à ces pêcheurs n’était pas anodin, me rappelant immédiatement l’excellent livre écrit par Ota Pavel, « Comment j’ai rencontré les poissons » ! Et en plus, le nom que Jérôme Bonneton a donné au plombier est « Ryba », qui veut dire

« poisson » !



Tout au long de ce livre, il y a de chouettes métaphores, de belles trouvailles dans les expressions.

Grâce au narrateur (l’auteur a un vrai talent d’observateur !), vous arriverez même à distinguer 5 catégories dans la nature humaine en observant comment les clients mangent leur petit gâteau dans les restos ! Il y a … mais je vous laisse les découvrir vous-mêmes ! C’est très juste et absolument hilarant !

Beaucoup de psychologie, de mélancolie, de nostalgie, quand le narrateur parle de son enfance, de ses parents… On s’immisce aussi avec lui dans ces brasseries au décor suranné, toujours vivantes et bruyantes avec le tintement des chopes de bière qui s’entrechoquent toutes les deux minutes, et où les rencontres sont souvent hautes en couleur. Sur ce thème, on sent que l’auteur a apprécié les lectures de certains livres de Bohumil Hrabal et de Vlastimil Třešňák !



« Le silence des carpes » est un roman sur la culture tchèque bien évidemment, sur le cinéma, avec sa Nouvelle vague -dont le célèbre film

« Les Amours d’une blonde » de Miloš Forman, mais également sur la musique, sur la littérature, sur les habitants, sur leur culture populaire et sur leur force de vie ! Mais au-delà, c’est aussi un roman sur la culture en soi.



Si Jérôme Bonneton parle si bien de la culture tchèque, c’est parce qu’il la connaît bien. Cela fait une douzaine d’années qu’il vit en République tchèque et qu’il s’y intéresse.

Ce livre est un roman humoristique avant tout, d’humour burlesque, mais d’humour également mélancolique. Les deux s’y mélangent. C’est un humour difficile à définir, qui renvoie peut-être quelque chose de l’âme slave.



J’espère que ma critique vous donnera envie de découvrir ce livre au texte vif et libre surtout, qui fait la part belle au romanesque, et de goûter au fil de ses pages aux charmes de la Tchéquie et de ses habitants ! C’est très bien écrit, fluide, parsemé d’anecdotes amusantes, de réflexions profondes et de mots d’esprit. En conclusion, un roman très agréable à lire, divertissant et vite attachant ! = 5/5



« … La culture tchèque savait se rendre aimable : cousine de la française, autre par ses proximités avec l’Est que nous n’avons pas, elle porte également quelque chose de difficile à définir, une force tendre qui lui vient peut-être de sa fragilité dans l’Histoire, la conscience d’avoir échappé de peu à sa fonte définitive dans un monde plus grand et plus fort qu’elle. »

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La certitude des pierres

Nous voici à Ségurian, petit village de montagne de 400 âmes, où le soleil tape dur et où le temps s'est presque arrêté. La Saint-Barthélemy, tous les 24 août, rythme la vie de Ségurian, la transformant en une grande fête, et ponctue chaque chapitre du roman.

L'action s'ouvre sur l'arrivée de Guillaume Levasseur, jeune homme enthousiaste et sûr de lui, qui très vite souhaite ouvrir une bergerie dans ce village, où il a plus ou moins habité dans son enfance.

Sauf que le territoire a un prix et que les traditions sont bien ancrées dans ce bled.

Même s'il a tout fait dans les règles et que sa bergerie est aux normes auprès de la mairie, il se retrouve pris dans une guerre de territoire avec les chasseurs, qui depuis toujours chassent sur ces terres et ne souhaitent pas changer leurs habitudes pour quelques brebis qui paissent.

S'ouvre un corps à corps tendu et une escalade de mesquineries entre les deux groupes sociaux, les chasseurs d'un côté, majoritaires, et le berger et ses quelques amis de l'autre, qui viennent d'arriver et sont perçus comme des touristes, des bobos.

Guillaume se frotte à Joseph Anfosso, sorte de chef du village et représentant des chasseurs mais il va pourtant sympathiser avec son fils Emmanuel, à qui il fait découvrir l'univers de la moto, faisant fi des querelles d'adultes.

On sent bien que ça va salement se terminer. La tension est palpable et monte petit à petit.

J'ai beaucoup aimé ce roman qui oppose plusieurs mondes occupant une même terre. le monde de ceux qui savent à peine lire au monde de ceux qui s'expriment bien, les lettrés de la ville. le monde des vrais campagnards au monde des néo-paysans. Jérôme Bonnetto arrive à nous faire entrer dans l'arène avec subtilité, sans lourdeur, ni manichéisme, utilisant un point de vue extérieur, comme si nous étions derrière la caméra, dans un western.

C'est que c'est un livre « de bonhomme », une guerre d'égo et de territoire entre hommes, nous montrant ce que la virilité peut avoir de plus toxique.

Les personnages sont très bien travaillés. La douceur de Guillaume, son intelligence et son amour des bêtes font plaisir à lire. Mais Joseph Anfosso se questionne beaucoup aussi, même s'il n'en montre rien et se cache derrière sa carapace de dur.

Le conflit et la fierté broient ces deux hommes, qui finalement ne sont pas si éloignés et partagent quelques valeurs communes.

L'écriture est tout simplement sublime et nous laisse approcher la nature du lieu, très hostile et minérale, baignée de lumière crue et battue par les vents secs et la chaleur.

La certitude des pierres est un coup de coeur, j'ai été happée dès les premières pages, jusqu'au dénouement. On n'est pas très loin d'un Franck Bouysse ou de l'épervier de Maheux de Jean Carrière.

Sélection Prix Cezam 2021.
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Le silence des carpes

Le silence des carpes de Jérôme Bonnetto, mon premier coup de cœur de 2021. Il y a tout simplement tout ce que j'aime dans ce roman. Une pépite !

L'histoire commence à Paris. Paul Solveig semble mener une vie réglée comme du papier à musique, une compagne, Pauline, un boulot, un appartement, mais, "plic, ploc", un goutte-à-goutte infernal s'est installé dans son évier, comme le présage du chaos, car Pauline le quitte juste au moment où le plombier débarque. Paul est sous le choc, seul dans sa cuisine, son regard se pose sur une photo, abandonnée sur le sol. Elle a sûrement glissé de la poche du plombier. L'obsession grandit autour de ce portrait d'une belle jeune femme tchèque. La mère du plombier qui a disparu durant la période communiste. Paul, concentrant toute son énergie à oublier que sa vie s'effondre, se donne pour mission de découvrir ce qui est arrivé à la mère de son plombier et s'envole, ni une ni deux, pour la République Tchèque.

Quel roman absolument incroyable ! Enchantée par la plume de l'auteur, son écriture m'a agrippée en quelques mots tant elle est sensible, poétique et drôle. L'histoire est rythmée par un sens de l'absurde fabuleux, terriblement bien écrit, des mots comme des images viennent vous faire sourire et rire souvent, viennent vous attendrir et vous cueillir complètement. J'ai adoré le petit grain de folie du héros. On part à l'aventure sur un prétexte complètement dingue aux côtés de Paul et c'est tellement frais, c'est s'ouvrir à l'inattendu, c'est lancer le dé et se laisser porter par le hasard. On s'évade complètement à Blednice en Moravie, on découvre un pays, on rencontre des personnages aussi touchants qu'originaux, on découvre de belles références de la culture tchèque. Il y a aussi ce fil rouge tout au long du roman, cette part d'ombre laissée par le communisme en République Tchèque qui nourrit l'intrigue, qui l'encercle de son atmosphère grave et brumeuse et vient contrebalancer les pérégrinations cocasses de notre héros.

Le silence des carpes est un roman doux-dingue porté par une plume extraordinaire. Il rejoint les précieux de ma bibliothèque.

Merci infiniment à la #massecritique @babelio_ et aux @editionsinculte.

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La certitude des pierres

Chaque année, dans le petit village montagnard de Ségurian, les habitants fêtent la Saint-Barthélemy. C'est l'occasion pour eux de se réunir, de se relâcher, de boire.

Lorsque le jeune Guillaume s'installe à Ségurian pour y élever des moutons, il trouble l'ordre établi, et l'ambiance que font régner quelques hommes, tous chasseurs. Ses moutons ne gênent-ils pas les battues aux sangliers ?

Une sorte de guerre froide s'installe, qui se réchauffe peu à peu.



L'histoire est banale, mais pas l'écriture : recherchée, et trop, à mon goût. Pour nous imprégner de l'ambiance, l'auteur répète ses propos sous de multiples formulations. Les idées et images se répètent, sous des formes diverses. C'est bluffant au début puis devient très vite lassant.

J'ai fini ce roman en survolant ses dernières pages (la lecture d'une phrase sur dix suffisant à comprendre le propos), sans curiosité car la fin semble très vite inéluctable…

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La certitude des pierres

Après avoir beaucoup voyagé et fait de l’humanitaire, Guillaume Levasseur décide de revenir dans le village où se sont établis ses parents, Ségurian. Guillaume a décidé de devenir berger. Un projet de vie qui lui tient à cœur. Dans ce bourg de 400 âmes, au cœur des montagnes où la vie est immuable et les tradition bien ancrées, l’arrivée de ce néo-rural et de son projet un peu fou est d’abord regardé avec curiosité. On se moque même un peu de ce citadin qui veut travailler comme le faisait les anciens. Mais tout va s’envenimer quand certains vont se rendre compte que son troupeau pâture sur un espace dévolu à la chasse au sanglier. Guillaume et ses brebis commencent à énerver sérieusement ceux qui étaient là avant, ceux qui sont «vraiment» de Ségurian et qui par conséquent pensent avoir des droits face à «l’empêcheur de chasser en rond» . La guerre est déclarée.



Une histoire remarquable de tension et qui va s’étirer sur plusieurs années. On perçoit l’électricité dans les rapports humains, les crispations qui vont crescendo, la haine qui fait son nid. On ne sait pas ce qui va se passer mais on sent bien que rien de bon ne peut sortir de cette guerre de territoire. L’air pur de la montagne ne vous empêchera pas d’étouffer entre ces pages.



Un Jean de Florette revisité qui montre la vanité, l’égotisme, la puérilité des hommes.

Un roman dans lequel l’auteur saisi à merveille les mesquineries, les faiblesses et l’étroitesse d’esprit qui révèlent toute l’animalité qu’il peut y avoir dans l’être humain.



C’est rude, tendu, aride, un peu comme le scénario d’un western, et c’est bon.
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Le silence des carpes

"Le robinet de la cuisine de Paul Solveig fuit. Sa femme aussi".

Je n’ai pas d’explication rationnelle à cela, mais cette accroche m’a immédiatement séduit. Le reste du livre aussi d’ailleurs. La femme de Paul lui impose une « petite pause ». Pour éviter de sombrer dans la morosité, il s’accroche au premier radeau qui passe, sous la forme d’une étrange et très artistique photographie perdue par un plombier Tchèque. Ainsi débute une belle histoire de renaissance et d’amitiés. J’ai adoré les ambiances « à l’est », avec des personnages parfois un peu à l’ouest, mais tous plus savoureux les uns que les autres. Pour ne rien gâcher, l’intrigue tient la route. En un mot j’ai adoré, et je pense que je le relirai. 

Un grand merci à l’auteur, aux éditions inculte et à Babelio de m’avoir fait parvenir ce livre (au passage : très bel objet, j'aime beaucoup la forme presque carrée). L’avis est très bon, mais sincère et sans lien de cause à effet. Je récidive bientôt (même auteur), et à mes frais cette fois!

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La certitude des pierres

Le titre à lui seul est déjà une ambiance qui va si bien avec cette histoire digne d'un Giono.

L'entêtement des hommes, la bêtise, le manque d'instruction, l'appartenance au clan ... tout est rude dans ce petit village de montagne où rien ne semble avoir bougé depuis des lustres.

Chasseurs contre un jeune berger l'affaire semble pliée d'avance, mais c'est dans l'écriture imagée, forte et au mot toujours bien choisie que la magie opère.

Une description tellement juste de la bêtise humaine, de la frustration qui mène à la haine et de la lâcheté de ceux qui se taisent.

Une très belle découverte que cet auteur
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Le silence des carpes

Le Silence des carpes est le livre d’une quête, celle de Paul, intellectuel parisien nombriliste et peu à l’écoute du monde qui l’entoure. Armé d’un motif-prétexte ténu (la recherche d’une femme disparue à partir d’une photo) et d’un tremplin magnifique (la fin de son histoire d’amour), Paul Solveig va sortir de son univers familier et d’une certaine forme de cécité émotionnelle.

Mais que cherche exactement Paul ? le jeu des prénoms nous dit qu'il aux prises avec son double. La nécessité de s'en détacher est sans doute un des moteurs principaux de son départ de Paris mais, pour un temps, c'est le hasard qui décidera pour lui.

Dans ce roman Jérôme Bonnetto mêle avec bonheur plusieurs genres littéraires : le roman initiatique, le conte, le roman policier, le récit existentiel, la farce.

Roman de la confrontation avec soi-même, roman d'une libération (le cadre historique est sans doute métaphorique) qui passe par la perte progressive de l'apparente rationalité du narrateur et de toutes les couches de vernis sous lesquelles il vivait. On comprend que c'est par le chemin aride de la compréhension profonde de ce pays que Paul aboutira à un résultat (lequel ? Nous le saurons) dans sa quête. le séjour dans un petit bourg tchèque comme une remise à zéro de sa vie, amour-propre et sentiments compris.

Mais au cours de son périple, finalement géographiquement très circonscrit, le narrateur devra s'affranchir de ses faiblesses et affronter d'une manière moins épique que ce qu'il espérait (craignait) la cinglante violence d'une vérité plongeant dans les sombres pratiques du régime communiste renversé par la révolution tchèque de 89. Et ici L Histoire n'est pas une ‘toile de fond' mais un rouage déterminant de l'intrigue qui a éclaboussé chacun des personnages et forgé quelques comportements de survie.

L'écriture de Jérôme Bonnetto est faite de tensions et de détentes pour le plus grand plaisir du lecteur amoureux de la langue française. le texte est parfois dense, éclairé d'essentielles références à l'art, puis, sans perdre aucunement de sa précision, se fait preste, léger et plein d'humour lorsque le narrateur s'autorise une prise de distance salutaire à l'aide d'analogies drôles et inattendues. Il y a finalement quelque chose de la culture tchèque dans la façon dont le cocasse et le grotesque côtoient le tragique et le mélancolique dans l'aventure de Paul.

La force du roman tient aussi à la façon dont Jérôme Bonnetto écrit ses personnages : tous pluridimensionnels, parfois ‘larger than life', une galerie non point décorative mais dont chaque élément contribue à la (re)construction de l'édifice. La littérature n'est pas ‘hors sol' chez Jérôme Bonnetto, comme il l'a déjà montré dans son précédent roman La Certitude des pierres elle emprunte à la vie ‘réelle' et éclaire en retour ce réel d'une manière inhabituelle et enrichissante. de son propre aveu, le narrateur est un constructeur de cathédrales et sans doute l'auteur l'est-il aussi qui, au fil de ce roman nous élève peu à peu vers un dénouement éclatant.

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Le silence des carpes

C'est l'histoire de Paul et de tant d'autres couples : l'usure du temps a eu raison d'eux. Sa femme le quitte. Au même moment, un plombier Tchèque vient réparer un robinet avec un goutte à goutte trop persistant... Il oublie une photo d'une femme datant probablement des années 70, la couleur particulière subjugue Paul. Lorsqu'il vient chercher la photo, le plombier lui explique qu'il s'agit de la dernière photo de sa mère disparue en République Tchèque au temps du communisme, qu'il l'a cherchée longtemps et n'a jamais retrouvé sa trace.

Plus rien ne retient Paul à Paris si ce n'est la mélancolie d'une séparation... Il décide alors de partir sur les traces de cette photo et atterrit en Moravie.

Il va y découvrir Blednice, l'indomptable Mila, le menuisier artiste Antonin, le truculent Vesely et le cinéma Tchèque.

Il va surtout se retrouver. Retrouver cette légèreté oubliée dans sa vie parisienne et le temps d'observer la poésie des lieux, des gens qu'ils rencontrent au gré de son enquête.

C'est une ode à la République Tchèque, à cette poésie des pays de l'ancien bloc communiste, de ces gens qui font tout avec rien, qui profitent des choses simples qui s'offrent à eux.

Le silence des carpes est un roman drôle et émouvant.

J'ai beaucoup aimé.

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La certitude des pierres

N° 1510- Novembre 2020.



La certitude des pierres – Jérôme Bonnetto – Éditions inculte.



Ségurian est un village de montagne où le temps s'est arrêté depuis longtemps, avec la fête annuelle de son saint Patron, Saint Barthélemy, et les libations qui vont avec. Ici, rien n'est destiné à changer, ni les familles ni les habitudes. Jacques et Catherine Levasseur, après une longue vie de labeur citadine avaient décidé de venir finir leur vie ici, dans la maison d'un grand-oncle. Leur fils Guillaume était parti à son tour pour faire de l'humanitaire en Afrique, une manière comme une autre de voir le monde. Quand il est revenu et après un petit boulot, il a pris sa décision : il sera berger, avec laine et fromages, chèvres... Après tout, c'est un retour à la terre de la part d'un jeune homme, un intellectuel et une force de la nature, plutôt dans l'air du temps. La montagne est à tout le monde et ses troupeaux de moutons y paîtront, il a toutes les autorisations, sauf que ces arpents sont aussi le domaine des sangliers que les gens du village chassent depuis des lustres et les chasseurs sont un clan dont Joseph Anfonsso est le chef respecté, une façon comme une autre de s'approprier une partie du territoire commun au nom des traditionnels « droits acquis ». La cohabitation s'annonce difficile, il faut donc parlementer mais le berger, bien que jeune, ne s'en laisse pas conter et, sûr de son bon droit, ne lâche rien, fût-ce devant Joseph. On devine la suite, le combat inégal et solitaire pour Guillaume dont les rares partisans ont droit eux aussi à leur lot d'avanies et de coups bas, l'omerta hypocrite d'un village coupé en deux et qui satisfait tous ceux qui se croient autorisés à y faire régner leur loi, évidemment celle du plus fort. le tout face à la fierté du berger et sous les yeux de Jeanne, sa compagne enceinte et perturbée, d'Emmanuel, le jeune fils de Joseph, soumis à son père mais très attaché à Guillaume et qui ne comprend rien à ces querelles d'adultes, de Jacques et Catherine, impuissants, du maire qui ne veut pas de vagues, de la maréchaussée attentiste, pas vraiment pressée de faire respecter l'ordre public, d' une justice peu curieuse. ..

On songe à Jean de Florette et, à la bonne volonté du berger s'oppose la méchanceté du clan des chasseurs couverts par l'anonymat. On en devient même paranoïaque et on ne tarde pas d'instituer Guillaume comme le bouc émissaire,  le responsable de tout ce qui cloche dans le village. L'ambiance oscille entre le simulacre d'une mort annoncée et l'éventualité d'un départ de Guillaume, sa volonté de poursuivre son rêve face à résistance aveugles des chasseurs, l'acceptation d'un destin et la fatalité, le tout dans le décor grandiose de la montagne, remarquablement évoqué par la plume poétique de Jérôme Bonnetto.



Ce roman se décline à travers six fêtes annuelles de la Saint-Barthélemy dont le simple nom, pas vraiment choisi au hasard, a laissé dans notre mémoire collective sa trace violente et intolérante de gens qui ne pouvaient ou ne voulaient pas se comprendre. Comme pour souligner la progression de l'intrigue et de la tension qui va s'installer entre Guillaume et tout le village, à chaque attaque des chasseurs répond une réaction de l'autre camp et la spirale de l'incompréhension et de la brutalité va crescendo. Chacun se défend, on s'en prend au chien de Joseph, aux moutons du berger, bref la paix de ce petit village perdu est durablement troublée par ce qui aurait dû être une bonne nouvelle, l'installation d'un jeune berger et de sa compagne, le rajeunissement d'un village vieillissant. J'y vois le scénario d'un combat inégal mené par le plus fort, bien campé dans ses certitudes et sûr de son pouvoir, le rejet de l'autre, de celui qui est différent et qui ne veut pas se plier aux injonctions de ceux qui sont ici comme chez eux qui se croient autorisés à y faire régner leurs ukases. le choix d'un village de montagne est de ce point de vue particulièrement significatif. J'y vois aussi la volonté de ceux qui veulent à tout prix s'opposer à la réalisation du rêve des autres, même s'ils doivent pour cela tout détruire. C'est le triomphe de la lâcheté, celle de ceux qui n'osent pas agir au grand jour, de ceux qui n'hésitent pas à trahir par peur, pour ne pas perdre la face ou pour s'affirmer, un travers de l'espèce humaine un peu trop répandu et qui ne correspond pas vraiment à l'image qu'on en tresse un peu trop souvent.



Jérôme Bonnetto nous raconte cette histoire en y mêlant agréablement poésie et humour et ce malgré la charge dramatique d'un récit qui tient en haleine jusqu'à la fin. C'est fort bien écrit et cela a été pour moi un bon moment de lecture.

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