Citations de Jérôme Leroy (408)
" Trop penser au passé, c'est le meilleur moyen d'y passer."
C'était une devise courante chez les survivants, une formule facile à retenir, dont l'auteur était resté inconnu. On la voyait souvent taguée sur des ruines ou sur d'anciens panneaux routiers indiquant des destinations qui n'existaient plus...
Et c'était vrai, au moins en partie.
Guillaume, à l'époque, lisait comme on se noyait. Pour oublier le monde autour de lui.
Le sens de l'humour était indispensable, même dans l'horreur.
Surtout dans l'horreur.
Sa mémoire était devenue une mémoire de survivant. Elle était pleine de trous parce qu'il ne pensait qu'à une seule chose depuis si longtemps : ne pas mourir et que Lou ne meure pas.
Là, nous avancions lentement, nous fiant seulement à nos cartes, nos boussoles, parfois à un vieux panneau indicateur. Ils étaient déjà rares et démodés avant le Grand Effondrement, quand tout le monde n'utilisait plus que les GPS.
Même Irène la Rieuse était là. Elle n'avait pas hésité, pas un seul instant, et Le Javelot, qui était un peu amoureux d'elle, avait pensé que sa réputation de trouillarde n'était pas fondée et qu'il fallait éviter de juger les gens sur ce qu'on disait d'eux.
Finalement, l'histoire aura été très courte avant la fin du monde.
On dirait que tout s'est accéléré au vingtième siècle, et qu'au vingt et unième, dès les années 2010, tout le monde a compris que ça allait s'arrêter d'une manière ou d'une autre, mais la plupart des gens faisaient semblant de regarder ailleurs ou espéraient qu'en fermant les yeux, ils allaient éviter le cauchemar.
Peut-être est-ce cela que tous les évadés de toutes les époques éprouvent : cette sensation de légèreté, de liberté enivrante, d'espérance joyeuse.
C'est compliqué, ce monde où les gens ne sont pas faits d'une pièce. Guillaume me disait que si personne n'est parfait, personne non plus n'est totalement mauvais.
" Thymosomaline", voilà, c'était le nom du médicament qui avait transformé les gens en pantins désarticulés et affamés. Un genre de calmant, un truc pour se sentir mieux, m'avait expliqué Guillaume.
- Pourquoi les gens prenaient ce médoc ? Je n'arrive pas à comprendre.
- Ce n'était pas très marrant, tu sais, le monde d'avant. Toute la population était stressée à cause du boulot, de la violence, de la pollution, de la situation politique. On menait des vies de dingues, on avait tout le temps peur, on ne dormait plus... On pensait que ça ne pouvait pas être pire... Comme quoi, on avait tort.
L'histoire ne se répète pas, elle envoie juste des clins d’œil.
Il se rappelait seulement qu'adolescent, et cela lui paraissait remonter à une éternité, il avait regardé des films d'épouvante. Il avait aimé avoir peur, sans doute parce que la peur sur écran était presque rassurante en comparaison de ce qui se passait dans le monde réel. À cette époque, les cinémas avaient disparu parce que les gens restaient chez eux pour regarder leurs écrans-feuilles, leurs tablettes ou, pour les plus riches, les holo-tv qui donnaient l'impression que les acteurs jouaient devant vous, dans votre salon. Les gens se méfiaient de l'extérieur. Il y avait trop de dangers, d'attentats, d'émeutes, de maladies nouvelles liées à la pollution ou à la nourriture.
On n'était bien que chez soi, le plus souvent perdu dans la Réalité Augmentée.
Berthet revoyait encore le contraste entre le formica rouge et le sac Adidas qui était bleu électrique avec des reflets vaguement satinés. Cela faisait presque mal aux yeux et aux dents de Berthet. Berthet avait quand même toujours trouvé les années quatre vingt hideuses. Une décennie esthétiquement inacceptable. Berthet, à titre personnel, avait par exemple beaucoup souffert de l’étroitesse et des couleurs vives des cravates en cuir ainsi que des chansons de Jakie Quartz.
Il pleuvait comme il sait pleuvoir dans ces régions de mélancolie froide, de pierres grises, de toits de lauzes, de salons de coiffures aux lettrages qui ont été futuristes à la fin de la guerre d'Algérie. Ces régions peuplées par des volcans morts et par les dernières petites vieilles qui ressemblent à celles d’antan, pliées par l’ostéoporose sous un fichu noir, comme si elles avaient quatre-vingt-dix ans depuis toujours et pour toujours.
Les enfants ressemblent plus à leur époque qu’à leurs parents.
Un vrai écrivain porte en lui une forte charge de négatif. Une envie de mourir, de se détruire à ses propres yeux et à ceux des autres. La haine de soi, quoi.
Berthet ne se sent pas vieux et Berthet n’a jamais eu le moindre rapport avec le fisc.
A moins que la participation de Berthet à la noyade accidentelle, […] d’un trésorier-payeur général du sud de la France qui avait des ambitions électorales peu souhaitables dans son département et dans son parti ne soit considérée comme tel.
Mais ce serait exagéré.
Je sais aussi désormais que lire les poètes qu'il aimait à la clarté d'un halogène ou sur l'écran d'une tablette nous faisait perdre quelque chose d'eux, de ce qu'ils essayaient de nous dire.
Les jeunes femmes qui travaillaient avec lui (...) sortaient de leurs sacs des téléphones portables, les effleuraient de gestes gracieux. C'était bien un des rares avantages des technologies digitales que d'avoir fait naître cette science de l'effleurement, cette nouvelle école de la caresse.
Ne me dis pas que je n'ai pas le droit, j'ai tous les droits puisque je suis de l'antiterrorisme et que l'antiterrorisme a tous les droits. Fallait pas attaquer la démocratie, Slimane, après, elle est tout de suite moins démocratique. C'est ballot.